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Révolte des banlieues : pourquoi font-ils ça ? comment en sortir ? L'analyse de Bernard Zimmermann, Communiqué de l'association des jeunes de Vigneux, une invitation à réfléchir ,Yves Bonnefoy

« « Pourquoi font-ils ça ? » (téléchargement)
Leurs réponses : « on parle de nous » ; « pourquoi « il » nous a traités de « karcher » ? »
Soient deux éléments = deux pistes.
« Il » : Sarkozy, ministre de l’intérieur, représentant –et détenteur- du pouvoir au plus haut niveau, l’Etat.
« Nous a traités de « karcher » » : « traiter » est un mot fort chez les « jeunes des cités » (« Madame, il m’a traité » : explication –sous-entendue- « c’est pour ça que je l’ai cogné »). Aussi fort que le mépris porté par « karcher », expression inédite -même dans les cités qui pourtant sont fécondes en néologismes- probablement destinée à faire fortune (« karchériser » quelqu’un, quelques-uns…) à cause de sa charge représentative de violence et de mépris.
Donc, mépris = contraire de « respect », autre valeur forte chez les « jeunes des cités » (« Madame, il m’a manqué de respect = explication –sous-entendue- pour justifier que je l’ai cogné).
Donc, mépris et violence venant du plus haut niveau de l’Etat, de celui qui est, théoriquement, garant de « l’ordre et de la sécurité ».
On arguera que le Ministre visait seulement les mauvais garçons. C’est ignorer les comportements et les solidarités de groupe –et les représentations de groupe, parties intégrantes de la « culture des cités » (mais ce n’est pas différent ailleurs).
Les « mauvais garçons » donc ? Mandrin, Cartouche, Robin des Bois étaient des mauvais garçons qui n’avaient pas une si mauvaise image que ça chez les peuples de leur temps.
D’ailleurs, les « mauvais garçons » des cités (la « racaille », dit le Ministre –et pas seulement lui) - très connoté socialement, l’expression « racaille », on est même fier d’être « caïra » face aux beaux quartiers, ça fait trembler les jeunes filles bichonnées – les « mauvais garçons » des cités, donc, sont souvent ceux qui ont « réussi » -des modèles pas forcément à ne pas suivre quand on est dans la désespérance de tout.
Désespérance de bosser un jour, désespérance de consommer, désespérance d’avoir, un jour, un logement, une femme, une famille, désespérance d’aller voir le reste du monde, qui existe - on le voit à la TV, désespérance d’avoir des rêves, désespérance d’avoir tout court, mais aussi désespérance d’être reconnu, reconnu humain, reconnu avec un père qui a une histoire et qu’on finit par mépriser tant on l’a vu humilié, désespérance que son histoire à soi soit occultée, niée –d’ailleurs, quelqu’un a dû nous la voler car on ne la connaît même pas. Désespérance donc, non seulement d’avoir –comme tout le monde « normal (« normal », voilà un autre mot fort des cités) mais aussi désespérance d’être. Exister.
On n’existe pas quand on est méprisé, de père en fils. « Karcher ! il a dit « karcher ». Pourquoi ? On est des roues de voitures, nous ? »
Par contre, on existe dans et par un groupe, le groupe de la tessi, le groupe avec son territoire. Connaissez-vous des groupes qui ne marquent pas leur territoire ? Mon territoire, c’est ma vitrine identitaire, mais surtout mon biotope, ma niche écologique. Souvenons-nous : « Die Wacht am Rhein (la garde au Rhin) », « Nous l’avons eu, votre Rhin allemand, nos chevaux ont bu dedans », répond l’autre. « Touche pas la femme blanche », dit encore un. La femme, un autre territoire. Autre histoire.
On existe quand « on parle de nous ». Vieux, très vieux comportement. Les révoltes paysannes, les révolutions ont toujours été du fait de ceux dont on ne parle pas. Ni les chroniqueurs d’antan, ni les historiens modernes n’ont jamais parlé –nulle part, ni chez les Arabes, ni chez les Incas, ni chez nous- des paysans, des pauvres, des sujets, des caïras… Aujourd’hui…
Aujourd’hui, la presse, les médias, le « système » démultiplient l’angoisse d’être, parce qu’ils donnent à croire qu’on n’existe que s’ils ont parlé de nous.
Catherine Deneuve existe, les garçons et les filles du loft et de la Star ac’ existent, Ben Laden existe, Zarkaoui… (on sait pas si Zarkaoui existe réellement mais il existe dans les médias)… La caïra rejoint dans cette course à l’être médiatique les postulants au Goncourt, au Médicis, au Renaudot etc. On veut être édité –ne serait-ce qu’une fois, même pour un roman absolument merdique- mais pour qu’on parle de soi, ne serait-ce qu’une fois. Exister. Exister. Exister.
Alors, dans les cités comme ailleurs, exister = question décisive. Centrale.
