Azrakn°7: Interculturalité,
spatialisations et dynamiques sociales :
Anne-Marie Vaillé
Présidente de séance.
Synthèse des interventions de la soirée du 18 mars
et amorce du débat : Marie-Jo Blot.
On va essayer de brosser à grands traits une synthèse
des interventions d'hier soir et des contributions écrites.
Notre classement n'a pas été aussi simple qu'on
l'imaginait. Ces interventions venaient de trois domaines : le
domaine professionnel, le domaine associatif, et le domaine religieux,
cultuel. Mais on s'est aperçu qu'on peut-être professionnel
dans une association, du coup notre belle harmonie est un peu
rompue... Du domaine professionnel, on a entendu des interventions
d'éducateurs de rue travaillant dans un milieu associatif,
et de l'Éducation nationale ; on n'a pas entendu l'intervention
de l'orthophoniste-thérapeuthe, dont on a un texte dans
le cahier des contributions écrites. Du milieu associatif,
on a entendu Génération Femmes et le Club Unesco
du lycée de Montgeron, et l'on a une intervention écrite
à propos de l'animation du groupe de parole de femmes à
Saint-Exupéry, à Montgeron. Enfin dans le domaine
cultuel, l'intervention concernant les rapports entre le diocèse
d'Evry et les musulmans, le dialogue islamo-catholique. Un certain
nombre de difficultés ont été soulignées
: difficultés structurelles liées aux institutions,
au fonctionnement des institutions dans lesquelles les uns et
les autres étaient acteurs, des difficultés liées
aussi à des représentations ou des préjugés
qu'une communauté peut avoir à l'encontre d'une
autre, préjugés de tout bord avec une tendance à
la radicalisation de certains points de vue.
Ainsi on a fait part de certains durcissements dans la communauté
catholique, dont on parle pudiquement, qui font pendant à
un certain durcissement qu'on observe aussi du côté
des musulmans. J'ajouterai un certain durcissement également
du côté des laïques. Difficulté dues
en particulier à la gestion des héritages, héritages
historiques, au niveau de l'Histoire, avec un grand H, mais aussi
au niveau des histoires personnelles, et puis des héritages
culturels des uns et des autres.
A ce propos on a observé que lorsqu'on parle d'interculturel,
spontanément on pense aux relations entre les groupes,
entre des pays ou des ethnies, mais qu'il pouvait s'agir tout
aussi bien de chocs entre générations, que de chocs
entre le monde de la rue et la société ordinaire,
les jeunes de la rue sont dans une position de contestation de
la société telle qu'elle est
Face à cela, des réponses recueillies. On a relevé
des points communs : ils concernent les conditions d'écoute,
la nécessité de donner la parole. Essayer d'amener
à écouter et non pas juger ; provoquer des réunions
avec des intervenants ; développer des projets communs,
un vécu commun.
A la suite de cela, ont été posées beaucoup
de questions, en particulier des questions tournant autour du
"comment"; comment en arriver à proposer quelque
chose ? Une réponse valable au lycée, par exemple,
est-elle valable ailleurs ? On s'est posé aussi la question
d'une certaine illusion, peut-être, qu'on peut se faire
de l'interculturel. A écouter tout le monde, hier, on a
eu l'impression que l'interculturel c'était facile. Bien
sûr, chacun a fait état de ses difficultés,
mais il nous semble important de réfléchir au passage
entre un premier niveau d'échange qui permet de connaître
et de se reconnaître mutuellement, et une démarche
de rencontre et de dialogue en profondeur. On a eu un peu l'impression
que, souvent, ce qui nous faisait défaut c'était
la capacité à quitter un mode superficiel de la
connaissance mutuelle, de l'échange ; d'où, question
: comment faire pour que ceci entre réellement en chacun
et dans les cultures ?
Puis, la question de la durée a aussi été
posée. Certains ont fait état de la difficulté
qu'ils pouvaient avoir à ce sujet, quand ils avaient organisé
quelque chose vis à vis des migrants, par exemple, qui
sont extrêmement mobiles. Donc, un travail interculturel
en profondeur ne se fait pas, semble-t-il, dans l'éphémère,
et pourtant on a quelquefois affaire à un public qui est,
lui, dans l'instabilité, le passage. Comment faire, alors,
lorsqu'on a des données sur lesquelles on a aussi peu de
prises ?
