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Interculturalité, spatialisations
                             et dynamiques sociales

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Autour de la culture et de l'interculturalité  
 
Introduction à l'atelier- rencontre : Bernard Zimmermann  
Générations Femmes: Anne Marie Vaillé , Janine Mezie  
Association Itinéraires (Prévention spécialisée) : Christophe Louys  
Club Unesco du lycée de Montgeron: Claire Gruson  
CASNAV de L’Essonne : Marie Jo Blot  
Délégation Diocésaine aux relations avec l’Islam d’Evry : Michel Séonnet  
   
 
   

Autour de la culture et de l'interculturalité

La question de l’intérêt de publier des Actes nous a été posée. Nous assumons cette décision au nom d’une attitude humaniste telle que nous l’entendons, telle que nous la voulons mettre en œuvre, telle que l’expose avec clarté Mohamed Arkoun dans ses « Justifications » qui ouvrent son essai « Humanisme et Islam, combats et perspectives », Vrin, Paris, 2005 *, où il s’exprime sur les rapports entre culture orale et culture écrite.

Cette posture a une étroite connexion avec le thème central de notre séminaire 2005 (prolongeant celui de 2004) : la question de l’interculturalité. Pour éviter d’inutiles répétitions, nous renvoyons le lecteur à ce qui est dit à ce sujet dans l’introduction faite aux interventions du vendredi 18 mars, qui ont inauguré cette session.

Toutefois, il convient ici de marquer un jalon pour un débat restant ouvert : à propos de l’interculturalité rien n’est encore fixé, les avis restent partagés, il y a matière à progresser dans l’optique, notamment, d’une éducation populaire, au sens noble du terme auquel nous sommes attachés. De ce point de vue, les contributions écrites et orales de ces Actes montrent que ce séminaire nous a permis une avancée réflexive ; elle en justifie la tenue. Nous en voulons pour preuve l’évolution de la critique dans les interventions de notre invité, Habib Tengour. Sa critique première de la notion d’interculturalité semblait prendre le contre-pied de notre position, elle a fortement orienté la suite des échanges selon un axe majeur : comment nous situons-nous entre les modèles holistique et culturaliste ? Mais à l’issue de ces échanges, nous dénotons une inflexion instructive de la critique de Habib Tengour, lorsqu’il énonce, citons-le : « Sur le débat, ce que je trouve important et intéressant c’est la prise en compte de cette dimension culturelle pour appréhender de façon différente, dans une sorte d’harmonie, le traitement de l’identité en France, et ceci dans un partenariat avec l’autre dans la construction de la citoyenneté. ». Ces derniers mots de Habib Tengour montrent magistralement, soit dit en passant, que la critique vivante ne saurait être sans mouvement.

Cet épilogue à notre séminaire –épilogue à deux voix, celle de Elio Cohen-Boulakia d’abord, puis celle de Habib Tengour- n’est nullement une conclusion fermée ; nous pouvons le considérer comme une illustration –non préméditée- de la posture associative que nous essayons de tenir : la recherche-action fondée sur le dialogue. Du « vrai dialogue », Mgr Claverie, évêque d’Oran, assassiné en 1996, disait « qu’il consiste à accepter l’idée que l’autre est porteur d’une vérité qui me manque. »
Bernard Zimmermann

* « …l’articulation écrite du discours humaniste doit respecter à la fois les visées communes aux locuteurs engagés dans le débat et les parcours discursifs propres à chacun d’eux. La mise par écrit de l’ensemble permet de tenir sous un même regard critique et englobant les enjeux réels de chaque argumentaire et la portée ultime des confrontations. Ces enseignements récapitulés dans l’écrit viennent nourrir et dynamiser l’attitude humaniste requise dans la communication orale. »
Mohamed Arkoun, op. cité,

Soirée du 18 mars 2005

Introduction à l'atelier- rencontre :
Bernard Zimmermann, Président de Soleil en Essonne


Une anecdote pour introduire l'introduction.

Lundi 14 mars 2005 après-midi, Maison de Quartier des Aunettes à Evry.
La Compagnie de l'Eygurande présente "La force des choses", montage théâtral de récits de vie de 3 femmes françaises "du XX ème siècle", des femmes de la région parisienne, de milieux plutôt populaires. (Le Théâtre de l'Eygurande fait le même travail de recueil de récits de vie à Essaouira, au Maroc).
Un public d'une trentaine de personnes, essentiellement des femmes d'origines étrangères, de groupes d'alphabétisation du quartier. Un tiers de Maghrébines dont 4 ou 5 voilées.
Trois comédiennes, remarquables, pour des récits entrecroisés, dits à la première personne.
Ecoute attentive des femmes de l'assistance, pendant une heure. A la fin, les comédiennes vont changer de tenues et reviennent. Une discussion s'engage, entre Jean-Pierre, directeur de la Compagnie, les comédiennes et le public. Djamila, qui s'occupe des groupes d'alphabétisation, s'assure que les mots difficiles ont été compris ; par exemple, "résistant", "faiseuse d'anges"… Elle explique "femme soumise" : " celle qui obéit à son mari, le mari c'est l'autorité, rien sans son accord…" Une femme voilée saute sur sa chaise et s'exclame : "Ah ! Plus maintenant !". On rit.
Un peu plus tard, une autre femme, portant elle aussi un foulard, dit à une des comédiennes : "On se reconnaît en vous." Elle veut dire : "dans la femme que vous avez incarnée". Les autres approuvent en hochant la tête.


Le présent séminaire, ou atelier-rencontre, fait suite à celui tenu au printemps 2004.

Nos grands objectifs restent les mêmes ; nous disions vouloir "obtenir une description et des éléments de compréhension des problèmes en "milieux urbains sensibles". On désigne par cette expression discutable des quartiers ou des banlieues dont Marc Cheb Sun dit qu'ils sont "un reflet de la société française dans toutes ses composantes". De fait, ces quartiers sont des lieux d'une interface névralgique entre la société d'accueil et les groupes issus de l'immigration ainsi que les nouveaux migrants. Société d'accueil ou, trop souvent, "société d'écueil" (Hamid Salmi) ? Nous considérons qu'il y a urgence à articuler des réponses à apporter aux problèmes auxquels nous sommes confrontés.

Nous avons choisi, cette année, de centrer notre atelier sur la rencontre interculturelle, ses caractéristiques, ses difficultés et pièges, les conditions de leur évitement et dépassement.

Ce choix résulte de notre conviction que la relation interculturelle est au cœur des problèmes de notre société (et de la communauté internationale). Le choix résulte aussi d'une attente rencontrée dans notre travail de terrain, exprimée par des "acteurs de terrain" comme nous, et des organismes institutionnels. Et aussi de simples habitants avec lesquels nous avons pu créer des rapports d’échanges confiants.

Le but est toujours de dégager des connaissances, des réflexions et des outils pour l'action.

