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La vie et la mort

Le sacré

Dieu

Le temps : le temps juif (le temps chrétien et le temps musulman à venir)

L'image et le sacré

Le sacré hors religion

Le rapport au texte et à l'autorité

- ….


LE TEMPS JUIF (Elio Cohen Boulakia)

C’est le temps qui exprime le mieux l’enracinement culturel des Juifs. En  effet, pour les Juifs le sentiment d’appartenance à un « peuple » résulte d’une relation spécifique au temps et à la façon d’en marquer l’écoulement.
                        Le monde a un commencement et une histoire ;  il a un sens ; l’histoire est la réalisation progressive de ce sens.

                        Le Shabbat

            L’organisation de la semaine marque dés l’abord ce caractère primordial du temps : du dimanche au vendredi, les 6 premiers jours sont un temps social ; le septième jour le Shabbat, est un temps humain et personnel, un temps d’accomplissement de soi par une mise à distance. Ce n’est donc pas un temps de repos pour reprendre des forces ; c’est un temps de cessation d’activité pour se libérer du rapport à l’objet et développer ainsi des relations de sujet à sujet. C’est l’occasion de mesurer la qualité de sa relation à l’autre, la manière dont on a éventuellement progressé sur le voie de la justice et du bien. Pour cela le Shabbat est sanctifié, l’homme juste y fortifie son âme, pour travailler à parachever la création du monde et préparer ainsi l’avènement des temps messianiques. De sorte que par le Shabbat le juif a un pied dans le monde à venir, « le monde qui vient » qu’on appelle le monde du huitième jour.

                        Le calendrier liturgique

            Le calendrier de l’année liturgique correspond bien au rythme des saisons, mais l’interprétation, la portée de chacune des fêtes sont transfigurées par le rappel de l’épisode du récit biblique, -mythe fondateur de la culture juive- dont la fête est censée être la date anniversaire.
           
            Quelques exemples de fêtes de l’année juive :

            Le temps de Soukoth, la fête des cabanes est le temps des semailles ; c’est aussi un temps de commémoration de l’errance du peuple juif dans le désert entre le moment de la sortie d’Egypte et celui du don de la Tora au pied du Sinaï. Durant huit jours, en souvenir de cette errance le juif prend ses repas et vit dans une habitation précaire. Soukoth éduque ainsi au sentiment de la contingence des situations humaines de la fragilité de notre condition.

            Pourim, forme juive des transgressions sociales du carnaval, se double de l’histoire d’Esther, épisode heureux de la vie en captivité du peuple juif à Babylone ; c’est le récit d’une grande catastrophe évitée qui autorise une joie débridée.

            Roch Achana, fête du nouvel an , est une fête d’automne, qui marque aussi l’anniversaire du sixième jour de la création, celle de la création de l’homme ; c’est l’occasion de faire le bilan moral de l’année écoulée et c’est aussi le temps du jugement des  hommes par Dieu, suivi,dix jours plus tard, d’une journée de jeûne et de prières, le Youm Kippour, pour tenter de se faire pardonner sur la base de bonnes résolutions prises pour « un nouveau départ.»
Tout comme le Shabbat l’est pour la semaine, les fêtes sont des temps forts de ruptures contrôlées avec l’ordinaire.

            Champions de la célébration de la continuité d’une histoire ; projetés sans relâche vers la préparation d’un avenir messianique, respectueux de pratiques qui martèlent les étapes rassurantes du temps cyclique, les Juifs mettent ainsi périodiquement à l’épreuve, par des ébranlements contrôlés, (le Shabbat, les fêtes) la résistance de leur construction culturelle.

A titre d'illustration, la fête de Hannouka, fait l'objet d'une fiche plus détaillée.

Le temps juif : HANNOUKA

                        Hannouka, fête de la lumière et anniversaire de la révolte des Maccabées

  1. L'évocation de la fête de Hannouka est l'occasion d'illustrer à nouveau ce double rapport au temps que comportent les fêtes du calendrier liturgique:
    d'une part le rapport au rythme des saisons; en effet cette fête des lumières prend place autour du solstice d'hiver avec une variation de date qui selon les années comporte une amplitude de plusieurs jours qui tient à la lunaison, le calendrier hébraïque étant lunisolaire. En 2005, le début des fêtes de Hannouka a correspondu avec Noël. A ce sujet on peut rappeler que c'est seulement en 354, que la papauté décida de fixer la naissance de Jésus au 24 décembre, (solstice d'Hiver). Et ce, afin de christianiser les fêtes païennes du sol invictus,( en référence aux saturnales romaines) dont la célébration perdurait. Le Christ "soleil de justice" devint, en sa nativité, "lumière" du monde.

