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Texte de azrak n° 8 En téléchargement

Avant propos

Le 26 juin 2005 et pour sa deuxième édition, la rencontre festive initiée par les associations partenaires du centre social et culturel des Aunettes à Evry s'était donnée comme thème fédérateur: l'hospitalité.
Lectures de contes de France, d'Espagne, du Maghreb, d'Afrique de l'Ouest, saynète vietnamienne, projection-souvenirs du pays des Touaregs…ont permis durant près de deux heures de faire partager au public d'usagers de la maison de quartier, issu des quatre coins du monde, les mille facettes de cette merveilleuse institution de l'hospitalité. Institution qui se décline de pays en pays et à travers les âges sous des formes à la fois originales et dont la finalité se retrouve partout identique à elle-même.
Ce principe d'hospitalité dont Jacques Derrida dit que "sans lui, il n'y a pas de culture ni de lien social", doit, plus que jamais, être cultivé comme une plante devenue rare dans un monde dominé au deux bouts de la chaîne par les individualismes et par les États Nations, qui, l'un et l'autre ont tendance à mettre l'étranger à distance.
Et pourtant, n'est-ce pas dans l'accueil de l'autre et à son contact, dans l'échange avec lui, que nous pouvons vraiment nous construire, tant au plan individuel que collectif ?
Dans les traditions de l'accueil de l'hôte, dans le souci constant de lui réserver la "meilleure part", il y a la prise en compte de la précarité du statut de l'étranger ; en voulant, pour un temps, lui donner notre propre place et prendre la sienne, on se refait soit même étranger, comme chacun d'entre nous l'a été un jour, et afin de ne pas oublier que chacun a le droit d'être un autre.
Comment ne pas ressentir l'importance vitale et le besoin urgent de maintenir, parfois de retrouver le chemin perdu de l'hospitalité au moment même où, face au drame de la crise des banlieues, certains de nos responsables politiques n'hésitent pas à nous proposer de réagir par la stigmatisation de familles dites "issues de l'immigration".
C'est donc tout naturellement autour des textes, extraits de romans, contes, poésies, adages, photos souvenirs …réunis pour préparer la fête, que s'est construit ce numéro d'Azrak.
Ce travail de collecte et de mise en forme de documents a été assuré par Claire, Lucie, Brahim, Bernard, Michel, Jean Pierre, Elio. Il nous a semblé intéressant de réunir ce bouquet d'humanité et, en ce début d'année 2006, de l'offrir à tous nos amis et aux amis de nos amis…

"Le sage est celui qui a gravi tous les degrés de la tolérance
et découvert que la fraternité a un regard et l'hospitalité une main."

Edmond Jabès

Le livre de l'hospitalité
Gallimard 1991
Les lois de l’hospitalité, ici et là.


Pierre Klossowski nous en fournit une interprétation surréaliste dans Roberte ce soir, Les Editions de Minuit.

Extrait : « Le maître de céans n’ayant de souci plus urgent que celui de faire rayonner sa joie sur n’importe qui, au soir, viendra à manger à sa table et se reposer sous son toit des fatigues de la route, attend avec anxiété sur le seuil de sa maison l’étranger qu’il verra poindre à l’horizon comme un libérateur. Et du plus loin qu’il le verra venir, le maître se hâtera de lui crier : » Entre vite, car j’ai peur de mon bonheur »… « Voici comment il inaugure une relation avec l’étranger… comme si le maître étant confondu avec l’étranger, sa relation avec toi qui viens d’entrer n’était plus qu’une relation de soi à soi-même. »

Le texte de Klossowski, chantourné à la façon d’une bande de Moebius, dit, si on le comprend bien, que le bonheur ne peut s’atteindre, pour l’hôte, que dans sa mise à la place de l’autre. Dans cette fonction –substitution- résiderait la finalité de l’hospitalité. D’une autre façon, Jacques Berque se proposa de ne plus utiliser le terme « immigration » mais un néologisme de son cru : « en-migration », « un voyage vers soi-même en l’autre et vers l’autre en soi. ». Plus loin dans Roberte ce soir, on voit encore Octave, le « maître de céans », pousser l’hospitalité jusqu’à l’offre de sa femme Roberte à l’étranger –chose « scandaleuse ici » (c’est à dire chez nous, en Occident), reconnaît-il.

Au sujet de l’offre des femmes à l’étranger comme une loi de l’hospitalité, un article récent de la Revue Sciences Humaines (août-septembre 2005, « La sexualité est-elle libérée ? ») démystifie « une des plus durables des utopies qui hantent l’imaginaire occidental, celle de l’amour libre polynésien. » L’article « Le mythe de la vahiné » -basé sur une étude précise des journaux de bords des navigateurs européens des 15ème au 19ème siècles- expose comment les Polynésiens finirent par leur proposer leurs jeunes filles, comme une façon de les amadouer. Cela leur permit de dépasser quelques problèmes de départ : lorsque les Polynésiens montaient à bord des vaisseaux et faisaient main basse sur ce qu’ils y trouvaient, en toute innocence, les Européens répliquaient à coup de mousquets et autres canonnades, face auxquels les jets de pierre des premiers n’étaient que de peu d’efficacité. Pour dépasser cet engrenage de violence, les Polynésiens en vinrent à l’idée d’offrir des jeunes filles aux arrivants, ce que les Européens interprétèrent, à tort, comme une loi de l’hospitalité polynésienne. Point de départ du mythe. Pourquoi aura-t-il fallu attendre le début du XXI ème siècle pour accomplir ce progrès en matière de connaissance des rapports interculturels entre nous et les Polynésiens, au détour d’une revue grand public ?

Bernard Zimmermann
Ulyse et Nausicaa

Après avoir affronté une violente tempête, Ulysse, seul survivant , échoue sur la plage de l'ile des lotophages, pour les Tunisiens c'est évidemment Jerba.
Nausica, la fille du roi Alcinoos , joue à la balle avec ses servantes. Ulysse, effrayant à voir, se présente à elles en suppliant;


"Seule la belle Nausicca aux bras blancs n'a pas peur de l'étranger et le conduit au palais du roi "