Anne-Marie Vaillé.
Nous retenons qu'il y a à surmonter des préjugés
et –question archi-fondamentale: que fait-on de nos héritages
individuels quand on veut les mettre en commun ? Dans les réponses,
il y avait un peu d'angélisme, consistant à dire
: "On est tous heureux de se rencontrer." C'est bien,
mais peut-on se contenter de cette chose ? Peut-on mesurer ce
que ces rencontres auront d'effet réel ? Le problème
de la durée est effectivement un défi.
Michel Séonnet.
La question des réseaux a retenu mon attention.
Anne-Marie Vaillé.
C'est la piste déterminante qui est apparue hier soir :
mettons en synergie les ressources pour arriver à avancer
plus vite et mieux. Tout le monde l'a dit. Il semblerait que c'est
un peu l'état d'esprit du moment. Entre le pessimisme ("Nous
n'avançons pas") et l'optimisme ("Il se fait
plein de choses partout"), il y a cet espace-là, fondamental
; il se fait des choses partout mais on ne sait pas les utiliser
parce qu'on ne sait pas les mettre en lien et en cohérence,
et il n'est pas vrai que nous n'avançons pas.
La parole est maintenant à notre invité, Habib
Tengour.
Interculturalité,
spatialisations et dynamiques sociales : Habib Tengour.
Je suis ethnologue, je travaille sur les phénomènes
d'interculturalité, sur lesquels j'ai un enseignement.
J'enseigne la sociologie à l'Université d'Evry,
l'anthropologie à Paris VII. Je suis aussi écrivain.
J'ai longtemps travaillé en Algérie sur les espaces
culturels traditionnels. En France, j'ai mené des enquêtes
sur les banlieues et quartiers difficiles, puis, sur les vieux
Maghrébins retraités (les "Chibanis"),
dans les foyers. Mon dernier travail, avec le photographe Olivier
de Sépibus, a donné lieu à une publication,
« Retraite » (Ed. Le bec en l’air) ; il se
situe au carrefour de l'ethnologie et du littéraire).
Le travail sur la culture m'intéresse ; l’interculturalité
est une des entrées qui renvoie à l’identité
et l’identité suppose un travail sur la mémoire.
L'interculturalité est une notion assez récente,
elle n'est pas présente dans les dictionnaires. Elle
est apparue en Europe à partir des années 80.
Dès le départ, c'est une notion qui se veut opératoire,
elle n'est pas liée à l'intervention des chercheurs
fondamentaux mais au travail sur le terrain, à l'action,
et aux mesures à trouver pour régler des situations
ponctuelles.
L’interculturel à partir des années 80 devient
en quelque sorte un moyen pour régler les problèmes
liés à l’intégration. On ne va plus
raisonner en termes d’intégration et d’assimilation
trop connotés politiquement mais on va utiliser le terme
apparemment plus neutre d’interculturel.
Par contre, la notion mise en avant par les anthropologues depuis
les années 30 est celle d'"acculturation" ;
cette notion venait des USA, de l'Ecole culturaliste américaine.
Elle est mise en vogue en France vers la fin des années
70 et pendant les années 80.
Vous trouvez en fin du cahier à votre disposition la
définition classique de la culture de Burnett Tylor,
c’est celle sur laquelle tous les anthropologues ont travaillé.
Cette définition renvoie à tout ce que regroupe
la culture pour les anthropologues, c'est-à-dire «
Toute la production de l'homme… » .
Elle diffère de la conception beaucoup plus restreinte
de la culture qui a opposé la France et l’Allemange
dans le Kulturkampf au 19ème siècle, où
étaient opposées la « civilisation »
(représentée par la France), c’est la technique,
la technologie, le raffinement et la « culture »
(représentée par l’Allemagne), ce sont les
productions de l’esprit, le sérieux, etc.