  2. D'autre part, comme pour chaque célébration du calendrier, la portée de la fête est transfigurée par le rappel d'un épisode du récit biblique dont on célèbre ainsi la date anniversaire. Ce faisant, on ancre les étapes du calendrier annuel dans un "temps juif".

                        La révolte des Maccabées

            Commémoration du soulèvement juif contre l'oppression culturelle exercée par les successeurs d'Alexandre  le Grand, lesquels ont mené en Palestine une politique de violence, interdisant aux juifs l'exercice du culte dans le Temple ainsi que l'enseignement du judaïsme.
Hannouka réactive la victoire en l'an -165 av JC des Maccabées, une famille de grands prêtres qui libèrent le Temple profané par le roi Séleucide, Antiochus  Epiphane. (La statue de Jupiter avait été installée dans le Saint des Saints!)
            Judas Maccabée put allumer le candélabre et le maintenir allumé pendant une semaine,  avec une seule fiole d'huile consacrée, la seule qui avait échappé au pillage et qui aurait du s'épuiser dés la  fin du premier jour. C'est là,  la partie miraculeuse de cette page d'histoire.

            Pour commémorer cet évènement, à la date anniversaire, chaque foyer juif procède le soir à l'allumage pendant huit jours d'une Hannouka placée à l'entrée de la maison, afin que chaque soir sa lumière accueille celui qui en franchit le seuil.
Pourquoi huit jours et non sept ? C'est afin de donner une portée messianique à la commémoration de l'évènement, il s'agit de préparer "le monde qui vient", celui du Messie, le monde du huitième jour.
           
                        Du rôle de l'histoire dans la pensée juive

            Fête joyeuse marquée par des présents aux enfants et par la fabrication de plats et pâtisseries traditionnels, Hannouka a donné l'occasion aux commentateurs de la Loi  écrite, les talmudistes, de se distinguer.
            L'épisode relaté ci-après concerne une "dispute" entre deux talmudistes, Hillel et Chammay, (environ – 30 av JC) qui s'opposèrent sur la manière dont il convenait de procéder à l'allumage de la Hannouka au cours des huit jours de la fête. Pour Chammay, il fallait au premier jour allumer les huit bougies, puis aller en décroissant les jours suivants; car disait-il, l'essentiel est donné au commencement et l'histoire n'est qu'un éloignement progressif, une déperdition de la lumière originelle.
Pour Hillel, il convient au contraire de n'allumer qu'un bougie au premier soir, puis d'en augmenter le nombre les jours suivants, car l'histoire est créatrice. Elle est positive et constructive, elle ajoute des dimensions lumineuses au projet originel.

            

On voit bien là, le sens du différend. C'est Hillel qui l'emporta, car il fut jugé que l'homme, partenaire de la création, est en charge de l'achever; ce qui donne un caractère essentiel à la dimension historique.             

            

            
            
L’IMAGE ET LE SACRÉ (Paul Balta)

         Face aux images, appelées autrefois icônes, quelle est la position des trois religions monothéistes révélées, judaïsme, christianisme et islam. En effet, Dieu a d’abord transmis sa révélation aux juifs à travers leurs prophètes comme l’atteste l’Ancien testament, première partie de la Bible qui comprend aussi le Nouveau testament, composé des Évangiles consacrés à Jésus. Considéré comme le fils de Dieu sur terre, ce dernier a transmis le message divin à tous les hommes, au début de notre ère et ceux qui l’ont suivi ont été appelés chrétiens. Enfin, au VIIè siècle, qui correspond à l’an I de l’Hégire, le calendrier musulman, c’est Mahomet, prophète de l’islam, qui a reçu la révélation et l’a transmise en expliquant à ses disciples qu’elle couronnait les deux autres et s’adressait aussi à elles. Avant  de répondre à la question posée, il convient de rappeler que les grandes civilisations de l’Antiquité, principalement celles de la Mésopotamie, de l’Égypte puis de la Grèce, étaient polythéistes. Ce sont les premières à avoir eu la plus grande influence en Méditerranée et par conséquent en Europe. Leurs dieux et leurs déesses étaient incarnés par des êtres humains, des animaux ou des éléments de la nature tel le soleil. Ils étaient adorés et représentés sous différentes formes : sculptures, peintures, mosaïques. Les trois religions révélées qui affirment l’unicité de Dieu ont donc réagi, chacune à sa manière, face à cette situation.