En effet, nous sommes tous ici des personnes travaillant en banlieue, dans les secteurs culturel, social, éducatif…, institutionnels, ou associatif, laïques ou confessionnels. Un point commun : nous sommes au contact de populations d'origines diverses, souvent étrangères, ayant acquis ou non la nationalité française, mais confrontées à des difficultés spécifiques du fait de leurs origines. En regard de leurs problèmes, il y a ceux des "acteurs de terrain", c’est à dire nous. Nous avons une position particulière : nous sommes appelés à peser sur le réel, c’est à dire les rapports entre personnes et groupes d'origines et cultures diverses, nous sommes en même temps complètement partie prenante dans cette relation (c’est àdire que nous ne sommes pas extérieurs à cette relation), et nous sommes insuffisamment armés pour affronter des situations quotidiennes dont nous sentons cependant que de leur traitement dépend largement notre futur commun.

Notre problématique comprend des questions théoriques et des questions pratiques, comme :

- qu'est-ce qui relève du social, qu'est-ce qui relève du culturel ?
- que met-on dans la notion d'interculturalité, ou de "rencontre interculturelle" ?
- dans quelle mesure peut-on parler de "rencontre interculurelle" entre interlocuteurs à l'intérieur de la société française, aujourd'hui ?
- comment dépasser la tendance à la ghettoïsation culturelle ?

Et, plus concrètement :

- comment établir avec l'autre un rapport d'égalité, de confiance, d'enrichissement mutuel ?
- comment faire valoir nos valeurs convergentes pour dépasser les dangers des replis communautaristes ?
- comment lutter contre les discriminations ethniques, culturelles, cultuelles ?

Nous avons adopté comme démarche celle de l'atelier, c’est à dire une rencontre et des échanges visant :
- à mettre en commun des expériences, parce que nous considérons que notre pratique est source de savoir ; ce sera notre matière première;
- à soumettre cette matière première à un examen critique, à la lumière d'un rapprochement avec des apports théoriques ;
- à dégager, à travers ces échanges, des outils pratiques et intellectuels à mettre en œuvre au quotidien dans nos actions respectives de terrain.

Pour cela, nous nous sommes adjoint la participation de notre ami Habib Tengour, ethno-sociologue, mais aussi écrivain et poète. Nous comptons que chacun saura se discipliner dans ses interventions (temps, de parole, ajustement du contenu, précision des apports et des questions…), et nous confions aux animateurs le soin de faire des points périodiques pour jalonner les avancées et relancer les échanges.

La parole est maintenant à la première de nos six intervenants de la soirée.

Génération Femmes :Anne-Marie Vaillé.