Illustration d'Elodie Lemoine classe de 6è



L'été grec ou l'hospitalité à la crétoise selon Jacques Lacarrière

A
ller de Phaestos à Vorri, le blanc village qu'on aperçoit au flanc des Madarès, juste en face de l'acropole, c'est parcourir trente siècles en quelques instants. Rencontre inoubliable, car ce village fut le premier où je connus l'hospitalité grecque. Je venais de traverser la Messara, couverte d'orangers et j'avançais entre les premières maisons quand j'entendis une voix d'homme m'interpeller du haut d'une terrasse. Il avait de longues moustaches, des yeux clairs, un turban noir autour du crâne, une mine plutôt farouche, bref un air si impressionnant que lorsqu'il me fit signe de monter jusqu'à lui, d'un geste autoritaire, je me demandais ce qu'il allait me faire exactement. Ce qu'il me fit, ce fut très simple: à peine arrivé à sa hauteur, il se jeta sur moi, me serra contre lui en riant, me donna de grands coups sur les épaules sans me laisser le temps de déposer mon sac à dos, me fit asseoir sur un banc, se mit à houspiller deux femmes qui ne comprenaient rien à ce qui arrivait, cria quelque chose vers une terrasse voisine, et se mit à rire en faisant de la main ce même geste que j'avais vu faire au moine des Météores, doigts ramenés vers le haut en s'écriant: oraio ! oraio ! Bref, il m'offrait l'hospitalité à la crétoise! Les femmes s'empressèrent, voilées de noir, pieds nus, l'une jeune et plantureuse, l'autre ridée, le visage dévoré par des yeux noirs et très brillants. Elles apportèrent des verres, deux cruches, du fromage et avant même que j'aie le temps de souffler, j'avalais déjà un verre de marc, de tsipouro comme on dit ici, accompagné de mizithra, ce fromage sec et poreux que l'on fait en Crète avec du lait de chèvre et dont je retrouverai le goût d'un bout à l'autre du pays. Tout était nouveau pour moi, en cet instant: cet accueil imprévu, le branle-bas des femmes, la bousculade des enfants criant sur la terrasse voisine pour mieux voir l'étranger, ce goût rêche du tsipouro, cette saveur sèche du fromage -- que l'homme entailla d'un air appliqué après avoir essuyé son couteau sur les pierres - fromage typique des montagnes, inattendu en ce village si proche de la mer (il apportait avec lui une odeur de versants secs, de toisons de chèvres chauffées par le soleil, de lait sûri, tout un monde terrien et embrasé comme celui de la Sardaigne ou de la Corse) et tout cela m'enseignait déjà à sa façon que la Crète est un continent, non une île. Les hommes non plus n'appartenaient pas à la mer. Certains portaient la braie noire et bouffante typique de la Crète, le foulard à franges et les bottes noires. Pendant une heure, nous avons bu, mangé, entre hommes uniquement: les femmes, elles, allaient et venaient pour servir ou se tenaient derrière la table, immobiles, silencieuses, mains croisées sur les jupes, attendant les ordres des maîtres. Cela aussi était nouveau pour moi: cette soumission, cet effacement des femmes. Pourtant, quand elles se retrouvaient dans la cuisine, j'entendais des fous rires étouffés, des conversations furtives qui me rassuraient un peu: elle s'amusaient à leur façon dans leur domaine où les hommes ne pénètrent pas. Une seule d'entre elles, plus âgée, ne servait pas les hommes. Elle était accroupie un peu plus loin, adossée au rebord de la terrasse, indifférente à cette agitation. De ma place, je voyais ses lèvres remuer en cadence comme si elle priait ou fredonnait quelque chose en elle-même. A deux reprises, mes yeux croisèrent les siens: un regard vide et transparent. C'est elle, bizarrement, que ma mémoire a le mieux retenue, cette silhouette ratatinée aux lèvres frémissantes, statue noire, décharnée, absente, comme on en voit des milliers dans les villages grecs et qui donnent l'étrange impression de n'avoir ni poids ni passé, d'être nées ainsi, recroquevillées sur leur destin, avec leurs rides et leur regard vide, rivées à leur village, à leur maison, à leur coin de terrasse, de la naissance jusqu'à leur mort, comme l'huître à son rocher.
Nous avons bu et bavardé longtemps, jusqu'à la nuit tombante. Des voisins, attirés par le bruit, arrivaient sans cesse. Certains s'asseyaient parmi nous, me regardant à la dérobée. D'autres se tenaient silencieux, adossés ici et là, comme des anges noirs. J'étais le premier étranger à venir dans ce Village depuis la fin de la guerre. Cela valait bien une fête. Quand je dis que nous avons bavardé longtemps, c'est évidemment une façon de parIer. Les conversations se déroulaient avec force gestes et mimiques, entrecoupés de quelques mots d'allemand, la seule langue étrangère que mes hôtes comprenaient un peu. J'appris aussi pour la première fois ce soir-là le rituel de l'hospitalité: après avoir bu et mangé, on attend du visiteur quelque chose, un récit, un conte ou simplement qu'il réponde aux questions multiples qu'on lui pose. Questions qui sont toujours les mêmes et qui se répètent à travers les villages avec une telle précision, un ton si identique qu'un voyageur non prévenu pourrait croire que tous les paysans de Grèce se sont donnés le mot. Mais non: ces questions, cette curiosité, elles jaillissent naturellement, spontanément des lèvres grecques depuis trois mille ans, en une ordonnance immuable. Et d'abord: apo pou issai , d'où viens-tu? De France, d'Allemagne, d'Angleterre, d'Amérique? Ensuite: quel âge as-tu? Es-tu marié? As-tu des enfants? As-tu encore tes parents? Quel métier fais-tu? Ce n'est qu'après avoir répondu à cet interrogatoire (dont le sens, bien entendu, n'est pas de savoir vraiment qui vous êtes par votre nom, votre état-civil, votre vie familiale mais de le deviner à travers vos silences, vos hésitations, vos regards, au-delà des mots et des définitions) que vient l'ultime question: se aréssi i Hellada - et la Grèce, elle te plaît? Après quoi, on peut entamer le récit de ses voyages, parler de Paris (qui semblait à l'époque fasciner tous les Grecs que j'ai rencontrés, des paysans crétois aux moines de l'Athos, comme l'image même de la Ville, de la Cité universelle, image mêlée de crainte et d'effroi comme devant une moderne Babylone) ou mieux encore, discuter politique. Je me souviens que ce soir-là, pour la première fois, j'entendis prononcer le nom de Plastiras (qui était cette année-là chef du gouvernement) et celui de son rival, le général Papagos. Très vite d'ailleurs, la conversation se continua entre Crétois et j'écoutais la discussion animée qui suivit, essayant de saisir au vol quelques mots. J'ai du mal aujourd'hui à retrouver les premières impressions ressenties en écoutant le grec moderne. Les langues latines, l'italien, l'espagnol laissent filtrer ici et là quelques mots connus, quelques sons familiers. Rien de tel avec le grec moderne. Il a beau faire partie du même groupe linguistique que le français, il y a un abîme phonétique entre les deux langues. De plus, l'oreille s'étonne de ne retrouver aucun son rappelant le grec ancien. Je sais bien que dans ce domaine on persiste à enseigner dans les lycées et facultés cette ridicule prononciation dite érasmienne qui maltraite, déforme, mutile et taillade les sons doux, flûtés, chuintants parfois de la langue ancienne. Il suffit une fois dans sa vie d'avoir écouté un grec d'aujourd'hui - poète ou comédien de préférence (en l'occurrence ce fut pour moi le poète Séféris à l'époque où je traduisais ses poèmes) réciter dans la prononciation moderne le début de l'Iliade pour sentir immédiatement que jamais les sons du grec ancien n'ont pu ressembler à ce parler rocailleux et barbare inventé par Erasme (je me souviens aussi que dès les premiers jours de mon arrivée à Corfou, je crus bien faire, pour séduire deux ou trois beautés du pays qui me promenaient ici et là à travers l'île, en leur récitant justement le début de l'Iliade dans la prononciation apprise en faculté. Ce fut un tel fou rire, un tel débordement d'hilarité que je me sentis brusquement ridicule. Erasme et l'Iliade furent ce jour-là fatals à mes amours et jamais on ne m'y reprit). Tout cela pour dire que dans ce village, sur cette terrasse d'où je voyais la mer étinceler au loin, la tête déjà lourde de vin et de tsipouro, j'écoutais les hommes discuter des mérites comparés de Plastiras et Papagos dans une langue qui était pour moi une musique harmonieuse mais incompréhensible. Et ce soir-là, devant cette langue presque inconnue, j'eus le sentiment que la Grèce - et la Crète plus encore - avaient finalement peu à voir avec l'Occident. Ce voyage vers la mère-patrie de nos concepts, aux racines de notre raison, à la source claire de nos rêves et de nos mythes me révélait un aïeul méconnaissable, parlant une langue si déconcertante par ses sons, si orientale par ses gestes que je me sentis dérouté. Comme si, enfant, adolescent, on m'avait annoncé un soir que mon vrai père, ma vraie mère n'étaient pas ceux qui m'avaient élevé.

Extrait du chapitre 5 de L'été grec de Jacques Lacarrière
Editions Plon , collection terre humaine 1976

L'évasion d'une jeune juive vers l'Espagne

Inge (Berlin) Vogelstein avait 19 ans quand elle s'est évadée en Espagne en passant par les Pyrénées en avril 1943. Elle habite aux Etats-Unis.
C'est en 1939 que j'ai échappé avec mon jeune frère à la persécution nazie en Allemagne sous le couvert d'un transport d'enfants vers la Belgique. Mais avec l'invasion allemande de 1940 nous étions une fois de plus sous l'emprise de Hitler. Pendant la progression de l'invasion, nous avons été évacués par trains de marchandises sous les bombardements vers le Sud de la France au hameau de Seyre en Haute Garonne. Nous étions un groupe d'environ 100 enfants entre 4 et 16 ans. Nous avons vécu à Seyre pendant environ un an dans des conditions extrêmement difficiles avant que la Croix Rouge Suisse n'en eut connaissance et nous transféra vers le Château de la Hille en Ariège près de Montégut Plantaurel.
Malgré les conditions de vie précaires, nous arrivions quand même petit à petit à un semblant d'organisation communautaire avant que le Sud de la France soit lui aussi occupé par les autorités allemandes. A partir de ce moment là, ceux d'entre nous qui avaient atteint l'âge de seize ans vivaient sous une menace permanente d'arrestation et de déportation.
Cela survint en 1942 : les plus âgés d'entre nous furent arrêtés et déportés vers le Camp du Vernet avec pour destination finale les camps de la mort en Europe de l'Est. Sous nos yeux, d'autres Juifs français et sûrement aussi d'autres minorités furent entassées comme du bétail dans des trains vers une destinée fatale.

Grâce aux efforts de la Croix Rouge Suisse, notre groupe a été autorisé à retourner vers la Hille.
Très vite, nous constations clairement que cela n'était qu'un court instant de répit pour nous. Nous n'étions plus arrêtés en groupe mais individuellement à intervalles réguliers. C'est pourquoi, un certain nombre d'entre nous décidèrent de faire une tentative d'évasion, certains vers la Suisse, d'autres comme moi vers l'Espagne.
Nous étions cinq à partir vers les contreforts des Pyrénées. Après quelques temps deux d'entre nous ont décidé de retourner à la Hille. Il nous manquait tout pour mener à bien une pareille expédition: nous n'avions pas de chaussures et vêtements adaptés, même pas de boussole et très peu de nourriture. Nous devions retrouver un guide sauf erreur, c'était à St Girons. Mais cette personne n'était pas au rendez vous. Nous n'avions alors pas d'autre choix que de partir seuls vers les montagnes.
Avec la tombée de la nuit et les pentes devenant de plus en plus raides, notre moral sombrait. Nous avons décidé de frapper à la porte d'une ferme isolée et demander la permission de dormir dans la grange pour la nuit. Une femme très gentille nous accorda l'asile et peu de temps après elle nous apporta une soupe chaude en bravant la pluie: un vrai cadeau de dieu.

