« « Pourquoi font-ils ça ? »
(téléchargement)
Leurs réponses : « on parle de nous »
; « pourquoi « il » nous a traités
de « karcher » ? »
Soient deux éléments = deux pistes.
« Il » : Sarkozy, ministre de l’intérieur,
représentant –et détenteur- du pouvoir
au plus haut niveau, l’Etat.
« Nous a traités de « karcher »
» : « traiter » est un mot fort chez les
« jeunes des cités » (« Madame,
il m’a traité » : explication –sous-entendue-
« c’est pour ça que je l’ai cogné
»). Aussi fort que le mépris porté par
« karcher », expression inédite -même
dans les cités qui pourtant sont fécondes
en néologismes- probablement destinée à
faire fortune (« karchériser » quelqu’un,
quelques-uns…) à cause de sa charge représentative
de violence et de mépris.
Donc, mépris = contraire de « respect »,
autre valeur forte chez les « jeunes des cités
» (« Madame, il m’a manqué de respect
= explication –sous-entendue- pour justifier que je
l’ai cogné).
Donc, mépris et violence venant du plus haut niveau
de l’Etat, de celui qui est, théoriquement,
garant de « l’ordre et de la sécurité
».
On arguera que le Ministre visait seulement les mauvais
garçons. C’est ignorer les comportements et
les solidarités de groupe –et les représentations
de groupe, parties intégrantes de la « culture
des cités » (mais ce n’est pas différent
ailleurs).
Les « mauvais garçons » donc ? Mandrin,
Cartouche, Robin des Bois étaient des mauvais garçons
qui n’avaient pas une si mauvaise image que ça
chez les peuples de leur temps.
D’ailleurs, les « mauvais garçons »
des cités (la « racaille », dit le Ministre
–et pas seulement lui) - très connoté
socialement, l’expression « racaille »,
on est même fier d’être « caïra
» face aux beaux quartiers, ça fait trembler
les jeunes filles bichonnées – les «
mauvais garçons » des cités, donc, sont
souvent ceux qui ont « réussi » -des
modèles pas forcément à ne pas suivre
quand on est dans la désespérance de tout.
Désespérance de bosser un jour, désespérance
de consommer, désespérance d’avoir,
un jour, un logement, une femme, une famille, désespérance
d’aller voir le reste du monde, qui existe - on le
voit à la TV, désespérance d’avoir
des rêves, désespérance d’avoir
tout court, mais aussi désespérance d’être
reconnu, reconnu humain, reconnu avec un père qui
a une histoire et qu’on finit par mépriser
tant on l’a vu humilié, désespérance
que son histoire à soi soit occultée, niée
–d’ailleurs, quelqu’un a dû nous
la voler car on ne la connaît même pas. Désespérance
donc, non seulement d’avoir –comme tout le monde
« normal (« normal », voilà un
autre mot fort des cités) mais aussi désespérance
d’être. Exister.
On n’existe pas quand on est méprisé,
de père en fils. « Karcher ! il a dit «
karcher ». Pourquoi ? On est des roues de voitures,
nous ? »
Par contre, on existe dans et par un groupe, le groupe de
la tessi, le groupe avec son territoire. Connaissez-vous
des groupes qui ne marquent pas leur territoire ? Mon territoire,
c’est ma vitrine identitaire, mais surtout mon biotope,
ma niche écologique. Souvenons-nous : « Die
Wacht am Rhein (la garde au Rhin) », « Nous
l’avons eu, votre Rhin allemand, nos chevaux ont bu
dedans », répond l’autre. « Touche
pas la femme blanche », dit encore un. La femme, un
autre territoire. Autre histoire.
On existe quand « on parle de nous ». Vieux,
très vieux comportement. Les révoltes paysannes,
les révolutions ont toujours été du
fait de ceux dont on ne parle pas. Ni les chroniqueurs d’antan,
ni les historiens modernes n’ont jamais parlé
–nulle part, ni chez les Arabes, ni chez les Incas,
ni chez nous- des paysans, des pauvres, des sujets, des
caïras… Aujourd’hui…
Aujourd’hui, la presse, les médias, le «
système » démultiplient l’angoisse
d’être, parce qu’ils donnent à
croire qu’on n’existe que s’ils ont parlé
de nous.
Catherine Deneuve existe, les garçons et les filles
du loft et de la Star ac’ existent, Ben Laden existe,
Zarkaoui… (on sait pas si Zarkaoui existe réellement
mais il existe dans les médias)… La caïra
rejoint dans cette course à l’être médiatique
les postulants au Goncourt, au Médicis, au Renaudot
etc. On veut être édité –ne serait-ce
qu’une fois, même pour un roman absolument merdique-
mais pour qu’on parle de soi, ne serait-ce qu’une
fois. Exister. Exister. Exister.