                            Première interdiction : celle du judaïsme.
        
Il ressort de  l’Ancien Testament que Dieu a créé l’homme à son image mais lui a interdit de la reproduire. En outre, il a donné la primauté à la Parole. La première interdiction se trouve dans un livre de l’Ancien Testament, la Genèse : “Vous ne ferez pas d’idoles, vous ne vous dresserez ni statue ni stèle ” (Levitique. 26,1, cf. aussi Deutéronome. 4,15-19). Pourquoi ? Les Hébreux, de me-’eber, “Gens d’au-delà du fleuve”, étaient le peuple d’Israël, composé de pasteurs nomades sémites. Ils vivaient en Basse Mésopotamie où la Bible, livre sacré des juifs et des chrétiens, situe le Paradis Terrestre entre le Tigre et l’Euphrate. Vers 2000 avant notre ère, conduits par le patriarche Abraham, ils s’installent au pays de Canaan, en Palestine. Ils sont les premiers à avoir adoré un Dieu unique appelé Yahvé. Vers 1700 avant Jésus-Christ, des tribus émigrent en Égypte où elles finiront par être mises en esclavage par le  Pharaon, le souverain. Né en Égypte vers 1200 av. J.-C., Moïse a quatre-vingt ans quand il reçoit l’ordre de Yahvé de délivrer son peuple. Il lui fait traverser le désert jusqu’à la mer Rouge. Là, il lève sa canne et un miracle se produit : les eaux s’écartent. Puis, avant qu’elles se referment, les fugitifs gagnent à pied sec la péninsule du Sinaî, dernière étape avant la Terre Promise, la Palestine.
         Après une errance de courte durée dans le désert ils atteignent le mont Sinaï aussi connu sous le nom de “montagne de Dieu. » Moïse monte au sommet  où il reste quarante jours et quarante nuits sans boire ni manger. Yahvé lui apparaît et lui remet  les Tables de 1'Alliance (Exode 20,1-17), qui comportent le Décalogue, ci-dessous, qui sera repris par les chrétiens sous le nom des “Dix Commandements”.
1 - Je suis l’Éternel ton Dieu qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte.
2 - Tu n’auras pas d’autre dieu que moi. Tu ne te feras point d’idole.
3 - Tu n’invoqueras point le nom de l’Éternel en vain.
4 - Pendant six jours tu travailleras, mais le septième tu te reposeras.
5 - Honore ton père et ta mère.
6 - Tu ne tueras point.
7 - Tu ne commettras pas l’adultère.
8 - Tu ne voleras point.
9 - Tu ne porteras point de faux témoignage contre ton prochain.
10 - Tu ne convoiteras point ce qui appartient à ton prochain.

         Pendant l’absence de Moise,  les Hébreux firent la fête et demandèrent à Aaron, son frère, de leur construire un Veau d'or qui ferait office de divinité. Lorsque Moïse vit l'idole, à son retour, son courroux fut si grand qu'il brisa les Tables de l'Alliance appelées aussi Tables de la Loi, jeta le Veau au feu et réduisit l'or en poudre. Ainsi, le Dieu jaloux de la Bible enjoint à ses disciples de s’interdire (et d’interdire aux autres) toute représentation “de pierre sculptée ou de métal fondu ”. Par la suite, chez les juifs, la proscription de la représentation imagée de la divinité a été étendue parfois à toute image à figure humaine. En tout cas, il n’y a jamais aucune représentation de Dieu ou de ses créatures (hommes et animaux) dans les synagogues du monde entier et évidemment de l’État d’Israël, fondé en 1948 sur la terre de Palestine.

         En revanche, mis à part quelques fondamentalistes, les juifs des différentes communautés, ne se sont pas privé, en dehors du domaine religieux, de recourir à la représentation : peinture, sculpture, photographie, cinéma, télévision, Internet. Toutefois, même les artistes qui n’étaient pas praticants n’ont jamais tenté de représenter Dieu, contrairement à beaucoup de chrétiens.

