A propos d’Indigènes
(billet d’humeur)
Indigènes est un film qui va au cœur. En penseront ce qu’ils voudront, ceux qui font profession de rigorisme esthétisant, intellectualisant…, l’important ici et aujourd’hui est que le film aille au cœur. On a émis des reproches : schématisation de certaines situations historiques, pédagogisme quant aux traitement des caractères (les personnages) –les formidables acteurs n’étant pas en cause, bien au contraire…, l’important est que ce film nous touche au sentiment, qu’il parle à l’intelligence du cœur. Il ramène nos concitoyens à cette considération simple, essentielle et presque toujours effrayante au commun des mortels, donc contournée : « l’autre » est en nous et nous sommes dans l’autre. Roger Marinez, le sergent (-chef) pied-noir, illustre au plus près le caractère ultra-sensible de cette réalité et des contradictions qui l’accompagnent. Le parler arabe des hommes, avec sous-titrage, est un choix relevant de la même intention, à mettre au crédit du film de Bouchareb ; il nous aide ainsi à dépasser des représentations nuisibles
On a parlé –aux States notamment, et non sans un brin d’ironie déplacée- de l’efficacité à l’américaine d’Indigènes. Eh bien ! Pourquoi pas, si c’est une voie pour une prise de conscience, même tardive, dans notre société, de l’injustice faite à ceux que Pascal Bruckner, dans un passage récent à France Inter qualifiait anachroniquement de « Beurs » alors qu’ils n’étaient véritablement, au temps des colonies, que des « indigènes ».
La salle du cinéma municipal était pleine d’une foule gagnée d’avance à la réalisation de Bouchareb (à Casablanca, ce soir-là, pour y présenter son film) ; elle a applaudi vigoureusement à la fin de la projection. Je songeais qu’à ce même moment une exposition de photographies sur les « chibanis » -les vieux travailleurs immigrés de la ville, parmi lesquels des anciens combattants- que nous avons montée dans le Foyer Sonacotra local, ne voyait passer presque personne depuis quinze jours qu’elle est ouverte au public ; je ne pouvais oublier qu’une raison importante en est que le service communication de la ville n’a pas donné l’information concernant cette première culturelle dans la commune, malgré notre demande, et que l’invisibilité du Foyer -c’est à dire de ses résidents- dans la ville, demeure encore un fait criant.
Nous avons dit « contradictions » ? A l’instar de Sade qui gueulait de sa prison : « Français, encore un effort pour être républicains », gueulons : « Français, encore un effort pour être fraternels !
Bernard Zimmermann, 5 octobre 2006
PS. Les autorités algériennes ont refusé un visa à l’acteur Djamel Debouz puis se sont murées dans le silence. A quand un film « Indigents » ?
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