Je parle au nom de l’association Génération Femmes, créée il y a 11 ans, juridiquement, et, formellement, il y a une quinzaine d'années; elle est née de la volonté de personnels d'un établissment scolaire d'arriver à établir des ponts, des relations, des échanges entre les familles des jeunes d'origines étrangères qui étaient arrivés, très nombreux, brutalement, dans l'établissement, du fait de la construction dans notre quartier de recrutement, d'un grand nombre de logements sociaux. (C’est un moment intéressant de l’histoire de l'urbanisation de notre banlieue ; il s'agit de Ris-Orangis, Evry Courcouronnes.) Ces logements étaient, dès la pensée originelle, presque monocolores et monoethniques ; on y fabriquait des immeubles financés par ce qu'on appelait "le 1% patronal", versé par la Ville de Paris, qui concernaient les éboueurs de la Ville de Paris. Ils étaient tous recrutés dans les mêmes pays d'origine ; on leur offrait des logements sociaux où ils se retrouvaient, dans un premier temps, plutôt heureux entre eux, avec leur regroupement familial. Mais on a fabriqué ainsi des immeubles de Maliens, des immeubles, d'Ivoiriens, de Togolais… On y retrouvait presque 100% de familles d'origine immigrée. Notre établissement scolaire, le collège Jean Lurçat, à Ris-Orangis, se retrouvait dans son secteur de recrutement avec plus d'un tiers, puis presque 40%, puis 50% d'élèves de ces quartiers là, alors qu'auparavant il avait un recrutement plus diversifié sur Ris Orangis. Il y avait eu, certes, des élèves d'origine étrangère, puisque Ris Orangis a été une des communes d'accueil, en 1962, de la population des réfugiés d'Afrique du Nord, des Pieds-Noirs et Maghrébins, mais aussi des Portugais. Les Pieds-Noirs étaient bien Français, mais ce n'était pas si évident que ça par la façon dont ils ont été accueillis en France.
Tout d'un coup, arrive cette masse de jeunes d'origine Afrique noire ; alors, cet établissement devenu multicolore nous a poussé à nous demander : "Comment allons-nous faire maintenant ? Tous ces gens-là n'ayant pas forcément envie de se retrouver ensemble." On a eu la chance de rencontrer une personne d'origine togolaise, vivant en France depuis très longtemps, A.A.. Elle a dit : "Moi, j'ai envie de créer une association de femmes qui prennent en charge la scolarisation de leurs enfants, en collaboration avec les personnels de l'éducation qui voudront le faire, toutes origines confondues." De là est né le mariage entre une association de femmes, Génération Femmes, toutes origines confondues, Françaises et étrangères, avec un établissement. A partir de là, on a commencé à voir comment on pouvait travailler ensemble, faire en sorte que les élèves de toutes ces origines arrivent à mieux se comprendre et que les enseignants surtout, qui eux n'étaient pas de toutes les origines et qui étaient essentiellement franco-français, arrivent à mieux les comprendre, et donc à mieux les faire travailler.
A part ça il s'est passé toute une série d'épisodes ; j'en cite un avant de parler d'une expérience actuelle conduite par cette association sur la communication interculturelle. Une des premiers supports de cette communication interculturelle a consisté à mettre en place ce qu'on a appelé, à l'époque, des médiatrices. C'étaient des personnes qui avaient en gros trois fonctions : mobiliser les familles sur la scolarisation de leurs enfants, les accompagner pour aller jusqu'au collège, et traduire, sur le plan linguistique mais surtout sur le plan théorique, ce qu'elles avaient à comprendre de notre langage obscur et codé ; et encore aussi, traduire, auprès du personnel du système éducatif ce que ces familles-là avaient à demander ou à dire sur la scolarisation de leurs enfants. L'association, avec d'autres, ont formé ces personnes pour en faire des intermédiaires entre les familles et l'Ecole. Cela ne s'est pas développé autant que ça l'aurait pu mais on espère que ça va se développer ; cela marche très bien quand ça existe. Puis, l'association a diversifié ses activités sur le principe de base suivant : si nous voulons qu'un dialogue s'instaure, qu'un travail commun s'instaure entre des femmes et des familles d'origines différentes, il faut qu'elles puissent se parler, sur le plan de l'élocution, bien entendu, se comprendre sur le plan de la langue, mais aussi sur le plan culturel, qu'il y ait là des traductions de nos codes respectifs et de nos manières de vivre, pour que les échanges naissent et que les femmes en particulier sortent de l'enfermement dans lequel nous voyons qu'elles sont confinées.
Il s'est créé, dans le cadre de l'association Génération Femmes, en parallèle avec l'action de médiation, à travers les contacts avec les écoles sous toutes leurs formes, des lieux de parole. Il s'agissait d'utiliser un temps où des femmes, mères de famille, n'avaient pas les enfants avec elles, ou seulement les tout petits qu'elles avaient rechigné à mettre à la garderie ; ce temps, c'est toujours entre 14 et 16 heures- temps au cours duquel on va trouver des thèmes, des sujets d'échanges et de dialogue. J'insiste sur le fait qu'elles sont toutes– je parle au présent- d'une extrême diversité ; ce sont des Sri-Lankaises, des Marocaines, des Algériennes, des Maliennes, des Sénégalaises, des Turques, des Chinoises ; la diversité est majeure. Le problème est d'arriver à leur trouver des thèmes communs ; elles les ont d'ailleurs proposés elles-mêmes. J'en cite quelques uns : comment faire pour l'entrée à l'école maternelle, qu'est-ce qui se passe ? quel accompagnement ? Ou : le corps de la femme, comment on le voit, qu'est-ce qu'on peut en penser ? Ou encore : l'éducation et la délinquance. Ou des questions encore plus inattendues, du genre : « Comment prendre soin de ses pieds ? » Il ne faut pas oublier que ces femmes-là marchent énormément, et elles portent des charges lourdes ; on peut comprendre que ce soit une question pour elles. Et encore : le juge pour enfant, qui c'est ? qu'est-ce qu'il fait ? Qu'est-ce qu'on doit craindre ou attendre de lui ? L'orientation scolaire, la contraception, les mariages forcés (question très importante), les accidents domestiques, ou bien l'utilisation des médicaments… Voilà quelques thèmes qu'elles ont acceptés ou proposés. Il s'agissait donc de permettre que ces femmes puissent se parler dans de bonnes conditions ; vous imaginez un environnement familial, tout ce qu'il faut pour que tout le monde se sente à l'aise, pour qu'elles se sentent bien physiquement. Heureusement -depuis très peu mais tout de même c'est important- les locaux sont agréables ; on leur offre à boire, les enfants ont des jeux, il y a moyen de les prendre en charge pour qu'ils n'interfèrent pas trop dans les discussions. La manière de faire est classique : on trouve des intervenants, qui sur chacun des thèmes, apportent un peu d'éléments de réflexion et des exemples d'activités. On entend ça puis après on discute, on échange. Et ça marche fort ; elles viennent régulièrement ; il faut dépasser le feuilleton du début de l'après-midi, mais après, elles viennent et elles sont heureuses, elles parlent… Il y a cependant des obstacles, des obstacles sévères : les hommes n'aiment pas trop que leur femmes fassent ça ; il ne faut pas déborder le cadre horaire de leur liberté en l'absence de tout enfant, temps assez réduit entre le moment de profiter de la TV et celui où les enfants vont revenir de l'école (ce sont souvent de jeunes femmes, qui ont besoin de rêver et de s'occuper un peu d'elles-mêmes) ; elles ne comprennent pas forcément : c'est le problème de la langue, problème de l'entendement, de la compréhension de ce qui est dit (si on a des intervenants qui sont trop pointus ou pas assez pédagogues, le message a du mal à passer) ; il y a de la xénophobie entre elles, entre communautés (il n'est pas garanti qu'elles se mettent d'accord sur tout); et l'instabilité des familles (on est dans des quartiers comme les Pyramides, à Evry, où la rotation des familles est absolument phénoménale ; on ne s’en rend pas très bien compte mais des familles circulent d'une banlieue à l'autre, incessamment, fuyant les loyers impayés, les difficultés matérielles, les difficultés judiciaires…, ; donc ça tourne et ce turn over est difficile. Enfin , si on veut consolider les expériences comme celle-là, cela suppose une vigilance de tous les instants, cela suppose que toute séance d'échange et de dialogue soit repensée par les animateurs et les organisateurs, en se disant : "Voilà comment ça s'est passé, voilà comment ça a réagi, là il y aura un suivi à faire, là à relancer, là il faudrait peut-être laisser en suspens la question pour laisser les gens penser… » Si on enchaîne ces séquences sans regard extérieur, sans un avis extérieur, sans suivi, la dynamique tombe vite. Et, dernier point, il y a des questions qui subsistent en permanence : est-ce qu'on a choisi les bons sujets ? et comment les trouver, les bons ? L'endroit où ça se passe (le local de l'association) : est-ce le bon ? Ne faudrait-il pas en inventer d'autres ? La question du temps, je le répète, est fondamentale : à quel moment est-ce le mieux ? Et puis (c'est l'objet même de ce séminaire) : ce n'est pas une association toute seule qui doit faire ça mais il y a à travailler en collaboration avec d'autres. Cette démarche-là est peut-être à penser comme une démarche transversale à plusieurs associations, à plusieurs forces sociales en présence, pour démultiplier les lieux, pour diversifier les occasions de rencontres, pour diversifier les sujets de discussion, créer un maillage de lieux de paroles pour des femmes et des hommes . Pourquoi pas des hommes ? La question n'est pas facile à résoudre, on a essayé mais on n'a pas trouvé beaucoup de solutions ! On essaie les hommes d'un côté les femmes de l'autre, les deux ensemble ? On va y arriver de façon marginale, jamais de façon automatique.


Association Itinéraires (Prévention spécialisée): Christophe Louys

La prévention spécialisée est une forme d'intervention née dans l'immédiate après-guerre, à l'initiative d'hommes issus des mouvances syndicale ou chrétienne. L'idée de base part du constat que des jeunes étaient dans la rue, livrés à eux-mêmes et dans le danger, et qu'il fallait créer une forme d'intervention auprès de cette population, l'enfermement ne répondant pas ou ne pouvant pas répondre aux besoins de ces jeunes ; l'objectif était de leur faire réintégrer le groupe social. Donc, c’est une forme d'intervention originale, existant depuis assez longtemps. Elle a suivi dans son histoire, comme toute forme d'intervention innovante au départ, une professionnalisation dans les années 60-70, puis dans les années 80 elle a subi la décentralisation, à savoir que ce n'est plus une responsabilité de l'Etat mais du département ; c'est le département qui met en œuvre et finance ce mode d'action, en partenariat avec les municipalités.
Bien souvent, les choses nous le prouvent maintenant, plus on est proche du politique et plus c'est compliqué de travailler, parfois. En ce moment, on peut constater que c'est un mode d'intervention qui commence à « prendre un peu de bouteille » et qui connaît certaines dérives, une perte de sens notamment. L'idée est toujours la même, que ce soit pour les "Blousons noirs" dans les années 60, ou les jeunes livrés à eux-mêmes après-guerre, ou ceux d'aujourd'hui, c'est le groupe social qui demande que cette population intègre ou réintègre le groupe. Derrière cela, il y a une visée humaniste, puisque si l'on ne fait rien vis à vis de ces jeunes, ils vont continuer à commettre des délits, de la violence, à paralyser le système d'une certaine façon, mais au final ce sont eux qui vont payer les pots cassés.
La prison et l'enfermement ne sont pas les réponse adaptées à leur problème ; certes, cela protège le groupe social mais ça ne règle pas les problèmes, au contraire. L'objectif des éducateurs de rue est d'aller vers une population qui est dans la rupture, l'exclusion, et, à travers un travail sur le relationnel, sur le lien, mettre en œuvre un accompagnement, faire un bout de chemin avec ces jeunes.
Ce sont des adolescents, de jeunes adultes. J'ai l'habitude de prendre une image, celle du « quai entre deux rives » ; entre l'enfance, la vie sociale et l'âge adulte, il y a l'adolescence, qui est d'une grande fragilité comme on sait. On intervient à ce moment-là et avec ces jeunes-là, non pas pour résoudre leurs problèmes sociaux mais pour les aider à aller plus loin et à dépasser certaines difficultés ; et puis à s'assumer, à être dans cette démarche de savoir qui l'on est. Répondons nous à la question ? Je ne sais pas mais on essaie de poursuivre sur ce problème-là.