La femme ne semblait pas surprise d'avoir des hôtes aussi étranges, elle semblait plutôt y être habituée. Elle n'a jamais demandé nos intentions. Pendant que nous nous revitalisions avec sa bonne soupe chaude, elle nous dit que nous n'avions aucune chance de traverser les Pyrénées sans un guide et que son fils était prêt à nous conduire jusqu'à un certain endroit à partir duquel il nous serait plus facile de continuer tout seuls. Ni elle ni son fils ne nous demanda rien en retour.
Tôt le matin, le jeune homme vint nous chercher à la grange et nous partîmes ensemble. L'ascension était laborieuse mais cela ne m'a pas empêchée d'admirer la splendeur de la montagne au lever du jour, c'est une impression inoubliable que je n'aimerais pas avoir ratée. Après quelques heures d'extrêmes efforts, il s'arrêta et nous indiqua la direction à prendre; puis il fit passer son béret où nous déposâmes le maigre contenu de nos poches. Il était temps de nous séparer et nous le remerciâmes de tout notre coeur. Il retourna vers la France pendant que nous prenions la direction opposée.
Nous avons eu beaucoup de chance, nous n'avons pas rencontré de soldats sur le côté français. Les premiers Espagnols que nous rencontrâmes étaient un couple de bergers, ils vivaient complètement isolés quasiment dans une grotte. Malgré la barrière de la langue, ils nous ont offert l'hospitalité. Tout comme la femme de la grange, ils ne manifestaient aucune surprise de nous voir. Eux aussi semblaient être habitués à de tels visiteurs. Ils nous ont offert leur grenier de foin pour la nuit et nous n'avons jamais dormi aussi profondément.
Nous étions vraiment exténués. Ils ont très gracieusement partagé leur repas du soir avec nous qui consistait en une polenta et du lait de chèvre.
Peu de temps après un officier très poli de la patrouille espagnole vint nous arrêter et nous conduisit dans sa voiture officielle vers la ville la plus proche, Lerida, et nous délivra aux autorités.
Même si nous étions prisonniers, nous étions heureux et soulagés. Nous étions traités civilement et nous ne fûmes pas reconduits à la frontière.
? Trad Y. Tschierschke
Le frère d'Inge, Egon Berlin, est resté en Ariège et devenu un maquisard. Il est mort en combat près de Roquefixade à l'age de 16 ans. Il est enterré au cimetière de Pamiers.

IL M'A DIT

Il m'a dit :
Ma race est la race jaune.
J'ai répondu:
Je suis de ta race.

Il m'a dit:
Ma race est la race noire.
J'ai répondu:
Je suis de ta race

Il m'a dit:
Ma race est la race blanche.
J'ai répondu :
Je suis de ta race;

Car mon soleil fut l'étoile jaune
Car je suis enveloppé de nuit
Car mon âme comme la pierre de la loi
Est blanche.

Edmond Jabès
Art Contre/Against Apartheid


Ma table est mise et mes convives sont en retard

Manifester son humanité, rester ouvert à l’autre, même s’il répond à votre hospitalité par de la violence , c’est ce qu’exprime ce poème d’Abdellatif Laabi

Ma table est mise et mes convives sont en retard.
Ont-ils oublié mon invitation, perdu mon adresse en cours de route? Quel mal a-t-il pu leur arriver?
Depuis des heures, j'attends, « mon oreille suspendue à la porte ». Je ne sais pas combien seront mes convives, s'ils porteront des habits d'hiver ou d'été, en quelle langue ils lanceront leur salut en entrant.
Ma table est mise. J'attendrai le temps qu'il faut et qu'il ne faut pas. Et si j'étais victime d'une illusion, je m'entêterais. J'inventerais des amitiés rares, des visages ouverts, faciles à lire comme des livres d'enfants, des voix aux accents délicieux et des bouches petites qui partageraient jusqu'au grain de couscous.
Ma table est mise. J'y ai disposé toutes mes cultures, avec amour. La musique m'aide à supporter l'attente. Elle attendrit mes ragoûts, fait briller mes olives, libère les parfums de mes épices.
Enfin, j'entends des bruits de pas. Je me lève pour aller ouvrir. Mais la porte vole en éclats. Sont-ce là mes convives? Des hommes sans visage font irruption, l'arme au poing. Ils ne font pas attention à moi.
Ils tirent sur la table jusqu'à la réduire en miettes et se retirent sans dire mot. La musique s'arrête.
Bon, il ne me reste plus qu'à faire le ménage et préparer un nouveau repas.

Abdellatif Laabi, poète marocain
In l'Etreinte du monde. Paris: La Différence, 1993.



? ? ? ou l'hospitalité kabyle


Hospitalité se traduit généralement par istiqbal substantif dont la forme verbale est la dixième istaqbala : accueillir, donner l’hospitalité.
La racine du mot est trilitaire Q B L ? ? ? dont le sens est : avant (par opposition à après), priorité, approbation, acceptation, accueil.
Il existe un grand nombre de dérivés de cette racine.
QaBiLa nomme la tribu. Concept important de la société maghrébine. Substantif/participe qui signifie « accueillante ». La fonction essentiellement intégrationniste de la tribu.
QaBayli (kabyle) est le membre accueillant de la QaBiLa hospitalière.
La racine QBL est arabe et sa forme berbère prend un préfixe t et un suffixe t soit TQBLT prononcé TaQBayLiT. La berbérisation d’une racine arabe ou autre se fait presque toujours ainsi. Un embrassement. L’enveloppe que constituent préfixe et suffixe est hospitalière.

Petit aphorisme
« Quand le maître de maison bat du tambour l’invité danse autour »

Brahim Zerouki,
Historien médiéviste algérien

L’hospitalité, une pratique sociale enracinée dans la culture kabyle


Les Kabyles exercent l’hospitalité sans ostentation mais généreusement et avec cordialité.
L’hôte est toujours traité avec égard, et souvent mieux nourri que la famille où il est reçu.
Lorsqu’il arrive dans un village, le voyageur n’est jamais éconduit, car il est l’hôte de tous. Il lui suffira de dire au premier habitant rencontré : "je viens comme hôte du village " . Il sera alors conduit chez l’Amin, lequel est chargé de veiller à ce qu’il soit traité convenablement suivant son rang.

Extrait du roman Bleu Permanent de Brahim Zerouki


Les pages qui suivent sont extraites d'un roman de Brahim Zerouki, Bleu permanent.
En écho au récit du narrateur , lequel est prisonnier de l'armée française pendant la guerre d'indépendance, cette œuvre romanesque met en scène une mémoire amazigh du VIII ème siècle. Cette mémoire berbère qui resurgit du haut Moyen Age véhicule un humanisme ancien. Elle relate une histoire d'amour dans la cité de Tagdemt, la Djazira, mère de toutes les Djazaïrs du Maghreb, cité démocratique sans portes, conduite par des savants et des hommes de Dieu et dont la renommée, nous dit l'auteur, s'étendait au Machrek. Au détour de l'intrigue, la pratique de l'hospitalité berbère s'exprime en particulier à travers les pages 169 à 172 ici reproduites : du pain rompu et partagé avec les hôtes de l'imam; des trois jours pendant lesquels les étrangers seront ses hôtes,"trois jours que vous me devez" rappelle l'imam"