Mais exister, ce n’est pas –peut-être- ça ne se ramène pas –sûrement- à faire parler de soi. Et si le groupe est indispensable, la personne –pas l’individu (la personne est un être moral, l’individu un étant statistique) – la personne donc existe en soi et par soi, c’est à dire par les valeurs qui la supportent.
« Valeur » est un mot-clé –mieux, une quête- dans les cités. Les gens de l’extérieur devraient parfois tendre l’oreille au passage de deux ou trois jeunes à la casquette renversée, visière sur la nuque. C’est de valeurs qu’il s’agit profondément, pas toujours mais suffisamment pour être significatif, dans leurs échanges. On reconnaîtrait alors que la caïra c’est de l’humain. Si ce qui fait la noblesse, sinon l’identité même de l’humain, c’est l’interrogation sur soi.
Donc, « faire parler de soi », brûler des usines, des commerces, des écoles… Pourquoi pas des gens ? On n’est plus sous contrôle, on n’a plus le contrôle de soi ; on est « aliéné ». Le « karcher » était le mot de trop. Le mot qui rend fou ? Qu’est-ce que la « folie » ? En tout cas, « De trop » veut dire que la coupe était pleine. D’autres disent que l’étincelle allume le feu quand le champ est déjà bien sec.
Il n’est pas de terrain –surtout brûlé d’ailleurs- ni même de sol stérilisé du fait de la stupidité des hommes et/ou la cruelle nécessité où ils sont parfois de gratter la terre pour survivre, qui ne soit régénérable. C’est une question de savoir, de savoir-faire et de temps –pas forcément très long. Et de travail, bien sûr. Et aussi, il n’y a pas à avoir peur de le dire : une question d’amour.
J’ai souvenir d’Abdelazziz, qui ramena ses frères de l’immense cité de la Source, à Orléans, du caillassage des autobus au respect d’eux-mêmes, déclarant à une assemblée réunie-là pour comprendre les « fractures » chez les « jeunes des banlieues » : « Vous ne savez pas combien il y a d’amour chez ces jeunes. ».
Les médiations –c’était la suite même de l’intitulé du forum en question –reprenons-en le terme- seraient donc, pour résumer : le travail (à la fois acte de production, acte de libération matérielle, financière, et valeur) ; la culture, qui comprend : transmission de valeurs, éducation, éducation populaire (des adultes), connaissance (co-naissance), communication (dont communication interculturelle) ; l’action citoyenne, qui parachève la construction de la personne en combinant à son identité morale la dimension -l’être- politique.
Tout cela, certes, souffre d’un déficit pluri-décennal, et pas seulement dans les banlieues, et pas seulement chez « ceux issus de l’immigration » (au rang des déficits, par exemple, l’absence manifeste d’un message clair et fort à la Nation – à la Nation entière et pas à telle ou telle corporation- pour faire passer les finalités de l’Education nationale). Mais on peut et on doit opérer des rattrapages, quelque soit le temps nécessaire pour y arriver. L’essentiel est que dès que les premiers gestes, les premiers pas, on travaille à la confiance réciproque. Simple question de civilisation.
Dans l’immédiat, « action citoyenne » signifie ne pas laisser le gouvernement seul face à des jeunes émeutiers désespérés –voire irresponsables, sinon manipulés- qui ont de surcroît, plus ou moins en tête des modèles d’importations comme celui de l’Intifada. Des interventions spontanées de la population dans certaines cités du 93 indiquent que le bon sens populaire donne déjà des pistes à suivre : descendre dans la rue pour discuter entre adultes, là-bas ; cela doit être aussi possible ailleurs, sur les lieux de vie et de travail ; les associations peuvent contribuer à une mobilisation citoyenne, soutenir les habitants mais aussi les élus de base, les maires dont beaucoup font preuve dans les circonstances actuelles –eux aussi- d’un bon sens dont semblent manquer singulièrement les parlementaires et les partis politiques. Parmi ces derniers, ceux de gauche qui ont les yeux braqués sur des échéances électorales. La gauche qui a tant manqué d’esprit de responsabilité au sujet de ces grandes questions lorsqu’elle était au pouvoir, aurait tort de s’imaginer qu’elle a quelque chose à gagner à enfoncer le gouvernement actuellement, quelle que soit la part de responsabilité de celui-ci dans la situation présente. L’image de la gauche dans les banlieues n’est pas meilleure que celle de la droite. Prévert disait : « il ne faut pas laisser les intellectuels jouer avec les allumettes » ; le paraphrasant, on peut dire : « Il ne faut pas laisser les politiciens jouer avec la politique. » L’action citoyenne, la responsabilité citoyenne, sont l’affaire des citoyens eux-mêmes ; jamais, depuis 1968, et plus encore qu’alors –de façon inédite de surcroît- nous n’avons été placés devant une telle exigence.