Alors, dans les cités comme ailleurs, exister = question
décisive. Centrale.
Mais exister, ce n’est pas –peut-être-
ça ne se ramène pas –sûrement-
à faire parler de soi. Et si le groupe est indispensable,
la personne –pas l’individu (la personne est
un être moral, l’individu un étant statistique)
– la personne donc existe en soi et par soi, c’est
à dire par les valeurs qui la supportent.
« Valeur » est un mot-clé –mieux,
une quête- dans les cités. Les gens de l’extérieur
devraient parfois tendre l’oreille au passage de deux
ou trois jeunes à la casquette renversée,
visière sur la nuque. C’est de valeurs qu’il
s’agit profondément, pas toujours mais suffisamment
pour être significatif, dans leurs échanges.
On reconnaîtrait alors que la caïra c’est
de l’humain. Si ce qui fait la noblesse, sinon l’identité
même de l’humain, c’est l’interrogation
sur soi.
Donc, « faire parler de soi », brûler
des usines, des commerces, des écoles… Pourquoi
pas des gens ? On n’est plus sous contrôle,
on n’a plus le contrôle de soi ; on est «
aliéné ». Le « karcher »
était le mot de trop. Le mot qui rend fou ? Qu’est-ce
que la « folie » ? En tout cas, « De trop
» veut dire que la coupe était pleine. D’autres
disent que l’étincelle allume le feu quand
le champ est déjà bien sec.
Il n’est pas de terrain –surtout brûlé
d’ailleurs- ni même de sol stérilisé
du fait de la stupidité des hommes et/ou la cruelle
nécessité où ils sont parfois de gratter
la terre pour survivre, qui ne soit régénérable.
C’est une question de savoir, de savoir-faire et de
temps –pas forcément très long. Et de
travail, bien sûr. Et aussi, il n’y a pas à
avoir peur de le dire : une question d’amour.
J’ai souvenir d’Abdelazziz, qui ramena ses frères
de l’immense cité de la Source, à Orléans,
du caillassage des autobus au respect d’eux-mêmes,
déclarant à une assemblée réunie-là
pour comprendre les « fractures » chez les «
jeunes des banlieues » : « Vous ne savez pas
combien il y a d’amour chez ces jeunes. ».
Les médiations –c’était la suite
même de l’intitulé du forum en question
–reprenons-en le terme- seraient donc, pour résumer
: le travail (à la fois acte de production, acte
de libération matérielle, financière,
et valeur) ; la culture, qui comprend : transmission de
valeurs, éducation, éducation populaire (des
adultes), connaissance (co-naissance), communication (dont
communication interculturelle) ; l’action citoyenne,
qui parachève la construction de la personne en combinant
à son identité morale la dimension -l’être-
politique.
Tout cela, certes, souffre d’un déficit pluri-décennal,
et pas seulement dans les banlieues, et pas seulement chez
« ceux issus de l’immigration » (au rang
des déficits, par exemple, l’absence manifeste
d’un message clair et fort à la Nation –
à la Nation entière et pas à telle
ou telle corporation- pour faire passer les finalités
de l’Education nationale). Mais on peut et on doit
opérer des rattrapages, quelque soit le temps nécessaire
pour y arriver. L’essentiel est que dès que
les premiers gestes, les premiers pas, on travaille à
la confiance réciproque. Simple question de civilisation.
Dans l’immédiat, « action citoyenne »
signifie ne pas laisser le gouvernement seul face à
des jeunes émeutiers désespérés
–voire irresponsables, sinon manipulés- qui
ont de surcroît, plus ou moins en tête des modèles
d’importations comme celui de l’Intifada. Des
interventions spontanées de la population dans certaines
cités du 93 indiquent que le bon sens populaire donne
déjà des pistes à suivre : descendre
dans la rue pour discuter entre adultes, là-bas ;
cela doit être aussi possible ailleurs, sur les lieux
de vie et de travail ; les associations peuvent contribuer
à une mobilisation citoyenne, soutenir les habitants
mais aussi les élus de base, les maires dont beaucoup
font preuve dans les circonstances actuelles –eux
aussi- d’un bon sens dont semblent manquer singulièrement
les parlementaires et les partis politiques. Parmi ces derniers,
ceux de gauche qui ont les yeux braqués sur des échéances
électorales. La gauche qui a tant manqué d’esprit
de responsabilité au sujet de ces grandes questions
lorsqu’elle était au pouvoir, aurait tort de
s’imaginer qu’elle a quelque chose à
gagner à enfoncer le gouvernement actuellement, quelle
que soit la part de responsabilité de celui-ci dans
la situation présente. L’image de la gauche
dans les banlieues n’est pas meilleure que celle de
la droite. Prévert disait : « il ne faut pas
laisser les intellectuels jouer avec les allumettes »
; le paraphrasant, on peut dire : « Il ne faut pas
laisser les politiciens jouer avec la politique. »
L’action citoyenne, la responsabilité citoyenne,
sont l’affaire des citoyens eux-mêmes ; jamais,
depuis 1968, et plus encore qu’alors –de façon
inédite de surcroît- nous n’avons été
placés devant une telle exigence.