Ce même jour, trois étrangers se présentent devant la porte de l’imam. Asen est occupé à pétrir de la terre qu’il porte ensuite sur la terrasse que l’imam restaure régulièrement après les moissons. L’un des nouveaux venus s’adresse à Asen pour lui dire qu’ils veulent voir l’imam. Sachant que ce dernier les entend, Asen ne répond pas. « Demande-leur de patienter », fait l’imam. Il descend et va, sous le regard étonné des hommes, se laver pour se débarrasser des traces de terre qu’il porte. Ce n’est qu’à ce moment que Asen remarque l’absence de cognassier dans la cour intérieure. Il y a un figuier. « Tout s’explique ! Le figuier c’est les Berbères. Un signe que l’imam venu de Perse, les aime. Le cognassier c’est la Perse. Un signe que les Amazigh aiment l’imam ». Ce dernier fait ses ablutions puis la prière. Au terme de celle-ci, il s’assoit sur la natte, fait signe à ses hôtes de prendre place en face de lui et regarde Asen qui comprend. L’adolescent part chercher de quoi restaurer les hommes. L’épouse de l’imam brise une miche de pain en plusieurs morceaux qu’elle dispose dans un plat en bois. Elle le remet à Asen ainsi qu’un pot de beurre rance. Sous les yeux des hommes, Asen verse le contenu du pot sur les bris de la miche. L’imam se sert pour donner l’exemple. Les hôtes se restaurent en silence. Le repas terminé, l’imam leur adresse enfin la parole en leur souhaitant la bienvenue puis leur demande l’objet de leur visite. Ils se regardent à nouveau. Enfin l’un d’eux dit: « Permets-nous de nous retirer. Nous voudrions nous concerter ». « Faites, » leur dit-il.
Ils se lèvent et repartent dans la direction d’où ils étaient venus.
L’épouse de l’imam a juste le temps de ramasser le plat et de remettre la natte au sol que déjà les voyageurs sont de retour mais cette fois suivis de trois chameaux lourdement chargés.
- Nous venons de la Bassorah d’Irak, lui dit l’un d’eux. Nous avons là trois charges qui représentent l’impôt légal de nos Djazaïr. Nos frères te les destinent car nous te reconnaissons comme notre seul imam. Notre espoir est que tout le Machrek se constitue en Djazaïr à l’exemple du Maghreb.
- Hassen, fait l’imam, rends-toi auprès de notre cadi et dis-lui de réunir notre conseil.
Asen fait un signe de tête et se retire avec déférence. Les hommes l’entendent dévaler le chemin à très vive allure.
-Avez-vous rencontré des obstacles sur votre route ? demande l’imam.
- Jusqu’ à l’occident du Nil, nous avons organisé notre sécurité avec les Djazaïr qui te reconnaissent comme leur seul imam. Au-delà du Nil vers l’Ouest, toutes les Djazaïr que nous avons traversées, nous ont apporté assistance et réconfort.
Le cadi arrive le premier, bientôt suivi des cinq autres membres du Conseil. « Veuillez formuler votre message à notre Conseil », fait l’imam à l’adresse des voyageurs. Ces derniers s’expriment puis l’imam demande leur avis aux membres du conseil qui échangent brièvement en aparté avant que l’un d’eux ne glisse quelques mots à l’oreille de l’imam. Alors, ce dernier remercie longuement les nouveaux venus puis décline l’offre en demandant aux hôtes de redistribuer eux-mêmes l’impôt en question dans leur djazira d’origine. Ces derniers visiblement très impressionnés, tentent d’insister en se retranchant derrière la volonté des djazaïr d’Orient mais l’imam redoublant de diplomatie demeure sur sa position. Après quelques mots qui détendent toute l’assistance, il ajoute, « vous resterez ici au moins les trois jours que vous me devez ». Un long échange d’informations s’engage. Asen qui a suivi la conversation rentre chez lui. « J’ai trois jours » se dit-il.

Bleu permanent
Brahim Zerouki
L'Harmattan, Écritures Berbères
1999

Libre propos

Le principe d'hospitalité est le garant de la possibilité du "vivre ensemble" et avec l'"Autre". Dans les périodes difficiles, il a souvent fonctionné en amenant les personnes à braver l'arsenal réglementaire coercitif mis en place par le pouvoir politique pour interdire l'accueil ou l'assistance à certaines catégories d'humains. On se souvient, par exemple, du rôle joué pendant la seconde guerre mondiale par la Cimade, au mépris des lois de Vichy et de l'occupant nazi. Tradition que la Cimade continue de faire vivre et c'est tout à son honneur. Ou encore du curé de Saint Bernard accueillant les Sans-papiers.

Il y a aujourd'hui à mon sens dans la volonté de sanctionner ceux qui passent outre à l'interdiction d'accueillir un Sans-papiers, lequel n'est pas à priori une menace pour l'ordre public, une remise en cause du statut et de l'inviolabilité du "chez soi".

Elio Cohen Boulakia

La mère Misère" d'après un conte d'Espagne

I
l était une fois une vieille femme, toujours de noir vêtue, qui vivait si pauvrement que tout le monde l’appelait « la Mère Misère ». Elle habitait dans une maisonnette à moitié en ruines, et n’avait pour tout bien qu’un petit banc de bois, quelques planches pour dormir dans un coin et une petite marmite cabossée, elle aussi noircie par les ans. Mais cette marmite allait rarement au feu car la Mère Misère n’avait guère à se nourrir.

Cependant, à côté de sa masure, se trouvait un abricotier. Cet arbre lui donnait de beaux fruits, dorés et succulents et, en retour, elle lui accordait ses soins attentionnés, lui apportant chaque jour un peu d’eau à son pied, au moment où il fallait.

La Mère Misère restait digne et ne se plaignait jamais, sauf d’une chose : des galopins des environs venaient souvent piller son abricotier, s’installant sur ses branches pour déguster plus à leur aise les fruits de l’arbre. Vieille comme elle l’était, et de peu de forces, elle ne pouvait se défaire de ces garnements qui ricanaient quand elle les menaçait.

Un soir, un homme s’arrêta devant sa porte. Fatigué par une longue journée de marche, il demanda à la Mère Misère de lui accorder l’hospitalité pour la nuit. Elle accepta de bon cœur, et lui fit partager son très frugal dîner.

Le lendemain matin, au moment du départ, le voyageur lui dit :
« Mère Misère, tu m’as accueilli généreusement et je veux t’en remercier. Sache que j’ai le pouvoir d’exhausser des voeux. Fais donc un vœu, mais un seul, et il sera exhaussé. »
La Mère Misère lui dit : « Hé bien, je souhaite qu’à partir de maintenant, quiconque grimpera dans mon abricotier y restera collé et n’en pourra plus redescendre sans mon autorisation. »
Le voyageur lui dit : « Il en sera ainsi, Mère Misère. Adieu. » Et il s’évanouit à ses yeux.
A peu de temps de là, la bande des galopins s’en revint et, selon leur habitude, ils grimpèrent sur l’arbre pour profiter de ses fruits. Mais, lorsqu’ils voulurent en redescendre, impossible. Ils se trouvaient collés aux branches sans pouvoir s’en détacher. Ils eurent beau crier, appeler la Mère Misère à leur secours, rien n’y fit. Elle demeura inflexible.

Alors, les parents vinrent la supplier à leur tour de libérer leurs enfants. La Mère Misère le leur refusa tout net. Et les garçons restèrent ainsi prisonniers dans l’arbre, pendant plusieurs jours. Lorsque la Mère Misère eut estimé que la punition avait assez marqué leurs esprits, elle prononça les mots qui les autorisaient à quitter l’abricotier mais non sans avoir reçu la promesse solennelle de leur part qu’ils ne recommenceraient plus à piller son arbre.

Un jour, la Mort s’en vint. Elle aborda la Mère Misère et elle lui dit :
« Mère Misère, ton tour est venu de me suivre. Prépare-toi à faire le grand voyage. »
La Mère Misère s’attendait à cette arrivée. Elle répondit à la Mort : « Mort, je vais m’apprêter, accorde moi juste le temps qu’il faut ; je n’en aurai pas pour longtemps, puis j’irai avec toi. Pendant ce temps, si tu veux, monte dans l’abricotier et goûte quelques-uns de ses fruits. »

La Mort fit comme la Mère Misère le lui avait proposé. Mais lorsqu’elle essaya de descendre de l’arbre, impossible, elle resta collée à ses branches. La Mort, demanda à la Mère Misère de la faire sortir de là, mais elle s’y refusa. La Mort eut beau se démener et tempêter, et menacer, et supplier, rien n’y fit. La Mère Misère ne la libéra point.

Alors, la Mort demeura dans l’arbre longtemps, très longtemps. Les jours, et les mois, et les années passèrent. La Mort était toujours captive dans l’abricotier de la Mère Misère. De la sorte, plus aucun être vivant ne mourrait : il ne trépassait plus ni un humain, ni un âne, ni un moineau, ni même une mouche. Rien. La Terre se peuplait de plus en plus d’êtres accablés de vieillesse et de maladies, de gens désespérés et aussi d’animaux nuisibles de toutes espèces, insectes et autres…

Alors, la Mère Misère dit un jour à la Mort :
« Mort, je consens à te permettre de sortir de l’arbre mais à une condition. »
La Mort dit : « J’accepte d’avance ta condition, Mère Misère, dis. »
La Mère Misère dit : « Ma condition est que tu ne te saisisses jamais de moi. Que tu me laisses aller mon existence sans t’en mêler. Promets-tu ? »
La Mort répondit : « Je te le promets, Mère Misère. »
La Mère Misère prononça alors les mots qui délivraient la Mort.
Et la Mort s’en retourna dans le monde.

Depuis, ce temps-là, effectivement, la Mort a tenu sa promesse et Mère Misère continue d’être de ce monde.

D’après un conte d’Espagne retranscrit par Bernard Zimmerman


Gravure ancienne, allégorie du combat sans fin contre la misère

« Dhiaf Rabi », « l’hôte de Dieu » d'après une conte d'Algérie


Un homme vivait avec sa femme et travaillait durement. Malgré cela, il parvenait tout juste à gagner de quoi avoir chaque jour deux galettes de pain d’orge.
Un jour, il en eut assez de cette situation qu’il trouvait injuste, il décida d’aller voir Dieu pour se plaindre : « d’autres ne parviennent pas même à dépenser ce qu’ils ont, et je dois moi, me contenter de n’avoir que du pain ! » se disait-il.

Et il devint mendiant, c'est-à-dire l' « hôte de Dieu » .