Alors, la dimension culturelle ? Nous sommes assez mal placés pour parler d'expérience, de prise en compte de cette dimension-là, parce que, sur les quartiers, il n'y a pas de diversité, il n'y a pas une approche spécifique liée à tel ou tel public parce qu'on saurait que dans telle ou telle culture "on fait ci, on fait ça", non, nous sommes plus en proximité de personnes ayant une culture, celle de la rue, et c'est plus dans cette dimension-là que nous nous trouvons.
Bien sûr, l'éducateur qui va à la rencontre de gamins, dans un quartier, se trouve -et c'est très important- dans une situation dynamique. On est effectivment obligés de prendre en compte, dans l'histoire qu'on construit avec les gens, des choses dont on n'a pas l'habitude, parce qu'on vient d'ailleurs, parce qu'on vient d'autres quartiers, parce qu'on a une autre vie, parce qu'on est porteur d'une autre culture… Il y a des choses qu'on n'arrive pas à comprendre, par exemple qu'un jeune adulte, de 23-24 ans, né en France, soit clandestin, parce que son frère aîné, sous l'injonction du père, a pris son identité… Il y a des choses particulières, mais c'est comme ça ; et nous, qu'allons-nous faire là dedans ? On va remuer tout ça et mettre sans dessus-dessous la famille, ce qui fait son pôle de construction ? Il y a des choses comme ça qu'il faut prendre en compte. L'accompagnement, c'est la tentative d'aller ensemble un peu voir ailleurs ce qui se passe, c'est ouvrir des portes, en fait. Qu'est-ce que la vie, vue d'un quartier, que ce soient les Pyramides, les 3000 à Aulnay-sous-Bois, la Prairie de l'Oly ou la Croix Blanche ? Qu'est-ce qu'un quartier ? Si on voit la vie à partir de ces expériences-là, ce n'est pas terrible. Au moins, notre dimension d'accompagnement vise à aller voir que le monde c'est autre chose que ça, et la vie autre chose que ça.


Club Unesco du lycée de Montgeron : Claire Gruson

La FFCU a été créée en 1957 mais le Club Unesco du lycée de Montgeron l'a été dès la fin des années 40, il fut peut-être le premier en France. Nous le pilotons depuis 1991.

Un Club Unesco existe dans un établissement scolaire, si des animateurs veulent bien le créer. Il est ouvert à tous ceux qui le souhaitent dans l'établissement. Nous avons 10-12 élèves qui le fréquentent, bon an mal an ; des adultes s'y joignent parfois. C'est un lieu de rencontre et de débats, de connaissance mutuelle et d'échanges interculturels. Nous avons un bilan assez riche sur ces dernières années, nous avons fait des choses très différentes (voir notre contribution écrite). Un rappel de quelques exemples, dans le cadre de la communication interculturelle.

Une de nos actions marquantes a été la réalisation, en 1995, d'un petit film, d'une durée de 50 minutes, sur la question de l'intégration. Cette année-là, venaient au club des élèves d'origines très diverses. (Il faut dire que viennent souvent au club des élèves d'origines étrangères). Il y avaient des Maghrébins, des élèves d'origine asiatique, un Portugais, un Polonais d'origine. Au cours de l'année, nous nous sommes posés à plusieurs reprises, pour des raisons un peu conjoncturelles liées à la loi sur la nationalité, le problème de l'intégration. Ce groupe, aidé par l'option cinéma du lycée, a réalisé de manière très active ce film, en concevant des entretiens mutuels sur la façon dont ils s'intégraient ou non dans la société française.

Pour certains, ça ne posait aucun problème parce qu'ils étaient là depuis longtemps avec leur famille, pour d'autres, c'était moins évident. Ce film les a menés très loin dans l'exigence d'une discussion parfois âpre, et très sincère, précise, sur leurs origines, les rapports avec leurs origines, les rapports avec la famille, avec la langue, avec la nourriture, la façon dont ils envisageaient le mariage avec quelqu'un de la même culture, ou une autre… Cet exemple nous a vraiment menés tous très loin sur le chemin de la communication interculturelle. Autre exemple : la confection d'une exposition et d'un recueil de photos et de textes écrits en commun sur nos photos de familles. Un jour, une de nos élèves est arrivée avec des photos de sa famille, de très belles photos de la vie quotidienne. On s'est dit qu'il fallait en faire quelque chose et qu'on allait tous essayer d'apporter des photos venant de nos familles, que nous en parlerions. Cela a été l'occasion de parler de choses de la vie de tous les jours : la famille, les repas, les occasions de prendre ces photos…, et en même temps d'écrire en commun des textes. C'était une production collective qui a été en même temps un élément de connaissance.

Cela, c'est le fonctionnnement interne du club. Il arrive que nous nous ouvrions très largement sur l'extérieur, que nous essayons de proposer aux élèves du lycée de grands débats sur des sujets choisis ensemble. Ces débats ont porté sur des thèmes variés : « L'aide au développement, pour quoi faire ? » « Nation et nationalisme »… Dans ce cadre là, nous avons organisé en 1992, puis en 2002, en collaboration avec Coup de Soleil en Essonne, des séances sur la commémoration de la fin de la guerre d'Algérie. Nous avons fait venir, en 2002, Gilles Manceron, co auteur d'un ouvrage sur l'histoire de l'Algérie avec un historien algérien, Hassan Remaoun. Cela a été une séance très riche, avec l'intervention de Manceron, la nécessité d'une mémoire commune, et puis les questions des élèves, très précises et exigeantes, sur la torture, sur différents épisodes de cette histoire sur laquelle on passe souvent vite dans le cadre des programmes scolaires, et sur lesquels ils ont bien des questions à poser. Une des dimensions du club, d'ailleurs, est cette découverte que les élèves qui viennent ont souvent des questions précises qui les taraudent sur l'histoire de leurs origines et de leurs parents ; ils ont besoin de réponses à ces questions et il faut savoir assumer.