Mais en dehors de ce moment-là, pour les anthropologues
en général, la culture regroupe tout ce qui est
produit en société ; la culture englobe le social
et non pas l'inverse. Le social est partie intégrante
de la culture, ce qui veut dire dans l'optique culturaliste,
que c'est la culture qui va déterminer le comportement
des individus. Et à partir de là si on doit agir
sur un groupe, on doit agir sur les traits culturels pour pouvoir
transformer ses pratiques. Agir pour transformer la société,
c'est d'abord agir sur la culture . Cela c’est depuis
que l’école américaine s’est constituée,
d’abord avec Franz Boas (1858-1942) et surtout ses disciples
qui sont beaucoup plus connus, Margaret Mead, Ruth Benedict,
Ralph Linton…Ils ont tous travaillé sur la culture
; il y a deux courants :
- culture et histoire,
- culture et personnalité.
Le premier s'intéresse aux phénomènes
historiques de diffusion de la culture. Il cherche à
comprendre comment les aires culturelles se propagent, comment
elles se constituent dans un environnement écologique
particulier, etc. Alfred Kroeber représente ce courant.
La culture n'est pas innée mais acquise, elle n'est pas
individuelle mais collective. On ne peut parler de la culture
d’un individu : une culture s’élabore en
groupe dans la durée et elle n’est pas spontanée,
elle est transmise, acquise. Tout est culturel puisque tout
est élaboré socialement, et tout se transmet.
La culture se situe dans une histoire donnée, chaque
culture a sa spécificité liée à
son contexte historique, à la façon dont elle
s’est développée. Cela, c’est le courant
culture et histoire.
Le second courant -culture et personnalité- met l'accent
sur le fait que le comportement et la psychologie des individus
se configurent à l'intérieur d'une personnalité
culturelle collective. C’est la culture qui configure
les personnalités des individus ; Selon que les cultures
sont plus ou moins complexes, elles permettent l'expression
de plusieurs types de personnalités : cela renvoie au
"patron culturel" – au "pattern",
en anglais- de Ruth Benedict. Le « patron » modèle
les individus ; l’individu apprend ces modèles
en famille, à l’école, dans le jeu, dans
les divers lieux de socialisation du groupe. Ainsi l’enfant
intègre ces patrons et il peut alors se projeter dans
tel ou tel modèle.
Selon Ruth Benedict, (sa vision renvoie en cela à la
philosophie nietzschéenne..), il y aurait deux grands
modèles de cultures : celles qui sont douces, pacifiques,
harmonieuses, qui adoptent ce qu'elle appelle le modèle
apollinien, et celles qui vont inciter à la violence,
à l’agressivité, au désordre ; la
personnalité est dite alors "dionysiaque".
Elle a travaillé sur les indiens kwakiutl, les indiens
navajo et pueblo. Elle rend compte de son travail dans un ouvrage
qui a eu un grand succès : Patterns of culture qui a
été traduit en français par Echantillons
de civilisation.
Quant à Margaret Mead, qui a travaillé en Océanie,
elle va encore plus loin ; pour elle tout est culturel ; même
les notions de masculinité et de féminité
n'existent pas en soi, ce sont des acquis culturels ; selon
l'éducation qu’elle aura reçue, la femme
sera donc gentille, douce ; elle s'occupera des enfants.. mais
ce n'est pas partout comme ça…Je n'entre pas dans
ces débats de l'école américaine
Cette Ecole US insistait sur l’importance de la culture.
Les USA étant une société de migrants,
les phénomènes étudiés sont des
phénomènes d'acculturation. Le modèle d'intégration
US n'est pas un modèle unique ; il offre des possibilités
très larges de vivre dans des communautés fermées,
sous réserve d'avoir en commun quelques points : le système
libéral, la langue, etc., qui sont un dénominateur
commun très large.