Il arriva un soir, affamé et très fatigué, à l’entrée d’une grotte où vivait un saint homme qui passait sa vie à étudier le Coran; il lui demanda l’hospitalité.
Le saint homme lui dit : « dans sa miséricorde Dieu m’envoie du ciel chaque jour une galette d’orge et un pot de petit lait, nous allons les partager. »

Surprise ! Ce jour-là, le saint homme reçut une deuxième galette, mais celle-là blanche et moelleuse, et un deuxième pot qui lui, contenait du lait crémeux.
Le saint homme, qui n’en avait pas mangé depuis quarante ans, garda pour lui la galette de pain blanc et le lait crémeux, et donna au mendiant le petit lait et la galette d’orge.

Quelques jours plus tard continuant sa route, notre mendiant surpris par la nuit alla frapper à la porte d’un homme dont les villageois disaient pourtant de lui qu’il avait tué 99 personnes !!
« Tu es l’hôte de Dieu, viens te restaurer et dormir sous mon toit, » lui dit l’assassin ; et après avoir fait égorger son mouton le plus gras, il lui fit préparer un festin et il lui réserva les meilleurs morceaux ; enfin se contentant pour lui d’une simple paillasse, il offrit au mendiant son propre lit pour la nuit.

Le mendiant arriva enfin chez Dieu ;
Dieu lui dit : « je t’envoie pour ta femme et toi-même tous les jours de quoi manger à votre faim et tu te plains ! Tu mériterais un châtiment mais je te pardonne, car tu as permis à un assassin qui t’a dignement offert l’hospitalité de pouvoir se racheter de ses crimes.
Quant au saint homme, qui t’a demandé quelle place je lui avais réservée au Paradis, tu pourras lui dire qu’il risque bien d’aller en Enfer parce qu’il a enfreint les lois de l’hospitalité en ne te réservant pas la meilleure part
.
"L’homme qui sacrifia son cheval."


I
l était un pauvre homme qui n’avait pour unique richesse qu’un cheval. Il vivait dans une misérable cabane. D’un petit lopin de terre, à côté, il tirait durement tout juste de quoi ne pas mourir de faim. Mais il avait ce cheval ; c’était un animal superbe, fin, vif


et intelligent. Le pauvre homme lui vouait une affection sans limite. Il tenait à son compagnon plus qu’à tout et pour rien au monde, il n’aurait accepté de s’en séparer.


Or, voici qu’un jour vint à passer par là le Roi. Le Roi aperçut le cheval. Et le cheval plut énormément au Roi. Le Roi dit qu’il n’en avait jamais vu d’aussi beau et fier et il déclara qu’il lui fallait posséder cet animal car maintenant qu’il l’avait rencontré il ne pourrait plus vivre un seul jour sans lui.


Le Roi s’adressa au pauvre homme et lui dit :
« Homme, je veux acheter ton cheval. Combien m’en demandes-tu ? Dis ton prix : je l’accepte d’avance. »
Le pauvre homme répondit au Roi que son cheval n’était pas à vendre parce qu’il y tenait trop.
Le Roi insista beaucoup pour le faire changer d’avis mais le pauvre homme resta ferme. Il affirma au Roi qu’il ne se débarrasserait pas de son cheval pour tout l’or du monde.


Le Roi comprit qu’il n’arriverait à rien comme ça. Il repartit donc mais il décida d’utiliser un stratagème pour obtenir satisfaction.
Il confia cette mission à trois Sages de son royaume, choisis dans son entourage.
Les trois hauts personnages se concertèrent. Puis, à la tête d’une importante caravane, ils se présentèrent un jour chez le pauvre homme.
Ils lui demandèrent l’hospitalité, sachant qu’elle ne pourrait pas leur être refusée.


Le pauvre homme vit arriver les représentants du Roi avec beaucoup d’angoisse. Comment, songeait-il, pourrait-il honorer ses visiteurs en remplissant son devoir d’hôte ? Ne lui fallait-il pas les héberger et les nourrir pendant trois jours, comme le prescrivaient les lois de l’hospitalité : il peinait déjà à trouver de quoi manger chaque jour à sa faim. Il était au désespoir.


Il tourna et retourna le problème dans sa tête et, en fin de compte, il se résigna à la seule chose qu’il pouvait faire pour remplir les assiettes de ces grands personnages, trois jours durant.
Au troisième jour enfin, il leur posa la question –car il se doutait bien qu’ils étaient venus pour lui demander quelque chose :
« Qu’avez-vous donc à me demander, ô nobles seigneurs ? »
Ils lui répondirent :
« Nous sommes venus te demander d’accepter de vendre ton cheval au Roi, car le Roi en a beaucoup envie. »
« Mon cheval ? Mais je ne l’ai plus ! » dit le pauvre homme.
« Que racontes-tu là, homme ? Ton cheval, nous l’avons vu en arrivant ici. Allons, trouve autre chose ! »

Alors, le pauvre homme leur dit la vérité : il avait sacrifié son cheval pour pouvoir les nourrir pendant trois jours, ainsi que l’exigent les lois de l’hospitalité.

Les trois Sages s’en furent par où ils étaient venus.


Conte arabe inédit recueilli par Nora Aceval et
publié avec son aimable autorisation


Le don de nourriture

Xareft-ek ma xareft-ek !