Quelques autres éléments. Récemment, une rencontre importante avec 150 à 200 élèves, sur le thème "Garçons et filles quel regard portez-vous les uns sur les autres ? », avec Marc Cheb Sun, rédacteur en chef de Respect Magazine. Puis deux activités nous polarisent en ce moment : l'une concerne la lecture de textes, lectures-débats que nous proposons dans différents lieux, au lycée en direction des autres élèves, à domicile, chez des particuliers, mais aussi dans des centres culturels qui nous accueillent, comme au Café-Culture de Draveil, prochainement, avec un texte de Maïssa Bey, dans la perspective de contribuer à l'élaboration d'une bibliothèque à Sidi-Bel-Abbés, en Algérie ; action solidarité donc, c'est une autre dimension du club. Et puis, tout récemment, le lien avec des associations de jeunes de Vigneux et de Draveil. C'est une évolution intéressante de notre parcours. Parmi nos anciens élèves, l'un, d'origine marocaine, actuellement étudiant en droit, a créé à Vigneux l'Association des Jeunes Vigneusiens. Il y a un an environ, au moment où les débats sur le voile étaient très agités dans la société, il nous a écrit une longue lettre dans laquelle il nous disait qu'il lui semblait nécessaire que le club Unesco s'empare de ce débat parce qu'il lui semblait qu'il y avait énormément de malentendus qui couraient sur la question. Il nous proposait un débat avec des intervenants qui viendraient rétablir la vérité sur cette question du voile. Nous avons réagi en lui disant qu'il nous paraissait d'abord nécessaire -avant d'aborder frontalement la question "Dialogue des religions, dialogue des cultures" (c'est ainsi que nous avons intitulé ce problème qu'il nous posait, potentiellement polémique)- de nous connaître mieux dans nos associations respectives. Par conséquent, nous lui proposions de commencer par une démarche de rencontre et de connaissance mutuelle. C'est ainsi qu'il y a quelques jours, nous avons été invités à un grand repas, dans les locaux de leur association. Il y a avait une quinzaine de personnes et nous avons échangé sur ce qu'étaient nos associations respectives, quels étaient leurs objectifs, que pourrions-nous faire en commun, et quels thèmes de travail nous pourrions assumer. Il me semble que cet exemple est intéressant parce que l'attitude de cet ancien élève, au départ, presqu'offensive et assez revendicatrice d'une identité forte, qu'il s'agissait de défendre en faisant éventuellement intervenir des responsables cultuels, s'est modifiée parce que nous sommes entrés en dialogue. La démarche est devenue une démarche de long terme, de réflexion commune sur des sujets de toutes sortes, dont, éventuellement, le voile, mais sans se polariser sur cette question qui n'est peut-être pas si essentielle à aborder en premier temps.

Ce sont là des exemples de nos actions.

Quelques remarques sur les difficultés et les points positifs. Les points positifs, d'abord. Ils sont nombreux. Le passé du Club est riche, tant sur le plan du débat que des réalisations concrètes. L'expérience que je viens de relater nous paraît quelque chose de tout à fait positif. Le club est un lieu où des convictions peuvent se dire. Il me semble que voir la question de la laïcité du point de vue du club Unesco, c'est finalement très intéressant parce que c'est non seulement un lieu où les convictions peuvent se dire mais où elles peuvent aussi être mises à l'épreuve, dans un cadre de sympathie mutuelle : mise à l'épreuve de l'information et des convitions de l'autre, mais sans qu'on se sente démoli par le regard et la conviction de l'autre.

L'attachement des élèves au club nous montre que ce n'est pas éphémère. J'ajouterai que, pour nous, adultes et enseignants du lycée, c'est un lieu où on peut se ressourcer quand on est en situation de pessimisme absolu par rapport au système éducatif. On se dit là que tout n'est pas perdu et qu'on peut continuer. J'ajoute que la possibilité de travailler en réseau avec d'autres associations nous donne le sentiment qu'on peut travailler avec d'autres beaucoup plus efficacement ; c'est un fait que Coup de Soleil en Essonne nous a donné un punch formidable. Il en va de même avec l'Association des Jeunes Vigneusiens.
Les difficultés et les obstacles, maintenant. Un des problèmes constants est la nécessité de faire venir du monde, ce n'est pas toujours facile. Pour quelles raisons ? Il y a des questions matérielles, bien sûr, mais aussi la difficulté pour des adolescents à franchir cette frontière du monde purement scolaire, à ce lieu bien souvent non identifié qu'est le club Unesco. L'autre jour, le débat "Garçons et filles…" n'a pas été simple, parce que c'est une question qui porte sur son intimité, que parler de cela devant 200 personnes, ça ne va pas de soi. Les élèves du club, qui avaient cheminé sur cette question pendant plusieurs séances et avaient été assez loin dans la réflexion ensemble, se sont exprimés avec une très grande aisance, une facilité réjouissante, prenant en compte les différentes dimensions de la question ; par exemple une fille a pris le micro pour dire : "On dit toujours que les filles sont les plus opprimées, mais les garçons aussi souffrent."

Cette intervention montre que le débat est allé assez loin dans la réflexion sur le regard mutuel. Donc, une frontière à franchir. A cette séance-là, quelqu'un a dit, à la fin : "Si j'avais su qu'il y avait au lycée des endroits où on pouvait parler de ça ! Je n'en reviens pas." Grand plaisir pour nous, mais force est de constater que l'idée qu'il puisse exister dans le système scolaire un lieu où on peut échanger sur ses convictions, sur sa culture, sur ses origines, librement et à égalité avec tous les partenaires qui sont là, qu'ils soient adultes ou élèves, est quelque chose qui sort complètment du cadre de pensée de la majeure partie des élèves, et qui fait que franchir notre porte c'est compliqué. Et c'est dommage que ça le soit, parce qu'on se dit, chaque semaine, que si on était un peu plus nombreux, que s'il y avait un brassage un peu plus vivant, ce serait très positif. Pour cela, il faut un temps assez long de mise en confiance, cela ne va pas de soi de parler de ses origines, de sa culture, ça ne va pas de soi non plus de penser que ça a un intérêt. Au début, on passait par la cuisine -ça arrive souvent- on faisait des repas polyculturels, puis des carnets de recettes, et on demandait aux élèves de raconter à quelles occasions se mangeait tel et tel plat… Quand on a demandé à David, Portugais, de nous parler du riz au lait, il nous a regardé avec des yeux absolument ronds en se demandant bien ce qu'il pouvait y avoir à dire sur cette question…