Très tôt, les chercheurs US se sont posés
la question : "Comment se fait l'acculturation ? est-elle
subie ? recherchée ? L'acculturation se fait–elle
de façon pacifique ou agressive? " Les situations
sont multiples et variables ; si l'on vous contraint ou si vous
êtes opprimés comme cela est le cas pour les indiens
obligés de vivre dans les réserves, l'acculturation
est alors subie. Par contre, pour un migrant qui vient avec
un projet de migration et qui veut s'installer, l'acculturation
sera recherchée. On a là-dessus d'énormes
travaux dont l'un des premiers de l'école de Chicago
de Thomas et Znaniecki qui étudie comment se passe l'intégration
de paysans venus de Pologne et "largués" aux
US.
Quand les anthropologues américains travaillaient sur
la culture, ils partaient de deux postulats :
1. La culture est composée d'un ensemble de traits liés
entre eux par des actions et interactions réciproques,
qui peuvent relever de l'économique, du politique, du
religieux (laïcité, etc.),… Il faut étudier
la configuration des traits culturels .
2. La culture domine le social, ce qui veut dire que :
- la modification des structures, des institutions n'aura pas
d'effets importants ;
- il faut d'abord modifier le système des valeurs pour
que les changements structurels de l'institution soient efficients
; Si l'on n'a pas au préalable modifié l'ensemble
des valeurs, si on ne fait pas bouger les mentalités,
les représentations sont déterminantes ; si on
veut transformer les structures ou les institutions, sans changer
les états d'esprit, les mentalités, les représentations,
on n'a rien fait.
C'est par exemple, ce qu'on a fait dans certains pays quand
on a voulu changer les habitudes de consommation alimentaire
pour rapprocher certaines populations de la culture occidentale.
Autre exemple, dans les années 60, les assistantes sociales
entraient dans les HLM, et apprenaient aux travailleurs immigrés
comment utiliser la salle de bain, (ce n'était pas un
endroit pour élever les poules!)...
Progressivement, on aura des actions liées aux comportements.
Toutes ces données liées à la culture,
et la façon d'intégrer les gens, poussent à
la mise en place de mesures jouant sur des individus, ce sont
des mesures qui agissent sur des comportements individuels.
Ce n'est jamais une culture qu'on a en face de soi, ce n'est
jamais la culture arabe, la culture judaïque ou la culture
chinoise qu'on a en face de soi, ce sont des individus : il
s'agit de faire que les gens soient dans le groupe, de les y
faire entrer par des mesures qui auront un effet sur le comportement
des individus. Il ne s'agit pas de mesure abstraites, elles
portent sur l'apprentissage de la langue, sur la façon
de s'alimenter, d'habiter …
En France, jusque dans les années 60, ces théories
US n'ont pas été prises en considération.
Les théories holistes primaient en France sur les théories
individualistes. Selon les théories holistes, ce sont
les structures, les institutions qui déterminent le comportement
des individus. Le fonctionnalisme et le marxisme représentent
ces théories holistes. Comme les structures sont considérées
comme plus importantes que les comportements individuels, on
va agir sur elles, on agit sur les structures économiques,
sur les structures politiques, pas directement sur le culturel,
celui-ci était secondaire ; le changement des représentations
suivra.
Après 1968, qui est peut-être le dernier point
culminant de l'utopie holiste, (on pensait pouvoir changer la
société du tout au tout), les problèmes
économiques deviennent de plus en plus insolubles.
En outre, après 70, des populations, invisibles jusque
là, deviennent visibles : ce sont les populations maghrébines,
et africaines, elles étaient jusque là invisibles
parce qu'elles étaient dans l'empire colonial. Elles
pouvaient partir, venir, on les voyait comme coloniaux, puis
comme travailleurs migrants.
Mais après les indépendances, l'émigration
a continué et même fortement. Après les
années 70, les populations ne retournent pas chez elles,
contrairement au mythe et aux idéologies qui prévalaient
jusque dans les années 70 avec la théorie de la
"noria" ("ça tourne" = les migrants
viennent et s'en vont, dans ces années là, il
y avait de nombreux va et vient entre l'Algérie et la
France etc…)
Mais à partir de 1973, les frontières se ferment,
ainsi que l'immigration officielle (30 000 personnes par an
jusqu'alors). Puis il y a les regroupements familiaux, des naissances
sur place…
Vers les années 80, à l'école et ailleurs
commencent à se manifester les problèmes des jeunes,
du chômage.