Bernard Zimmermann 5 novembre 2005.

P.S. 1. Je n’ai pas abordé la question de la répression. Sarkozy, Chirac se sont largement exprimés là-dessus. « Force doit rester à la loi », bien sûr. Le problème est qu’il faut éviter à tout prix que cette force ne finisse par être celle des armes car le résultat serait pire que la situation ante, et nous risquerions fort d’y perdre notre âme. Retour à la case citoyenne.

P.S. 2. Notre association, Soleil en Essonne, qui travaille sur le terrain pour la compréhension de ces faits de sociétés, l’éducation populaire et des médiations culturelles, depuis plusieurs années, va prendre ses responsabilités, un Bureau en débattra ce jour.

Yves Bonnefoy,
Professeur au Collège de France.
Leçon inaugurale
faite le vendredi 4 décembre 1981

"Et je vois d'ailleurs que cette époque qui a disqualifié toute expérience intérieure, c'est elle aussi qui, pour la première fois dans l'histoire, se
tourne avec nostalgie vers les arts et la poésie des temps où la relation des individus et du sens était l'unique souci de la réflexion collective. A moins qu'elle ne préfère, sous les feuillages séchés des "cités sans soir", multiplier les actions erratiques d'une violence en apparence gratuite, mais qui signifie chez l'incendiaire désespéré le désir à jamias humain d'être un sujet responsable, et d'accéder ainsi à la liberté. Si la déconstruction de l'antique visée ontologique peut apparaître, à un certain plan, un impératif de la
connaissance, voici en tout cas que son affaiblissement dans des situations
concrètes s'accompagne d'un risque de décomposition et de mort pour la société
entière."

Association des Jeunes Vigneusiens
3 avenue de la concorde
91 270 Vigneux-sur-Seine
-Communiqué-
(téléchargement)

Depuis plus d’une semaine, des émeutes en banlieue parisienne ainsi qu’en province troublent l’ordre public.

En temps que jeunes citoyens de nos quartiers, engagés socialement, nous tenons à prendre position sur la situation, d’autant plus que Vigneux-sur-Seine, bien calme depuis fort longtemps, n’a pas échappé à ces évènements.

En premier lieu, dans l’immédiat, le retour de l’ordre public est bien sûr la priorité absolue.
Aussi, nous attendons que la lumière soit faite sur les évènements de Clichy sous bois. Les responsabilités dans la mort des deux enfants et l’incident survenu plus tard dans la salle de prière de Clichy doivent être précisées et, dès lors, les sanctions sans complaisance prononcées.
Ensuite, à moyen-long terme, une réflexion profonde doit être menée sur la réponse adéquate à notre malaise social.
Les politiques menées à l’égard des banlieues depuis quarante années, au-delà des clivages politiques, ont tantôt échoué, tantôt montré leurs limites.

Enfin, c’est pour cela qu’il nous semble, aujourd’hui, que le travail commence localement, par l’éducation au sein de la famille, la formation civique et citoyenne au sein de l’école, aidées par l’engagement citoyen des associations et structures locales. Le travail peut se faire dans le cadre de partenariats entre ces composantes.

A nous de nous former, de nous faire confiance, de nous respecter dans nos particularismes, de dénoncer les récupérations et instrumentalisations dont les banlieues font l’objet, de refuser les peurs que certains médias veulent nous imposer aujourd’hui...pour faire de nos quartiers des espaces de convivialité, de tolérance et d’engagement…

Faisons de Vigneux sur Seine une référence…nous en sommes tous capables…Au travail !!

Vos jeunes concitoyens de Vigneux-sur-Seine sont à votre écoute et comptent sur votre sens de la responsabilité…


Le dimanche 6 novembre 2005
Le bureau de l’Association des Jeunes Vigneusiens

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