L’image chez les chrétiens.

         Le problème de la représentation chez les chrétiens est fort complexe et a donné lieu à des prises de positions contradictoires dès le début de notre ére, puisque la coutume veut qu’on écrive, comme on l’a vu, “Avant -Jésus-Christ”, et “Après  Jésus-Christ.”.
         Pour les chrétiens, Jésus, mort crucifié à l’âge de 33 ans, et le fils de Dieu, né de la vierge Marie. Cela fait partie des mystères du dogme chrétien. Toutefois, très tôt, des théologiens se sont interrogés sur la vraie nature du Christ : était-il Dieu et homme en une seule personne ? L’hérésie la plus importante est celle d’Arius (256-336). Fils du Libyen Ammonius, il était prêtre à Alexandrie. Il a soutenu, en 320, que Jésus a été créé par Dieu, qu’il est une nature surnaturelle mais qu’il n’est ni Dieu (il ne peut y en avoir deux) ni homme. Comme sa doctrine se propage rapidement, l’empereur Constantin convoque à Nicée, le premier concile de l’histoire. Réunis du 20 mai au 19 juin 325, plus de 220 évêques de toute la chrétienté, condamnent l’arianisme et affirment que “Jésus est le Fils de Dieu, né du Père, Fils unique, c’est à dire né de la substance du Père, Dieu né de Dieu, lumière née de la lumière, vrai Dieu, né du vrai Dieu, engendré et non pas créé, consubstantiel au Père par qui tout a été fait au ciel et sur la terre”.
         Le christianisme naissant, dressé contre le paganisme, a été iconoclaste dès qu’il en a eu les moyens : les temples dédiés aux anciens dieux furent brûlés ou détruits, les autels renversés, les statues démembrées ou démantelées. À titre d’exemple, en 391, à d’Alexandrie, le patriarche Théophile, à la tête de ses fidèles, démolit le Serapeum, le temple du dieu Sarapis, et met le feu à la célèbre bibliothèque. “Ce fut le premier autodafé. Le bûcher des livres fait partie de la christianisation . "Après Alexandrie, suivirent Pergame, Antioche, Rome, Constantinople”, écrit l’historien Luciano Canfora.
         Toutefois, les églises catholiques et orthodoxes, se mettent à représenter Jésus et à montrer, pour l’instruction et l’édification des croyants, souvent analphabètes, les scènes de la vie de Jésus, depuis sa naissance jusqu’à la Cène, son dernier repas avec les douze apôtres, suivie de son arrestation par les Romains, à Jérusalem, de son calvaire, de sa mort par la mise sur la croix et sa résurrection, que les chrétiens célèbrent le jour de Pâques. Les églises orthodoxes sont riches en icônes peintes sur bois. Les églises catholiques offrent une extraordinaire diversité des représentations : vitraux, sculptures, fresques, peintures sur toile.
         L’avènement de l’islam, au VIIè siècle va avoir des conséquences dans la mesure où il affirme avec force l’unicité de Dieu. En effet, pour les musulmans Jésus, Issa, est un très grand prophète mais n’est pas le fils de Dieu. En outre, comme on l’a vu, il n’y a pas d’images dans les mosquées et les lieux de prière.
         Cette rigueur sur le plan théologique et les attaques des forces arabes contre l’empire de Byzance, ont influencé trois empereurs de Constantinople (l’actuelle Istanbul). En effet, Léon III l’Isaurien (675-741), son fils Constantin V (718-775) et Léon V l’Arménien (813-820) avaient proclamé “idolâtre la représentation”, encouragé la destruction massive d'iconostases et la persécution de leurs adorateurs, appelés iconophiles ou iconodules. Résultat : une nouvelle tension entre l’Église d’Orient à Constantinople et l’Église d’Occident à Rome. Convoqué en 787, le second concile de Nicée autorisa à nouveau le culte des images (mais interdit sévèrement leur commerce) car, si le Christ s'est incarné, on a donc le droit de représenter physiquement le Fils de Dieu et de peindre la
Vierge, les anges et les saints.