Que se passe t-il ? Ces populations ne "s'intègrent
pas", ou ont des difficultés d'intégration.
On va dire alors que ces difficultés relèvent
du culturel
Les explications marxistes, à l'échelle globale
de la société ne sont pas opérantes. Les
théories culturalistes US gagnent du terrain à
l'université, dans le même temps l'enseignement
de la sociologie marxiste reflue. Ces idées placent le
culturel au premier plan ; on privilégie la notion d'intégration
par la culture.
Les problèmes d'interculturalité comportent
plusieurs dimensions, celle qui m'intéresse, c'est celle
de l'interculturalité liée à l'intégration
de populations de cultures différentes, l'intégration
de populations maghrébines et africaines.
Mais il ya aussi l'interculturalité liée au
management, depuis la fin des années 90, en rapport avec
la délocalisation des entreprises ; des entreprises japonaises
s'installent en Europe, le management européen, japonais,
coréen, n'est pas le même, et on parle alors d'
une interculturalité du management.
Le développement de l'informatique va aussi développer
un autre axe, celui de la "communication" où
l'interculturel est important.
Mais interculturalité-management d'une part et interculturalité
et informatique-communication d'autre part sont deux aspects
qui touchent des cultures qu'on va considérer comme "partenaires".
Tandis que "l'interculturalité" liée
à "l'intégration" touchent des cultures
exotiques, exogènes, "indigènes", des
cultures que pour lesquelles on n'a pas beaucoup de considération.
L"interculturel" devient un euphémisme pour
parler des problèmes d'intégration. Au lieu de
parler d'intégration-assimilation, ces mots qui sont
durs ou difficiles et renvoient à d'autres réalités,
on va penser "interculturalité".
On va chercher dans l'interculturel non une réflexion
réelle sur la culture de l'autre, une approche de la
façon dont les cultures vont s'échanger à
l'école par exemple, mais beaucoup plus un certains nombre
d'instruments ou d'outils capables de régler des problèmes
ponctuels : des problèmes liés à l'apprentissage
de la langue, des problèmes liés à la ségrégation
spatiale, des problèmes liés à l'espace
public, celui de la laïcité notamment puisque le
voile va être un problème important, le plus compliqué
étant celui de l'intégration de l'espace musulman
en France.
Les explications avancées pour comprendre l'intégration
des populations espagnoles, portugaises, polonaises, italiennes…dans
l'espace français, tiennent à ce que ces populations
sont dans la culture occidentale. On voit aujourd'hui des travaux
comme ceux de Samuel Huntington qui parlent du choc des civilisations,
du choc des cultures. "L'autre", pour nous, c'est
celui qui est en face de la Méditerranée, c'est
l'Islam, qui est revu avec tous les fantasmes anciens.
Les difficultés d'intégration seraient liées
aux structures sociales archaïques et à la religion.Voilà
comment le problème est posé.
En réalité, l'interculturel est
à situer dans le rapport Orient-Occident. Si on devait
réfléchir à l'interculturalité ce
serait dans la relation de la culture musulmane avec la culture
occidentale.
Ou bien, c'est là une notion qui ne veut rien dire, ou
bien il y a toujours eu de l'interculturalité ; en effet
il n'existe jamais de culture originelle, toute culture est
déjà traversée de "l'autre".
- Les Romains, par exemple, s'approprient la culture grecque
après avoir vaincu les grecs.
- Le Christianisme est une religion qui vient du monde hébraïque,
un schisme apparaît dans la religion judaïque, ses
adeptes s'installent en Europe, en Occident; c'est aussi une
interculturalité.
- L'Islam, lui-même prend du judaïsme du christianisme,
il s'exporte de l'Arabie vers le bassin méditerranéen.
Le bassin méditérranéen est une zone d'interculturalité
depuis la plus haute antiquité, l'interculturalité
y a été basée sur le commerce et la guerre.