A
utrefois, un couple de paysans très pauvre ne survivait que grâce à la tadhigah , le don de nourriture, que leur faisaient les voisins. Leur unique enfant était encore tout petit.
Un jour, la femme poussa son mari à tenter sa chance en allant chasser dans le bois.
- Bouge ! Fais quelque chose. Ramène au moins un lièvre, lui dit-elle.
- D'accord ! répondit-il, mais avant, il va falloir que tu ailles clamer dans le douar qu'à partir d'aujourd'hui, la tadhiga est abolie.
- C’est impossible d’annoncer cela. Comment dire ces mots à mes voisins qui m’envoient toujours des assiettes de couscous pour déjeuner et même pour dîner ?
- Si, si ! insista le mari. Va leur dire : Le don de nourriture pour le voisinage est supprimé ! Tu comprends, si je chasse un lièvre et que les voisins attendent de recevoir une part, il ne nous en restera plus assez.
Contrainte, la femme finit par clamer :
- Oh les voisins ! Le don de nourriture pour le voisinage est supprimé. Et, honteuse, elle ajouta : Mais vous, vous pouvez continuer à me donner à manger.
Les voisins outragés, se plaignirent de ce manque de savoir-vivre.
- Une tradition ancestrale ! Voilà ce qu'elle cherche à supprimer. Quel sacrilège que d'abolir la tadhiga !
L'homme se leva tôt le matin et se dirigea vers la forêt. Il ne tarda pas à trouver un lièvre couché au soleil à l'entrée de son terrier. Il s'approcha tout doucement, tout doucement et s'arrêta. Le lièvre qui n'avait rien entendu, dormait toujours. Au lieu de l’attraper, l'homme lui dit :
- Ô lièvre ! Que tu sembles bien sous le soleil. Je suis venu te chasser mais je crains de te blesser.
Il rebroussa chemin, les mains vides. Le soir, le couple attendit de recevoir comme à l’accoutumée le "don de nourriture" mais en vain. La femme pleura et accusa son mari d'être à l'origine de tous ses malheurs.
Les lamentations firent quitter le pays au pauvre paysan. Il s’en alla chercher du travail, loin de sa tribu. Il partit et marcha, marcha…. Il entra dans un pays, sortit d’un autre pays, entra dans un pays, sortit d’un autre pays…
Un jour, il rencontra un fellah. Cet homme était en réalité un ogre, mais cela ne se voyait pas car il se présentait comme un être humain. Il avait une ferme, des terres, des troupeaux de moutons, des vaches et bien d'autres bêtes. Dès qu'il vit le paysan, il l’interpella :
- Ya flen ! Oh Toi ! Où vas-tu par-là ?
- Je cherche du travail !
- Cela tombe bien car je suis à la recherche d'un khammès. Si tu acceptes de t'occuper de mes terres et de mes biens tu toucheras plus que le cinquième des bénéfices auxquels tu as droit. Chez moi, vois-tu, tout est un véritable oued. Tout coule à flots : le blé est oued, l’orge est oued, le beurre est oued, le lait est oued…
L’homme se réjouit :
- Ah ! Voilà, ce que Dieu m’envoie !
Il accepta d'être le khammès et retourna chercher sa femme et son fils. Ils posèrent leur khaïma (tente) près de la ferme. Le soir, ils reçurent du fermier de quoi faire un copieux repas ; ils mangèrent plus qu'il n'en fallait et passèrent une bonne nuit. Ils étaient contents.
Le lendemain matin, l’ogre donna la charrue à l’homme qui alla labourer les champs. Pendant ce temps, la femme moulut le grain et prépara le pain. Ensuite, elle langea son bébé, lui donna le sein et le posa dans son berceau suspendu entre deux piliers de la tente. Une fois l'enfant endormi, elle porta le pain à son mari.
Mais voilà que pendant son absence, l’ogre rentra sous la tente, se saisit du bébé, l'avala et le régurgita en disant :
- Ouled el Çrab harš, marš ! Les enfants des Arabes sont rugueux, rugueux !
Il l'avala une nouvelle fois et le recracha en répétant, toujours :
- Ouled el Çrab harš, marš ! Les enfants des Arabes sont rugueux, rugueux !
Lorsque la mère revint des champs, elle trouva les langes de son bébé mouillés et déchirés. Elle se lamenta :
- Oh mon Dieu ! Mais qu’est-il arrivé à mon petit ?
Le soir, elle fit part de son inquiétude à son mari qui lui reprocha de ne jamais être contente et de chercher des prétextes pour nuire à leur bonheur. Depuis, elle se tut mais resta vigilante et accentua sa surveillance.
Un jour, en revenant des champs, elle s’approcha discrètement de la tente dans l’espoir de découvrir quelle était cette chose qui bavait sur son enfant. Elle avait imaginé mille étrangetés, mais rien de ce qu'elle allait constater. Elle fut terrifiée de voir le fermier avaler et régurgiter son bébé tout en répétant : " Ouled el Çrab harš, marš ! Les enfants des Arabes sont rugueux, rugueux !"
Le pauvre bébé braillait entre deux ingurgitations. La femme comprit que le fermier était un ogre. Elle se garda de crier et s'annonça d’une voix timide :
- Oh ! Sidi ! Je suis là !
Elle agissait comme les femmes pudiques qui n'osent pas se montrer le visage découvert devant un homme autre que leur mari. L’ogre, surpris, sortit en expliquant :
- J’ai entendu le bébé crier et je suis venu le bercer !
Mais quand la femme se pencha sur le berceau, elle trouva son bébé tout gluant avec les langes déchirés. Elle attendit avec impatience le soir pour relater la terrible découverte à son mari. Elle lui dit en tremblant :
- Tu sais, c’est un ogre ! C'est lui qui tente d'avaler notre bébé. Malgré son apparence bien mise et ses manières de riche fermier, c'est un ogre.
- Que vas-tu encore inventer ? lui répondit-il sans s'agiter ni s'étonner.
- Tu ne me crois pas parce que tu es rassasié et tu ne manques de rien ! Tu te sens bien… Ton ventre bien rempli t'empêche de réfléchir à ce qui se passe autour de toi. Partons vite, je t’en supplie.
- De toute façon, je n’irai nulle par ailleurs. Je ne crois pas que c’est un ogre et si c’en était un et qu’il venait à me dévorer, c’est moi que ça regarde. Et si tu veux partir, tu n'as qu'à t'en aller, trancha-t-il net.
Dès l'aube, la pauvre femme porta son fils sur son dos et se sauva.
Elle retourna dans la tribu auprès de ses sept frères et leur raconta sa terrible mésaventure :
- Nous étions chez un homme qui avait une ferme, des terres, des troupeaux de moutons, des bœufs, toutes les richesses. Mais seulement, j'ai découvert que c'est un ogre. Je l'ai vu avaler et régurgiter notre bébé ; hélas mon mari a refusé de me croire. J’ai des craintes pour lui. J’ai bien peur que l'ogre ne le dévore dès ce soir.
Elle avait raison de s'inquiéter car l’ogre en découvrant qu'elle avait quitté les lieux, se rendit auprès du khammès qui labourait le champ et l'interpella :
- Ya flen ! Eh toi ! Laisse la charrue et viens.
L’homme obéit et l'ogre l'interrogea:
- H’niya, ta femme, où est-elle allée ?
- H’niya est allée chez ses frères, fit l'homme.
- Pourquoi ?
- Je me suis disputé avec elle, mais il n'y a rien de grave et je sais qu'elle va revenir.
- Et bien, puisqu’elle est partie, va chercher une brebis, tue-la et fais-nous un bon dîner car j'ai faim, prétendit l'ogre.
L’homme courut vers le troupeau, choisit un mouton, l'égorgea et en fit un méchoui. Au moment du repas, l'ogre se contenta d'un petit morceau et insista pour que le khammès mangeât tout le reste. Une fois repu, le khammès quitta la table malgré l'insistance de son hôte qui se leva et boucla tout. Il ferma les fenêtres, il ferma les portes et ne laissa aucune ouverture. Ensuite, il se tourna vers le khammès et lui lança d'une humeur menaçante :
- Toi, prends ton bain !
- Pourquoi dois-je prendre mon bain ? s'étonna le paysan.
- Je t’ai dit : Prends ton bain ! Si ! Si ! Prends ton bain ! Fais tes ablutions car demain je vais te donner un chapelet à porter comme don de ma part à la mosquée . C’est pour cela que tu dois te nettoyer et te changer. D’ailleurs, je t’ai acheté des vêtements tout neufs.
L’homme, toujours naïf, prit son bain. Une fois lavé, l'ogre lui tendit une bouteille d’huile et lui ordonna à nouveau :
- Allez ! Vas-y, masse-toi tout le corps avec cette huile.
Le khammès obéit et se massa tout le corps avec une grosse quantité d'huile.
L'ogre pensait en le regardant faire :
- Les Arabes sont rugueux, rugueux ; avec l'huile il glissera mieux.
- J'ai fini, dit l'homme satisfait et fier de lui.
C’est alors que l’ogre lui lança :
- Quelle partie du corps veux-tu que je dévore ?
- Quoi ? cria le pauvre khammès, que dis-tu ? Sois sage mon ami ! On ne plaisante pas ainsi. Que veulent dire ces paroles : "Quelle partie du corps veux-tu que je dévore ?"
- Je t’ai dit : quelle partie du corps veux-tu que je dévore ? recommença l'ogre.
L'homme comprit enfin qu'il était perdu. Il déclara courageusement :
- Dévore le bras qui s’est levé contre ma cousine la fille de ma tribu et dévore ensuite les yeux qui n’ont pas voulu regarder ma cousine la fille de ma tribu. Achève-moi par le pied gauche qui n’a pas suivi ma cousine la fille de ma tribu.
C’est ainsi que l’ogre le dévora et jeta au dehors les vêtements du pauvre disparu.
Quelques jours après, la femme retourna sur les lieux avec ses sept frères, dans l'espoir de sauver son mari. Elle les cacha dans un silo à blé creusé à l'endroit où la tente avait été montée. Quand l’ogre l’aperçut, il se mit à crier de loin :
- Ya hniya ! jiti ? Oh H’niya ! Tu es revenue ?
- Oui, je suis revenue, répondit-elle. Mais dis-moi : où es ton khammès, mon mari ?
- Oh ! Je lui ai acheté de beaux vêtements, il s’est lavé, changé et il s’est rendu à la mosquée pour offrir un chapelet que j’ai acheté. Mais je crois que c’est un incapable. Toi, vois-tu, tu es partie et tu es revenue, mais lui, depuis qu’il est parti, il n’est plus apparu.
La femme chuchota à ses frères :
- Il l’a dévoré, je vois ses vêtements jetés dehors.
- Oh H’niya ! Tu es revenue ? continua l’ogre.
- Oui, je suis revenue !
- Oh H’niya ! Veux-tu attraper une brebis ? Tu la sacrifieras et tu nous prépareras un bon dîner. Ensuite nous allons guetter ton incapable de mari pour voir s’il va revenir.
- Mes frères ! murmura H’niya, je crois qu’il a l’intention de me dévorer.
- Vas-y ! Va chercher la brebis et ne crains rien nous sommes là.
Elle s'activa et rapporta une brebis sous sa tente. Ses frères l’égorgèrent et la découpèrent. H'niya prépara le dîner et l’ogre se présenta en la questionnant :
- Oh H’niya !
- Quoi ?
- Est-ce que la viande est cuite ?
- Oui.
- Moi, sache-le, je ne veux manger qu’un os ou deux, mais toi tu dois te régaler. Tu peux manger toute la viande si tu le désires.
- Merci ! Je sens que je vais me régaler, dit-elle.
En réalité, l’ogre voulait l’engraisser. Il insista pour qu'elle finît tout le reste, mais elle lui dit :
- Demain, j'aurai fini de tout manger car il me faut toute la nuit pour une brebis. Va te coucher et reviens dès l'aube pour boire un café avec moi. L'ogre satisfait lui tendit une bouteille avant de partir :
- Tiens ! N’oublie pas de t’enduire tout le corps d’huile après avoir pris un bain. Je t’apporterai de magnifiques vêtements.
Dès qu’il s’en alla, elle courut trouver ses frères :
- Mes frères, je suis effrayée. Il m’a demandé de m’enduire le corps d’huile.
Calmes et sereins, les sept hommes la conseillèrent :
- Prends ton bain puis enduis-toi d'huile. Quant à lui, laisse-le, il ne perd rien pour attendre.
Tôt le matin, l’ogre se présenta devant la khaïma.
- H’nya ! As-tu pris ton bain ? As-tu massé ton corps avec de l’huile ?
- Oui !
Il se précipita alors et entra sous la tente pour la dévorer. Elle cria :
- A moi mes frères !
Le premier des sept frères surgit du silo et brandit son sabre. Au même instant, l'ogre se transforma et six autres têtes poussèrent à côté de la première. Le jeune homme ne se laissa pas découragé et trancha une tête en criant :
- Voici mon coup !
L'ogre hurla :
- Ce n’est pas mon cou, ce n’est pas ma tête.
Le deuxième frère sortit à son tour et donna un deuxième coup de sabre en criant, aussi :
- Voici mon coup.
L’ogre continua :
- Ce n’est pas mon cou, ce n’est pas ma tête.
La seconde tête sauta et le troisième frère arriva et trancha la troisième tête :
- Voici mon coup.
- Ce n’est pas mon cou, ce n’est pas ma tête.
- Voici mon coup.
- Ce n’est pas mon cou, ce n’est pas ma tête…
Cela, jusqu’à la septième et dernière tête qui fut tranchée par le septième frère. L'ogre tomba, terrassé.
H'niya soulagée, aidée de ses frères, s'empara de toutes les richesses de la ferme et repartit. Dès qu’ils arrivèrent dans leur tribu, elle fit sacrifier plusieurs moutons et prépara plusieurs plats de couscous qu’elle distribua à tout le voisinage comme "don de nourriture". Elle rétablit ainsi cette coutume qui dure jusqu’à nos jours et qui est la tadhiga.