         En réaction contre le Moyen Age flamboyant et la Renaissance qui s’inspire de la Grèce, la Réforme protestante au XVIè siècle a constitué une autre étape iconoclaste avec Martin Luther (1483-1546) et surtout Jean Calvin (1509-1564). Pour eux, la foi est contenue dans le croire et non dans le voir, dans la concentration intérieure et non dans la dispersion des représentations. C’est pourquoi, de même que les synagogues, les temples protestants sont dépouillés et, contrairement aux mosquées, ne sont guère décorés.

L’islam proscrit les images

         Les musulmans sont persuadés, dans leur très grande majorité, que l’interdiction des images figure dans le Coran, leur livre sacré qui est, pour eux, la parole de Dieu (Allah, en arabe) révélée au Prophète Mahomet (Mohammad, 570-632) par l’ange Gabriel.
         La traduction du Coran de D. Masson, reconnue par l’Université d’Al Azhar, au Caire, qui fait autorité dans le monde musulman, établit un “index des concepts et thèmes”. Or on n’y trouve aucune référence à dessin, figure, image, représentation, statue !
         En revanche, plusieurs versets condamnent le polythéisme, traitent de la destruction des idoles par Abraham et Moïse, comme le fera, en 630, Mahomet au sanctuaire sacré de la Kaaba, à La Mecque, en Arabie, en dénonçant la fausseté des déités.

         Les principales interdictions figurent, en réalité, dans la Sunna ou Tradition. On les trouve principalement dans L’authentique tradition du Persan El Bokhâri (810-870), considérée comme la plus fiable. Faits et dits de Mahomet, rapportés par ses compagnons et leurs successeurs, y sont rassemblés en 97 chapitres, divisés en sections, dont chacune comprend un ou plusieurs hadith, récits.
Exemple : “Les anges n’entrent pas dans une maison qui contient une représentation figurée”. De même, Aïcha, épouse bien-aimée de Mahomet, raconte qu’elle avait une étoffe avec des représentations figurées ; le Prophète l’ayant vue, la mit en pièces et s’écria : ”Certes, parmi ceux qui subiront les tourments les plus rigoureux au Jour du Jugement dernier, il y aura ceux qui auront tracé ces représentations figurées” (78-75,1).
         Une constatation s’impose : on n’en trouve jamais dans les mosquées et autres lieux saints. En revanche, on est impressionné par l’abondance et la richesse de la décoration de style abstrait : arabesques, calligraphies, mosaïques parfois et/ou zéliges (céramiques) de couleurs.
         Constat inverse : les fresques représentant, dans les châteaux omeyyades (661-750), musiciens et danseuses lors de banquets où l’on boit du vin.
         La profusion, à partir du XVIè siècle, des miniatures persanes, arabes, mogholes, andalouses, ottomanes dans lesquelles les scènes assez lestes et même érotiques ne manquent pas. Les peintures sous verre qui connaissent un grand succès populaire jusqu’à nos jours.     La peinture figurative de chevalet qui prend son essor à partir du XIXè siècle sous l’influence des Romantiques européens. L’utilisation de la photographie et la présence obsédante des portraits des chefs d’État dans tous les pays musulmans, même les plus rigoristes. La production, depuis le début du XX è siècle, des  cinéastes arabes, persans, indiens.
         Parallèlement à cette tradition, s’est développée celle des iconoclastes. Elle commence avec le calife Omeyyade Yazki II (720-724) qui a ordonné la destruction des images dans les églises, les monastères et sur les places publiques. Elle se poursuit lors de la conquête vers l’Est.          Le souverain Afghan Mahmoud de Ghazna (970- 1030) surnommé « Le briseur d’idoles » a détruit sculptures et peintures des temples indiens.

On peut multiplier les exemples.

         Dans la période contemporaine, l’Arabie saoudite est le bastion du conservatisme iconoclaste. Elle a encouragé la création de la confrérie des Frères musulmans en Égypte, en 1928, et financé depuis la montée de l’islamisme rigoriste.
         Après la proclamation de la République islamique d’Iran, en 1979, l’ayatollah Khomeyni avait voulu interdire la musique et envisagé la destruction des temples de Persépolis. Non seulement il y a renoncé devant l’opposition populaire mais, en outre, le nombre de murs peints dans les rues, comportant pour certains des représentations figurées, s’est multiplié à Téhéran, et un ancien palais d’Ispahan, décoré de fresques de fêtes où l’on boit, a été rouvert au public.
         En revanche, en Afghanistan, les talibans qui avaient pris le pouvoir avec le soutien de l’Arabie saoudite et des États-Unis, ont détruit, en 2001, de superbes bouddhas millénaires sculptés dans la roche que tous les musulmans avaient pourtant respectés depuis la conquête par les Arabes en 651.