L'Islam s'affirmant, un des lieux de l'interculturalité,
et on le reprend aujourd'hui, c'est l'Andalousie, un modèle
plus ou moins mythique, la réalité devant être
moins idyllique, mais peu importe, l'identité relève
à la fois du réel et du mythe. Dans la quête
de l'identité, on choisit ses mythes ; et ce moment mythique
où chrétiens, juifs et musulmans conversaient
dans des cénacles en Andalousie nous montre que les gens
ont toujours discuté entre eux .
Les Croisades ont été aussi un grand un moment
d'interculturalité, celui où la chrétienté
découvre l'Islam, le raffinement oriental, la liberté
des femmes.
Au XVIème siècle, c'est l'inverse. Quand la Turquie
ayant pris Constantinople va jusqu'à Vienne, cela amène
le déplacement de la capitale de l'empire musulman de
Bagdad et du Caire vers Constantinople ; On est passé
d'un califat à un autre mais le premier califat ottoman
d'Istanbul sera plus tourné vers l'Occident que vers
l'Orient. Et progressivement les modes de vie de l'Occident,
sont introduits à la cour. On y réétudie
aussi les textes anciens, grecs....
Pendant longtemps, la Turquie aura été le grand
allié de la France. En France, les philosophes des Lumières
utilisent l'Orient pour critiquer l'intolérance de l'Eglise,
le pouvoir politique…L'Orient sera longtemps une métaphore
pour permettre de l'intérieur la critique de l'Occident.
Dés que la France et l'Angleterre passent à l'ère
industrielle, il y a le besoin de conquérir des marchés,
et les marchés qui étaient juste en face et à
côté, ce sont les pays musulmans. Les premières
conquêtes couvrent l'Egypte, l'Inde, le Proche Orient,
le Maghreb dés la fin XVIIIéme -début du
XIXème siècle. Les pays du Maghreb, au XIXèmesiècle,
sont des pays d'Orient confrontés aux pays d'Occident.
L'arrivée de Napoléon en Egypte avec les imprimeries
… entraîne de la part de Mehemet Ali une campagne
de "modernisation". On voit à Paris, les premiers
étudiants égyptiens, dans les années 1830.
On a un des premiers textes arabes de ce qu'on a appelé
la "Renaissance arabe" (la Nahda), celui d'un cheikh,
c'est-à-dire d'un Imam, une sorte d' "aumonier"
des étudiants. Le Cheikh Rifaa Tahtâwi a résidé
à Paris de 1826 à 1831 ; il décrit la capitale
française avec un regard très tendre, ce texte
est paru chez Sinbad ; il y décrit les gens de Paris,
un bal. Il n'y a absolument pas la vision que l'Occident serait
un lieu de perdition, de vice, que la femme dévoilée
serait indécente, etc…, comme on le verra plus
tard chez les intégristes.
En Egypte, on ne porte pas de jugement de valeur, négatif
et violent, à l'encontre des étudiants égyptiens
qui viennent étudier en France. Mais l'Egypte n'était
pas encore dominée.Il n'y a pas encore l'expérience
coloniale.
Cela nous renvoie à ce que des sociologues et ethnologues
français, Balandier et d'autres, mettent en avant quand
ils abordent les problèmes culturels. Ce n'est pas le
point de vue culturaliste proprement dit, mais ce qu'ils appellent
la "situation culturelle", c'est à dire la
situation sociale du contact entre les cultures. On ne peut
appréhender le phénomène interculturel,
si on ferme les yeux sur cette situation de contact. Si c'est
une situation coloniale (cas de l'Afrique) , celle-ci est autant
vécue à l'intérieur des pays, après
leur indépendance, -puisque le processus d'acculturation
se continue dans ces pays-, que chez les migrants issus de ces
pays, puisque leur intégration dans les métropoles
des pays européens, est liée à la fois
à leur situation historique individuelle et à
la relation que ces pays ont entre eux. Par exemple, on ne peut
parler de l'intégration d'un congolais en France, ou
d'un algérien en France sans tenir compte de la relation
de la France avec le Congo ou avec l'Algérie. On pourrait
discuter ensemble de ce papier qui vient de sortir, écrit
par les "Indigènes de la République".
PAUSE
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