Je dirai encore que le système scolaire ne nous aide pas. Bien sûr, nous sommes très bien vus de l'administration, parce que nous sommes associés à toutes ces questions de la citoyenneté qui sont très en vogue à l'heure actuelle. Il n'empêche que le système ne nous aide pas parce qu'il a un côté terriblement rouleau compresseur. On entend un des chefs d'établissement dire que les élèves ne travaillent que sous la pression -ce qui d'ailleurs occasionne un bachotage permanent- et dans ce même lycée se trouve un lieu "gratuit", où il n'y a ni notation, ni enjeu, ni quoi que ce soit qui est le quotidien des élèves ; il est évident que c'est tellement différent que ça paraît bizarre. D'où les difficultés. Je terminerai en disant que le club est aussi un lieu où les élèves nous posent énormément de questions. L'autre jour, j'entendais quelqu'un intervenir à la radio sur les manifs de lycéens de la semaine dernière, les échauffourrées qui s'en sont suivies, l'hostilité existant dans les milieux lycéens entre les "Blaks" et les "Blancs", cette espèce de malaise qu'on a ressenti.. Cet intervenant, à juste titre, parlait de Dieudonné, de la façon dont il mettait en concurrence des mémoires blessées, et il disait que cette mise en concurrence était quelque chose de désastreux, qu'au contraire, il fallait mutualiser ces mémoires, les mettre en commun. Il a dit que finalement les travaux universitaires sur l'esclavage, sur la colonisation, et sur la décolonisation, étaient très nombreux, que ce savoir existait mais que le faire passer dans le savoir commun, ça c'était difficile, et pourtant indispensable. Nous le vérifions, c'est vrai. Il faut assumer un savoir-faire, des connaissances, on n'est pas toujours formé à l'interculturel pour répondre à toutes les questions qui nous sont posées par les élèves, quand on veut bien les entendre.


CASNAV de L’Essonne : Marie Jo Blot
Le Casnav est un service de l’Education Nationale ; je suis donc en plein dans l’institution mais en lien constant avec des associations ou des organismes qui sont liés à l’accueil d’immigrants, ce qui fait qu’il y a des choses qui ont été dites qui correspondent tout à fait à ce que je vis. Je vais essayer de vous dire un peu comment se passe cette question de l’interculturel au sein de l’école, quand les jeunes arrivent de l’étranger.

Je suis chargée de la scolarisation des jeunes d’origine étrangère, nouveaux arrivants dans les collèges et les lycées de L’Essonne, et j’ai une collègue qui a la même tâche par rapport aux enfants de l’école élémentaire.
Nos missions vont à la fois en direction des jeunes, en direction des familles, et en direction des enseignants. Nous sommes un peu des interfaces, nous aussi, et nous sommes amenés, à ce titre, à avoir des relations avec un certain nombre d’entre vous.
On a mis en particulier en place, depuis un certain nombre d’années, des cellules d’accueil pour les jeunes et à l’occasion de ce premier accueil des jeunes qui arrivent, il y a déjà des tas de choses qui se jouent au niveau de la formation, au niveau de la prise de connaissance : des jeunes qui arrivent n’ont jamais été scolarisés, donc ils ont de l’école une image complètement mythique ; d’autres, qui ont été scolarisés dans des systèmes complètement différents du nôtre, arrivent avec leur culture de l’école et ils ont une douche écossaise quand ils voient comment ça se passe dans un collège en France ; des parents qui ont été plus ou moins scolarisés eux-mêmes, qui savent plus ou moins lire et à qui on met un carnet de correspondance dans les mains en leur disant : «Avec ça, on va communiquer et on va s’entendre et on va se comprendre »… Tout cela demande des moyens pour essayer de pallier bien des difficultés.

Difficultés linguistiques évidemment, mais ce ne sont pas les plus aigües, encore que, dans l’apprentissage d’une langue il y a bien des aspects culturels aussi qui entrent en jeu ; il y a des façons de prononcer, des mouvements des lèvres qui, pour une jeune fille d’une certaine culture sont tout à fait indécents ; par exemple : faire prononcer certains sons à des jeunes filles, je pense à faire prononcer un U à des jeunes filles d’origine asiatique, c’est une invitation sexuelle. Il faut le savoir au moment où on l’enseigne, on peut espérer que les enseignants le savent, mais … Je dirais que ce n’est pas là que la difficulté est la plus grande.

Les difficultés se présentent à mon avis surtout dans deux domaines :
- le rapport que l’on a à l’Ecole,
- le rapport que l’on a au Savoir

Si on est allé à l’école dans son pays d’origine, dans un pays où le système scolaire, où l’autorité s’imposaient par la force : par les punitions corporelles, par les châtiments, évidemment, quand on arrive dans un collège de banlieue on est complètement déstabilisé et on s’imagine, aussi bien les élèves que les parents, que nous, les enseignants, nous sommes des faibles, que nous n’avons aucune autorité… Je pense que là j’enfonce des portes ouvertes : tous les enseignants ont eu un jour un père ou une mère qui leur disait : « Mais enfin, Monsieur (ou Madame) battez le, comme ça il travaillera ! » et quand on dit que nous, nous ne pouvons pas battre et que nous essayons d’expliquer pourquoi, nous sommes souvent perçus comme des personnes faibles. Evidemment les enfants sont des enfants tout à fait ordinaires et donc ils savent très bien se faufiler au milieu de toutes ces failles, et cela fait des enfants qui sont vraiment en difficulté.

Rapport à l’Ecole aussi, qui peut être différent quand on vient d’un pays où on est dans un rapport de confiance complètement déférente : « J’amène mon enfant à l’école, je le confie à une équipe enseignante, à un professeur et je ne viens surtout pas lui demander le moindre compte… » Alors que moi, professeur de français, quand un parent ne prend pas rendez vous avec moi, immédiatement je me dis : « Celui là, il ne s’intéresse pas à ses enfants. »
Comment faire passer cette idée que, en France, il y a une éducation partagée, que l’enseignant souhaite rencontrer les parents, que les parents sont les bienvenus –du moins en théorie- à l’école, que des rencontres sont utiles ?
Tout cela, ce sont des choses qu’il faut faire passer, que nous nous essayons de faire passer au niveau de la cellule d’accueil. Je participe aux réunions de pré-accueil, je participe à des petits groupes qu’on a mis en place avec le Service Social d’aide aux immigrants.

A mon avis, la difficulté c’est de passer de l’explication à la prise en compte réelle, parce que quand je dis aux parents : « Il faut aller voir les enseignants, il faut les rencontrer », je crois qu’ils m’entendent, mais de là à ce qu’ils puissent faire le pas, ce n’est pas évident. D’où l’intérêt de travailler avec Génération Femme, par exemple avec les médiatrices qui vont accompagner les familles vers l’école.