Elle est partie, je suis venue !


Conte publié avec l’amicale autorisation de
Nora Aceval, conteuse de tradition bédouine.


Hospitalité saharienne

N
ous étions un petit convoi de 2CV revenant de Djanet. Avec Marie Jo, nous avions tant et tant parlé de notre amour du Sahara que nous n’avions pas pu refuser de partager une nouvelle aventure avec quelques proches. Comme dans nos expériences précédentes, nous avions choisi la sobriété : pas de 4x4, pas d’hôtels…mais la joie du partage et des rencontres, la contemplation du désert et des voûtes lumineuses nocturnes aux bivouacs… et la réalité des nombreux ensablements, des pneus percés, des pannes parfois plus délicates qui faisaient douter de l’utilité de nos voitures se laissant pousser aussi souvent qu’elles nous portaient. Après plus d’une dizaine de jours, l’argile rouge des sables avait parachevé notre métamorphose : nous étions devenus de vrais sahariens. C’est avec cette assurance de nomades aguerris que nous nous engagions sur l’itinéraire de retour.
En un jour et demi, nous venions de parcourir les premiers 130 kilomètres de notre retour ; les plus calmes, pensions-nous, avant les 350 kilomètres éprouvants du Fadnoun. Nous arrivions en vue de bordj El Houes qui, en 1974, se laissait encore appeler Fort Gardel. Ce n’était pas la petite ville qui l’a remplacé depuis, mais bien ce sobre rappel de l’autorité, très isolé au carrefour de pistes caravanières. Il était évident que nous allions y faire une halte. D’ailleurs, nous pouvions déjà apercevoir la présence d’une caravane au repos, et savourions la perspective d’échanges coutumiers de thé saharien, de dattes sèches, et de nos cigarettes si prisées dans ces régions.
Et c’est là qu’une panne très grave était arrivée. L’une des 2CV avait cassé l’un de ses bras avant et était plantée au bord de la piste. Il était hors de question de pouvoir la dépanner sans trouver un bras de rechange. Nous ne pouvions pas non plus nous résoudre à l’abandonner. La seule issue était de retourner à Djanet pour retrouver Lamine que nous venions de quitter et de lui demander de nous aider à marchander un bras avant gauche chez un des dépouilleurs d’épaves de l’oasis. Par une sorte de miracle, un convoi de 4 Land Rover neuves se rendait à Djanet. Le chef de convoi a accepté d’embarquer deux d’entre nous.
Rien ne se déroulant jamais comme prévu, notre trajet vers Djanet a été une aventure dans l’aventure puisque l’une des Land Rover, conduite par un chauffeur inexpérimenté, a fait plusieurs tonneaux qui ont crevé son circuit de refroidissement ; pire encore, cette voiture avait déjà pris en stop un forgeron-coutelier avec sa cargaison de faucilles et de lames diverses d’un affûtage raffiné. Le sparadrap des trousses d’urgence et l’intégralité des liquides dont nous disposions ont été consommés pour réparer péniblement véhicule et passagers et arriver piteusement à Djanet. Comme la montagne, comme la mer, le désert rappelle ainsi qu’il éprouve ceux qui se vantent trop vite de bénéficier de ses faveurs.
Lamine s’est empressé de nous trouver un "fournisseur". Sans être tout à fait du même modèle, le bras qu'il nous proposait nous paraissait pouvoir être adapté à la réparation nécessaire. Le soir arrivait et Lamine nous a proposé de dîner chez lui avant de nous raccompagner à Fort Gardel. Nous devinions qu'il savourait la possibilité de nous démontrer ses qualités de chauffeur du désert, capable de faire en deux heures de nuit le parcours de nos deux jours laborieux. Raison de plus pour prendre son temps avant le départ, le temps de préparation d'un couscous qu'il comptait partager avec deux autres membres de sa famille.
Alors que la nuit venait de tomber, nous nous sommes réunis autour du plat de couscous. Nous venions tout juste de prononcer le "bismilla arahmane arahim" lorsqu'un homme est rentré et, sans un mot, s'est assis dans notre cercle. Il a partagé notre repas puis s'est levé et est parti sans plus de façon.
Je trouvais cette attitude étrange. Dès que nous nous sommes retrouvés seuls, je demandais à Lamine
- « Qui était cet homme ? Le connais-tu ?
- Non
- Alors, il entre comme ça chez toi et s’installe à table ?
- C’est un voyageur ; les voisins ont du lui dire que j’avais des invités et qu’il trouverait chez moi de quoi manger
- D’accord, mais il aurait pu au moins te remercier
- Ce n’est pas moi qu’il doit remercier, mais Dieu, pour l’avoir conduit vers moi ; et moi aussi, je dois remercier Dieu de m’avoir fait cet honneur. »
Lorsque nous disons autour de nous que le Maghreb et plus encore le désert nous ont convaincus des progrès à faire pour pratiquer une véritable hospitalité, nous pouvons passer des heures à raconter des souvenirs aussi édifiants. Nos auditeurs s’en lassent peut-être, mais certainement pas nous.
Michel Laxenaire




Autour des débats actuels



Révolte des banlieues : pourquoi font-ils ça ? comment en sortir ?

