Le texte qui suit est paru dans le n° 26 de
la revue Diasporiques sorti en juin 2003; il fait suite à
l'engagement d'une réflexion sur le thème de la
laïcité menée par le Cercle Gaston Crémieux
depuis plusieurs mois.
C'est avec leur aimable autorisation que nous livrons ce texte
à votre réflexion. Il vise à la "reconnaissance
des faits culturels comme relevant de la sphère publique".
Cette démarche est en rupture avec la démarche de
l' acception la plus courante de la laïcité, qui refoule,
dans la sphère privée, la richesse que constitue
la pluralité des cultures, laquelle est un élément
constitutif de la nation .
Reconnaître l'expression de la pluralité des faits
culturels, n'est pas pour autant accepter que certains citoyens
se définissent comme membres d'une communauté régie
par des règles qui organisent la vie sociale sans respecter
le pacte républicain qui fonde l'unité de la nation.
Repenser la laïcité sans verser dans le communautarisme,
un défi, un challenge? Qu'en pensez-vous?
L’article
premier de la Constitution établit que « la
France est une République indivisible, laïque, démocratique
et sociale. Elle assure l’égalité devant
la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine,
de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ».
L’indivisibilité affirmée de la République
interdit toute possibilité de la cliver en sous-ensembles
– le cas échéant communautaires –
juxtaposés. Mais l’énoncé solennel
de ce principe, dès les premiers mots de la Loi fondamentale,
témoigne aussi du constat de la pluralité constitutive
de la nation. La laïcité est, elle, au premier degré,
affirmation de l’indépendance de la République
vis-à-vis de toutes les Églises. Cette interprétation,
la plus courante, est néanmoins réductrice : elle
est le reflet des luttes historiques qui conduisirent à
l’adoption de la Loi de 1905 de séparation des
cultes et de l’État. Le principe de laïcité
pourrait fort bien, alternativement, être interprété
de façon positive et exprimer une volonté de reconnaissance
réciproque et d’intégration des cultures
qui, dans leur multiplicité et leurs échanges,
constituent la trame du peuple français. La racine étymologique
du mot laïque (le peuple) au demeurant nous y invite. Quant
à l’assurance de l’égalité
des citoyens devant la loi, sans distinction d’origine,
de race ou de religion, et à l’affirmation du respect
de toutes les croyances, elles consacrent avant tout le caractère
heureusement reconnu comme inviolable de la sphère privée.
Ces principes n’interdisent
nullement la reconnaissance par la République des faits
communautaires, historiques et culturels, constitutifs
de la nation, en tant que parties prenantes de l’espace
public.
Encore faut-il éviter
le piège qui consisterait, pour ce faire, à confondre
les faits de cette nature (qui relèvent de représentations
collectives, abstraites) avec des ensembles d’individus
définis comme les membres, identifiables, d’une
soi-disant communauté. Il ne saurait certes
exister de faits communautaires, historiques et culturels qui
ne soient portés par des individus. Mais il est essentiel
de refuser la démarche inverse : définir des individus
par leur seule appartenance à telle ou telle entité
communautaire spécifique. Chaque citoyen doit rester
libre de son ou de ses appartenances ou, plus généralement,
de ses liens avec tel ou tel fait communautaire, historique
ou culturel ; ou encore, bien sûr, de refuser formellement
tout lien de cette nature.
La double affirmation
de l’existence des faits communautaires, historiques et
culturels, et de l’impossibilité d’en réduire
la représentation à des ensembles identifiables
d’individus pose directement la question, délicate,
de leur expression opératoire dans l’espace public.
Ce que l’on ne doit pas faire est clair : utiliser à
cette fin des procédures électives directes, mimétiques
de l’organisation démocratique de la République.
En procédant ainsi, on tomberait inévitablement
dans le piège de l’enfermement communautariste.
Les faits à représenter étant par nature
de l’ordre du collectif, il est impératif de prendre
appui, pour ce faire, sur une multiplicité de corps intermédiaires,
porteurs, pour chacun d’eux, d’une facette spécifique
du fait concerné. Et il est non moins essentiel de maintenir
cette diversification à tous les niveaux d’organisation
de ladite représentation. Si une expression nationale
unifiée des cultes est concevable, elle n’aurait
strictement aucune légitimité s’agissant
des cultures, compte tenu de leur complexité, de leurs
intrications et de leurs capacités interactives. Ne pas
le reconnaître conduirait là aussi, inévitablement,
à entrer dans le jeu du communautarisme.
Nous demandons donc
que s’ouvre sans retard une réflexion collective
et audacieuse sur les modalités d’expression des
faits culturels et communautaires en tant que composantes
de l’espace public. Nous souhaitons qu’y participent
tous les citoyens et toutes les instances percevant l’intérêt
de considérer ainsi ces faits comme biens publics
communs de la nation et de l’humanité.
Bien au fait des difficultés
de cette entreprise, nous avons néanmoins conscience
qu’elle porte sur des questions aujourd’hui déterminantes
pour l’avenir de la République et pour la préservation
et l’enrichissement des valeurs qu’elle véhicule.
http://www.cercle-gaston-cremieux.org
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