Je prendrai un autre exemple aussi, par rapport justement à la réussite scolaire. J’ai constaté -je suis professeur de français- des difficultés avec des élèves extrêmement sérieux qui, en 6éme-5éme, réussissent très bien quand il s’agit d’apprendre des conjugaisons ; les imparfaits du subjonctif les plus compliqués, les petits Sri Lankais les maîtrisent parfaitement. Puis, quand on arrive en 4éme- 3éme, qu’on leur demande d’argumenter, ce n’est déjà pas évident pour les jeunes d’origine française, mais pour certains c’est là qu’on voit arriver les véritables barrières culturelles : le livre, le texte c’est sacré, dans bien des cultures, on ne le critique pas. On ne va pas s’opposer à l’opinion de l’auteur, on ne va pas dire que soi même, en plus avec son statut d’enfant on peut avoir une opinion différente de l’auteur adulte qui a mis sur le papier ses opinions. Donc, une difficulté, un blocage constant. J’ai vu des jeunes filles devenir vraiment « mauvaises »- ce n’est pas le mot qui convient- mais avoir de très mauvais résultats en français à partir de la 4éme et de la 3éme, alors que c’étaient des filles parfaitement sérieuses qui apprenaient parfaitement mais qui apprenaient par cœur.

Quelque chose d’autre : une autre conception de l’école, ça se voit beaucoup en cours d’Histoire-Géographie aussi ; les jeunes arrivent, ils connaissent parfaitement leurs leçons mais ils se retrouvent avec des notes qui ne sont pas brillantes, en tout cas, qui ne sont pas à la hauteur de l’effort fourni. Donc là encore, que faire ?

Comment faire passer cette idée d’un autre rapport au savoir ?

Ce que nous avons mis en place est modeste parce que c’est dans les limites des contraintes de l’Education Nationale ; ce sont des actions en direction des parents en s’appuyant beaucoup sur les médiateurs et médiatrices. Les médiateurs et les médiatrices sont très demandés dans les établissements scolaires. Il y a encore quelques jours on travaillait sur la naissance de ghettos dans une école primaire : comment travailler sur les communautarismes au sein d’une classe de CM ?

Là, ce sont les enseignants qui font appel à Génération Femme pour ce genre de travail. Donc, travailler en direction des parents au niveau de l’information. Je passe beaucoup de temps avec certains collègues à expliquer le maniement du carnet de correspondance- ce à quoi je faisais allusion tout à l’heure- pour des gens qui ne sont pas du tout dans l’écrit, ce sont-là des choses particulièrement difficiles. Je passe pas mal de temps avec les conseillers et conseillères parce que cette orientation apparaît comme quelque chose d’extrêmement menaçant pour les familles. Et puis aussi, tout un travail en direction des enseignants. On ne peut pas tomber dans des idées toutes faites sur certaines communautés. Ce qui me semble important, c’est de faire découvrir aux enseignants que l’autre est peut être radicalement autre, que, avant de tout de suite foncer pour condamner, pour rejeter une réaction, il faudra toujours un temps de réaction, un temps d’information.

Comment faire aussi –ça, c’est ce qui me semble être une grosse difficulté – la part de ce qui est négociable et de ce qui ne l’est pas ? Il y a des choses qui sont négociables. Un exemple. A la cellule d’accueil, on a des petits tests de mathématiques et l’un d’entre eux demande de mettre en œuvre le théorème de Pythagore ; de nombreux gamins se contentent de mettre le résultat et chaque fois les enseignants disent : « Bien sûr c’est exact, mais ce n’est pas démontré. » Jusqu’à ce qu’il n’y a pas très longtemps, je parle avec un professeur de mathématiques d’origine étrangère qui me dit : « Mais chez nous, on ne démontre pas. On connaît le théorème de Pythagore, on dit « Pythagore », mais on ne va pas redire « le carré de l’hypoténuse, etc. », ce n’est pas la peine ; pour nous c’est une évidence. » Voilà peut être, à mon sens, quelque chose qui peut être négociable. Quand on corrige, on voit à la cellule d’accueil des tests où on peut se dire qu’en effet, on peut ne pas démontrer, mais il faudrait quand même savoir amener le jeune à démontrer pour pouvoir réussir son épreuve de bac. Le jour du bac, ce ne sera peut être pas vu de la même façon. Et puis il y a aussi, à côté de cela, des choses qui ne sont pas négociables ; par exemple, je faisais tout à l’heure allusion à la critique du texte : la liberté d’un être face à un texte, c’est tout le pouvoir de critiquer, mais, là encore, comment amener l’autre, tout en le respectant, à s’ouvrir à autre chose ?

Ce sont-là des choses que je jette un peu en vrac. Ce que j’en retire moi, ce sont des difficultés de passer de la simple information à la prise en compte réelle, en profondeur, de la différence.
Ce que je retire aussi, c’est la nécessité absolue de travailler en réseau. On ne peut pas tout seul, dans le cadre d’une journée pédagogique, aider une équipe d’enseignants à s’ouvrir à d’autres cultures, en tout cas même à se convertir à l’ouverture vers les autres, là c’est tout un travail de réseau. Et puis soi même, on n’a pas les compétences pour parler d’un certain nombre de choses, mais en s’appuyant sur les orchestrations, sur les réseaux, on arrive à voir progresser un petit peu.


Délégation Diocésaine aux relations avec l’Islam d’Evry :
Michel Séonnet

Je représente le Délégué Diocésain des relations avec l’Islam qui est en mission en Israël. Je voulais d’abord vous remercier de nous avoir invités parce que le fait que je sois là relève aussi de la communication interculturelle ; en faisant partie aujourd’hui des cultures minoritaires en France, on prend conscience de ce que ce dialogue est possible, à égalité avec d’autres partenaires. Je dis ça d’autant plus qu’il semblerait qu’aujourd’hui il faille couper le monde entre ceux qui ont une culture religieuse et les autres, et qu’on en arriverait à une sorte de front uni de chaque côté, c'est-à-dire : les religions s’alliant pour une sorte de suprématie du fait religieux et les anti-religieux s’alliant pour une sorte de suprématie du non religieux. Or, ce que je cherche, ce que nous cherchons, nous, dans notre travail, c’est que ces barrières là qui n’ont aucune raison d’être n’existent pas, qu’on puisse effectivement être invités parce qu’on a un certain type de principe, dans des rencontres de ce type là, où il ne s’agit pas de parler de religion mais d’une question commune aux gens qui sont là, et où nous sommes un groupe particulier intervenant dans la société au même titre que telle ou telle autre association. Il y a du chemin à faire pour y arriver mais, en tout cas, c’est ici un tel espace et j’en suis ravi.

Tout ça pour dire que le service diocésain des relations avec l’Islam est quelque chose de très officiel. L’Eglise Catholique Romaine est très hiérarchisée, il y a un évêque, il y a des délégations parmi lesquelles il y a une délégation aux relations avec l’Islam, comme il y en a une aux relations avec le Judaïsme. Ce service a une mission interne : informer et permettre aux Catholiques qui sont en Essonne de réfléchir et de connaître l’Islam, et une mission externe qui est le lien avec l’autre, donc avec les musulmans.