Bernard Zimmermann 5 novembre 2005.
P.S. 1. Je n’ai pas abordé la question de
la répression. Sarkozy, Chirac se sont largement
exprimés là-dessus. « Force doit rester
à la loi », bien sûr. Le problème
est qu’il faut éviter à tout prix que
cette force ne finisse par être celle des armes car
le résultat serait pire que la situation ante, et
nous risquerions fort d’y perdre notre âme.
Retour à la case citoyenne.
P.S. 2. Notre association, Soleil en Essonne, qui travaille
sur le terrain pour la compréhension de ces faits
de sociétés, l’éducation populaire
et des médiations culturelles, depuis plusieurs années,
va prendre ses responsabilités, un Bureau en débattra
ce jour. |
Yves Bonnefoy,
Professeur au Collège de France.
Leçon inaugurale
faite le vendredi 4 décembre 1981
"Et je vois d'ailleurs que cette
époque qui a disqualifié toute expérience
intérieure, c'est elle aussi qui, pour la première
fois dans l'histoire, se
tourne avec nostalgie vers les arts et la poésie
des temps où la relation des individus et du
sens était l'unique souci de la réflexion
collective. A moins qu'elle ne préfère,
sous les feuillages séchés des "cités
sans soir", multiplier les actions erratiques d'une
violence en apparence gratuite, mais qui signifie chez
l'incendiaire désespéré le désir
à jamias humain d'être un sujet responsable,
et d'accéder ainsi à la liberté.
Si la déconstruction de l'antique visée
ontologique peut apparaître, à un certain
plan, un impératif de la
connaissance, voici en tout cas que son affaiblissement
dans des situations
concrètes s'accompagne d'un risque de décomposition
et de mort pour la société
entière."
|
Association
des Jeunes Vigneusiens
3 avenue de la concorde
91 270 Vigneux-sur-Seine
-Communiqué- (téléchargement)
Depuis plus d’une semaine, des émeutes
en banlieue parisienne ainsi qu’en province troublent
l’ordre public.
En temps que jeunes citoyens de nos quartiers,
engagés socialement, nous tenons à prendre
position sur la situation, d’autant plus que Vigneux-sur-Seine,
bien calme depuis fort longtemps, n’a pas échappé
à ces évènements.
En premier lieu, dans l’immédiat,
le retour de l’ordre public est bien sûr la
priorité absolue.
Aussi, nous attendons que la lumière soit faite sur
les évènements de Clichy sous bois. Les responsabilités
dans la mort des deux enfants et l’incident survenu
plus tard dans la salle de prière de Clichy doivent
être précisées et, dès lors,
les sanctions sans complaisance prononcées.
Ensuite, à moyen-long terme, une réflexion
profonde doit être menée sur la réponse
adéquate à notre malaise social.
Les politiques menées à l’égard
des banlieues depuis quarante années, au-delà
des clivages politiques, ont tantôt échoué,
tantôt montré leurs limites.
Enfin, c’est pour cela qu’il nous
semble, aujourd’hui, que le travail commence localement,
par l’éducation au sein de la famille, la formation
civique et citoyenne au sein de l’école, aidées
par l’engagement citoyen des associations et structures
locales. Le travail peut se faire dans le cadre de partenariats
entre ces composantes.
A nous de nous former, de nous faire confiance,
de nous respecter dans nos particularismes, de dénoncer
les récupérations et instrumentalisations
dont les banlieues font l’objet, de refuser les peurs
que certains médias veulent nous imposer aujourd’hui...pour
faire de nos quartiers des espaces de convivialité,
de tolérance et d’engagement…
Faisons de Vigneux sur Seine une référence…nous
en sommes tous capables…Au travail !!
Vos jeunes concitoyens de Vigneux-sur-Seine
sont à votre écoute et comptent sur votre
sens de la responsabilité…
Le dimanche 6 novembre 2005
Le bureau de l’Association des Jeunes Vigneusiens
|