LE SACRE HORS RELIGION : Notes Elio Cohen Boulakia
Colloque Iresco du 7 & 8 février 2005 Paris

            Sacré, profane…où ces valeurs trouvent-elles aujourd’hui refuge, dans notre monde occidental marqué par « la sortie de religion » et le « désenchantement du monde » ?
            Désinstitutionnalisé, devenu invisible du fait même de sa privatisation, le concept de religion aurait-il perdu de sa pertinence, du fait de l’individualisation du rapport au sens ?
            Mais faut-il parler de réinvestissement du sacré, de transfert de sacralité comme si l’homme ne pouvait se passer d’absolu ?
            En vérité, la question du sacré hors religions n’est pas nouvelle et les XIXeme et XXeme siècle n’ont pas cessé de se la poser : les religions politiques, ou religions séculières, qui sont nées de l’exaltation de la nation, de la patrie, des hypernationalismes et des expériences totalitaires (nazisme, stalinisme, maoïsme) ont tout emprunté au religieux : la foi, le dogme, le culte, le mythe, les rites, la communion….
            Dans le cadre de l’individualisme démocratique des sociétés occidentales, on a vu surgir au cours des quarante dernières années sur fond de sortie de religions, un foisonnement de croyances nouvelles dont le « New Age » des années 60 est un bon exemple : paganisme naturaliste, teinté d’ésotérisme oriental et influencé par le millénarisme. Un véritable bric à brac qui mêle à des préoccupations de bonne santé et de mieux être une nébuleuse de croyances mystiques, psychospirituelles. Ces nouvelles formes du croire para-religieux qui se développent bien évidemment à l’extérieur des institutions classiques donnent lieu parfois à la constitution de collectivités restreintes, évolutives, non  pérennes. Elles n’échappent pas toujours au danger de la constitution de sectes.
            Mais dans notre société ultramoderne, marquée par une légitimité radicalement individualiste, peut-on repérer de nouvelles productions de sacralité qui passeraient par une individualisation du rapport au sacré ?
            N’y aurait-il pas à l’œuvre sur le plan éthique ou sur le plan identitaire de nouvelles absolutisations du sens ? Qui s’accomplirait à l’insu même des acteurs ? De nouveaux dispositifs culturels producteurs d’absolu ? Des nouvelles constructions symboliques qui reproduiraient du sacré ?
            Le sacré étant ce qui mérite le sacrifice et interdit le sacrilège, qu’est ce qui, pour un citoyen de nos société occidentales, légitime aujourd’hui le sacrifice?
            Où voit-on à l’œuvre des transferts de sacralité, transferts qui s’opèrent sous nos yeux sans qu’on y prenne garde ?

  • L’augmentation de la fréquentation des musées (pour laquelle on est prêt à accepter de longues files d’attente) va de pair avec la désertion des églises
  • On assiste à une reprise du lexique mystique dans les descriptions de l’émotion esthétique qu’on peut éprouver face à une œuvre d’art
  • Le lien amoureux est très souvent sacralisé
  • Les stars du sport, de la mode, du show biz font souvent l’objet d’une véritable sacralisation
  • On retrouve une nouvelle sacralité dans la façon de traiter les « biens publics mondiaux », les droits de l’homme, ou l’engouement pour  l’humanitaire….
  • Le désir de santé parfaite joint au goût du « naturel » peut devenir pour certains, une référence absolue
  • Les débats sociaux contemporains sur la question de la limitation de la recherche génétique, sur l’homoparentalité…ne sont plus dominés par le point de vue des religions mais par des références à la nature de l’homme, à ce qui est « bon » …

Ces débats nous plongent au cœur même du travail qu’elle accomplit sur elle-même d’une société en recherche pour fonder des principes éthiques compatibles avec l’exigence démocratique d’une société d’individu ; qui est à la recherche de nouveaux absolus dans une société du relativisme.


 

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