Moi, je suis dans ce service depuis le mois de septembre seulement, et le Délégué Diocésain aussi, donc c’est quelque chose qui reprend un peu forme pour ce qui est de l’Essonne. Nous avons une histoire relativement courte, comparée aux décennies des Clubs Unesco... Il faut dire, cependant, qu’il y a une vingtaine d’années, les personnes dans l’Eglise Catholique qui s’occupaient des relations avec l’Islam s’en occupaient au nom de la solidarité avec l’étranger ; donc, on a vu très souvent des églises accueillir volontairement des grèves de la faim de travailleurs immigrés, offrir des salles comme salles de prières… C’était en quelque sorte une relation de celui qui a à celui qui n’a pas, qui était pour les militants porteuse de solidarité, et qui sans doute n’était pas exempte de quelque paternalisme néo- colonial ;en tout cas c’est passé. Aujourd’hui, on n’est plus du tout dans ce cas de figure. L’Islam est une religion installée ou qui s’installe. Il n’est plus question de prêter une salle parce que les Imams ne veulent pas de cela, ils veulent un lieu de culte comme les chrétiens de toutes confessions, les juifs ; ils veulent une mosquée. La situation aujourd’hui est plutôt une situation d’égal à égal, dirai-je. Ce qui ne va sans difficultés.

Pour schématiser, les problèmes qui se posent lorsqu’il s’agit de parler de l’Islam à l’intérieur de la communauté catholique sont d’un autre type que ceux à l’extérieur. Il est vrai qu’à l’intérieur notre travail est d’abord d’aller contre une peur ; c’est presqu’un travail d’éducation. Nous avons organisé, par exemple, la semaine dernière, des rencontres avec des spécialistes musulmans pour essayer de parler d’un certain nombre de points ; il est frappant de voir comment finalement, avec les questions ouvertes, beaucoup de gens qu’on avait invités, ont été la cible d’attaques assez virulentes de nos coreligionnaires ; ceux-ci reprenant cette idée qui devient aujourd’hui une sorte de doxa que tout le monde répète, que l’Islam en soi est insoluble dans la démocratie et dans la République… Bref tellement d’attaques qui font que pour nous le travail est au point de départ,elle est de faire passer l’idée qu’il n’y a pas de supériorité de l’un par rapport à l’autre, et que la seule issue est dans l’échange. Mais cette idée est très compliquée à faire entendre dans la population catholique qui traditionnellement a une attitude de suprématie par rapport aux autres religions, certains admettant très mal l’idée que cette « suprématie » soit une idée de l’ancien temps et qu’il faut essayer de passer tout à fait à autre chose.

Du côté extérieur, la difficulté est de devoir être en dialogue pour deux, sans pour autant faire les questions et les réponses. C'est-à-dire qu’il y a effectivement une très forte volonté de dialogue, une conscience et un esprit de dialogue de la part de certains responsables musulmans, mais de même que nous parlions d’une doxa du côté des catholiques par rapport à l’Islam, il en existe une aussi du côté des musulmans par rapport au christianisme . Elle consiste à dire : « Vous avez fait votre temps, passez la main, maintenant, c’est à nous. » En gros, la perspective qui est la pensée finale de nombre de personnes qui parlent en France, dont Tariq Ramadan, c’est qu’on a beau dire, on a beau faire, la France un jour ou l’autre sera un pays musulman. Une sorte de mécanisme historique qui a remplacé la lutte des classes. Donc, il s’agit à la fois de maintenir le dialogue sans pour autant être naïf sur ces questions. Tout à l’heure, je parlais de la possibilité qu’on a eue, à certains moments, de prêter des salles, il y a même eu à quelques endroits des églises qui, ne servant plus, pouvaient être données : « C’est la maison de Dieu, tenez, voilà, on vous la donne. » Je pense que c’est aujourd’hui quelque chose d’impensable parce que cela ne pourrait être vécu dans ce contexte nouveau : " Vous n’y êtes plus, on occupe le terrain", ça montre bien que les choses avancent.

Je dirais que c’est un inter culturalisme sur plusieurs fronts parce qu’il s’agit à la fois d’un rapport de culture à culture, entre catholiques et musulmans, mais aussi de culture à culture entre un certain catholicisme, replié sur lui-même, et la République. Je dirais finalement que, peut-être, un des intérêts paradoxaux de ce type de service (les Relations avec l’islam), c’est d’arriver à faire accepter aux musulmans que la République est finalement le lieu dans lequel ils auront le plus de confort à vivre. C'est-à-dire qu’on va finalement, refaire, d’une certaine manière, pédagogique, le long, lent et douloureux travail qui a été fait par les Catholiques Français, depuis un siècle. De manière extrêmement concrète - j’en parle un peu dans le texte - discuter d’une chose, discuter ensemble, c’est bien, manger ensemble, c’est une chose qui arrive, mais nous nous sommes aussi posés la question de faire des choses ensemble. « Qu’est ce qu’on pourrait essayer de faire avancer ensemble ? » D’où cette association qui est en train de se créer, qui va s’appeler : Œuvrer en Essonne pour une Europe fraternelle. L’idée de cette association est née d’une visite d’un pasteur anglican qui a créé une association européenne dont le but est la réconciliation entre les communautés religieuses prises dans les conflits interethniques, en particulier en Bosnie Herzégovine, et qui dans ce cadre là, a entrepris de participer à la reconstruction d’une mosquée dans la partie serbe de la Bosnie. Vous vous souvenez peut être qu’il y a une double Bosnie, avec une République Serbe extrêmement dure, dans laquelle tous les lieux de culte musulman ont été détruits, entre autres une petite mosquée historique inscrite au Patrimoine de l’Unesco. L’idée est de voir, comment, ensemble, là bas, Orthodoxes, Catholiques, Musulmans et quelques Juifs restants qui n’ont pas été exterminés, comment ces gens là, ensemble, vont pouvoir essayer de de se retrouver autour de ce projet de reconstruction de la petite mosquée ? De manière un peu anecdotique, il se trouve que lorsque le pasteur anglican est venu, nous avions invité à cette rencontre les personnes de la mosquée d’Evry, du Conseil National du Culte Musulman, et à partir de là le projet de création de l’association essonnienne s’est enclenché.

Pour conclure, j’ai le sentiment que ce qu’on fait est extrêmement balbutiant. Il y a un passé de dispute au niveau Chrétiens - Musulmans, mais aussi un passé d’échanges d’une grande richesse... Aujourd’hui, il s’agit de refonder un nouveau dialogue avec cette grande difficulté, semble-t-il, que l’on est dans une situation où l’on trouve finalement, plus de spécialistes de l’islam en milieu catholique qu’en milieu musulman, en France. Mais il me semble aussi que tous ces petits efforts que nous faisons sont au moins une manière de mettre le pied dans la porte pour empêcher qu’elle ne se ferme. Se dire que la situation mondiale est telle qu’il est extrêmement à craindre que la porte ne commence à claquer et que si nous arrivons à maintenir un lieu, un espace à l’intérieur duquel le dialogue soit possible, qui soit un espace recours en cas de troubles ou de difficultés des uns ou des autres, nous
n’aurons pas perdu notre temps.


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