« « Pourquoi font-ils ça ? »
Leurs réponses : « on parle de nous » ; « pourquoi « il » nous a traités de « karcher » ? »
Soient deux éléments = deux pistes.
« Il » : Sarkozy, ministre de l’intérieur, représentant – et détenteur- du pouvoir au plus haut niveau, l’Etat.
« Nous a traités de « karcher » » : « traiter » est un mot fort chez les « jeunes des cités » (« Madame, il m’a traité » : explication –sous-entendue- « c’est pour ça que je l’ai cogné »). Aussi fort que le mépris porté par « karcher », expression inédite -même dans les cités qui pourtant sont fécondes en néologismes- probablement destinée à faire fortune (« karchériser » quelqu’un, quelques-uns…) à cause de sa charge représentative de violence et de mépris.
Donc, mépris = contraire de « respect », autre valeur forte chez les « jeunes des cités » (« Madame, il m’a manqué de respect = explication –sous-entendue- pour justifier que je l’ai cogné).
Donc, mépris et violence venant du plus haut niveau de l’Etat, de celui qui est, théoriquement, garant de « l’ordre et de la sécurité ».
On arguera que le Ministre visait seulement les mauvais garçons. C’est ignorer les comportements et les solidarités de groupe –et les représentations de groupe, parties intégrantes de la « culture des cités » (mais ce n’est pas différent ailleurs).
Les « mauvais garçons » donc ? Mandrin, Cartouche, Robin des Bois étaient des mauvais garçons qui n’avaient pas une si mauvaise image que ça chez les peuples de leur temps.
D’ailleurs, les « mauvais garçons » des cités (la « racaille », dit le Ministre –et pas seulement lui) - très connoté socialement, l’expression « racaille », on est même fier d’être « caïra » face aux beaux quartiers, ça fait trembler les jeunes filles bichonnées – les « mauvais garçons » des cités, donc, sont souvent ceux qui ont « réussi » -des modèles pas forcément à ne pas suivre quand on est dans la désespérance de tout.
Désespérance de bosser un jour, désespérance de consommer, désespérance d’avoir, un jour, un logement, une femme, une famille, désespérance d’aller voir le reste du monde, qui existe - on le voit à la TV; désespérance d’avoir des rêves, désespérance d’avoir tout court, mais aussi désespérance d’être reconnu, reconnu humain, reconnu avec un père qui a une histoire et qu’on finit par mépriser tant on l’a vu humilié, désespérance que son histoire à soi soit occultée, niée –d’ailleurs, quelqu’un a dû nous la voler car on ne la connaît même pas. Désespérance donc, non seulement d’avoir –comme tout le monde « normal (« normal », voilà un autre mot fort des cités) mais aussi désespérance d’être. Exister.
On n’existe pas quand on est méprisé, de père en fils. « Karcher ! il a dit « karcher ». Pourquoi ? On est des roues de voitures, nous ? »
Par contre, on existe dans et par un groupe, le groupe de la tessi, le groupe avec son territoire. Connaissez-vous des groupes qui ne marquent pas leur territoire ? Mon territoire, c’est ma vitrine identitaire, mais surtout mon biotope, ma niche écologique. Souvenons-nous : « Die Wacht am Rhein (la garde au Rhin) », « Nous l’avons eu, votre Rhin allemand, nos chevaux ont bu dedans », répond l’autre. « Touche pas la femme blanche », dit encore un. La femme, un autre territoire. Autre histoire.
On existe quand « on parle de nous ». Vieux, très vieux comportement. Les révoltes paysannes, les révolutions ont toujours été du fait de ceux dont on ne parle pas. Ni les chroniqueurs d’antan, ni les historiens modernes n’ont jamais parlé –nulle part, ni chez les Arabes, ni chez les Incas, ni chez nous- des paysans, des pauvres, des sujets, des caïras… Aujourd’hui…
Aujourd’hui, la presse, les médias, le « système » démultiplient l’angoisse d’être, parce qu’ils donnent à croire qu’on n’existe que s’ils ont parlé de nous.
Catherine Deneuve existe, les garçons et les filles du loft et de la Star ac’ existent, Ben Laden existe, Zarkaoui… (on sait pas si Zarkaoui existe réellement mais il existe dans les médias)… La caïra rejoint dans cette course à l’être médiatique les postulants au Goncourt, au Médicis, au Renaudot etc. On veut être édité –ne serait-ce qu’une fois, même pour un roman absolument merdique- mais pour qu’on parle de soi, ne serait-ce qu’une fois. Exister. Exister. Exister.
Alors, dans les cités comme ailleurs, exister = question décisive. Centrale.
Mais exister, ce n’est pas –peut-être- ça ne se ramène pas –sûrement- à faire parler de soi. Et si le groupe est indispensable, la personne –pas l’individu (la personne est un être moral, l’individu un étant statistique) – la personne donc existe en soi et par soi, c’est à dire par les valeurs qui la supportent.
« Valeur » est un mot-clé –mieux, une quête- dans les cités. Les gens de l’extérieur devraient parfois tendre l’oreille au passage de deux ou trois jeunes à la casquette renversée, visière sur la nuque. C’est de valeurs qu’il s’agit profondément, pas toujours mais suffisamment pour être significatif, dans leurs échanges. On reconnaîtrait alors que la caïra c’est de l’humain. Si ce qui fait la noblesse, sinon l’identité même de l’humain, c’est l’interrogation sur soi.
Donc, « faire parler de soi », brûler des usines, des commerces, des écoles… Pourquoi pas des gens ? On n’est plus sous contrôle, on n’a plus le contrôle de soi ; on est « aliéné ». Le « karcher » était le mot de trop. Le mot qui rend fou ? Qu’est-ce que la « folie » ? En tout cas, « De trop » veut dire que la coupe était pleine. D’autres disent que l’étincelle allume le feu quand le champ est déjà bien sec.
Il n’est pas de terrain –surtout brûlé d’ailleurs- ni même de sol stérilisé du fait de la stupidité des hommes et/ou la cruelle nécessité où ils sont parfois de gratter la terre pour survivre, qui ne soit régénérable. C’est une question de savoir, de savoir-faire et de temps –pas forcément très long. Et de travail, bien sûr. Et aussi, il n’y a pas à avoir peur de le dire : une question d’amour.
J’ai souvenir d’Abdel Azziz, qui ramena ses frères de l’immense cité de la Source, à Orléans, du caillassage des autobus au respect d’eux-mêmes, déclarant à une assemblée réunie-là pour comprendre les « fractures » chez les « jeunes des banlieues » : « Vous ne savez pas combien il y a d’amour chez ces jeunes. ».
Les médiations –c’était la suite même de l’intitulé du forum en question –reprenons-en le terme- seraient donc, pour résumer : le travail (à la fois acte de production, acte de libération matérielle, financière, et valeur) ; la culture, qui comprend : transmission de valeurs, éducation, éducation populaire (des adultes), connaissance (co-naissance), communication (dont communication interculturelle) ; l’action citoyenne, qui parachève la construction de la personne en combinant à son identité morale la dimension -l’être- politique.
Tout cela, certes, souffre d’un déficit pluri-décennal, et pas seulement dans les banlieues, et pas seulement chez « ceux issus de l’immigration » (au rang des déficits, par exemple, l’absence manifeste d’un message clair et fort à la Nation – à la Nation entière et pas à telle ou telle corporation- pour faire passer les finalités de l’Education nationale). Mais on peut et on doit opérer des rattrapages, quelque soit le temps nécessaire pour y arriver. L’essentiel est que dès que les premiers gestes, les premiers pas, on travaille à la confiance réciproque. Simple question de civilisation.
Dans l’immédiat, « action citoyenne » signifie ne pas laisser le gouvernement seul face à des jeunes émeutiers désespérés –voire irresponsables, sinon manipulés- qui ont de surcroît, plus ou moins en tête des modèles d’importations comme celui de l’Intifada. Des interventions spontanées de la population dans certaines cités du 93 indiquent que le bon sens populaire donne déjà des pistes à suivre : descendre dans la rue pour discuter entre adultes, là-bas ; cela doit être aussi possible ailleurs, sur les lieux de vie et de travail ; les associations peuvent contribuer à une mobilisation citoyenne, soutenir les habitants mais aussi les élus de base, les maires dont beaucoup font preuve dans les circonstances actuelles –eux aussi- d’un bon sens dont semblent manquer singulièrement les parlementaires et les partis politiques. Parmi ces derniers, ceux de gauche qui ont les yeux braqués sur des échéances électorales. La gauche qui a tant manqué d’esprit de responsabilité au sujet de ces grandes questions lorsqu’elle était au pouvoir, aurait tort de s’imaginer qu’elle a quelque chose à gagner à enfoncer le gouvernement actuellement, quelle que soit la part de responsabilité de celui-ci dans la situation présente. L’image de la gauche dans les banlieues n’est pas meilleure que celle de la droite. Prévert disait : « il ne faut pas laisser les intellectuels jouer avec les allumettes » ; le paraphrasant, on peut dire : « Il ne faut pas laisser les politiciens jouer avec la politique. » L’action citoyenne, la responsabilité citoyenne, sont l’affaire des citoyens eux-mêmes ; jamais, depuis 1968, et plus encore qu’alors –de façon inédite de surcroît- nous n’avons été placés devant une telle exigence.
Bernard Zimmermann 5 novembre 2005.

P.S. 1. Je n’ai pas abordé la question de la répression. Sarkozy, Chirac se sont largement exprimés là-dessus. « Force doit rester à la loi », bien sûr. Le problème est qu’il faut éviter à tout prix que cette force ne finisse par être celle des armes car le résultat serait pire que la situation ante, et nous risquerions fort d’y perdre notre âme. Retour à la case citoyenne.

P.S. 2. Notre association, Soleil en Essonne, qui travaille sur le terrain depuis plusieurs années, pour la compréhension de ces faits de sociétés, l’éducation populaire et des médiations culturelles, va prendre ses responsabilités, un Bureau en débattra dés le 7 novembre.



COMMUNIQUE 7 novembre 2005


Confrontés à une situation inédite par son ampleur mais non pas imprévisible, nous ressentons les mêmes inquiétudes immédiates que l'ensemble de nos concitoyens, nous nous posons les mêmes questions : "Pourquoi font-ils ça ? Comment en sortir ?"

Des décennies de retard pris dans le traitement sur le fond des problèmes sociaux et culturels, et des injustices frappant plus durement –mais pas exclusivement- les banlieues expliquent largement le désespoir des jeunes et les violences des réactions en chaîne.

Ceci n'est pas une excuse aux atteintes portées aux personnes et aux biens, dont les habitants des cités sont les premiers à souffrir ; cela indique la direction dans laquelle les efforts à venir seront à intensifier.

Pour l'heure présente, les dangers de passage à des formes plus incontrôlables de violence doivent être écartés, le retour à des conditions de vie plus sereines et à la sécurité pour tout le monde, obtenu.

Citoyens, pénétrés du sens de notre responsabilité personnelle et collective, nous sommes avec tous ceux, habitants des quartiers et cités, associations, élus locaux…, qui travaillent actuellement à renforcer les solidarités de fait, les solidarités citoyennes, sur le terrain. C'est là et comme cela que nous pouvons contribuer au dépassement de la violence actuelle, au dépassement des clivages et calculs politiques étroits hors de mise en ce moment, à l'isolement de ceux qui manipulent les jeunes ou entendent exploiter la situation à des fins partisanes.

Avec nos moyens, certes modestes au regard de l'ampleur des problèmes à traiter, nous poursuivons notre travail de proximité en partenariat avec d'autres associations dans les quartiers, et cela nous donne des raisons d'espérer.

Communiqué proposé par le Bureau du 7 novembre
et adopté par le CA extraordinaire du 15 novembre 2005
Quelques propos réactifs aux "évènements"
Aux heures les plus chaudes des "évènements", qualifiés assez vite d'émeutes urbaines, des proclamations et des prises de positions émanant d'une certaine gauche de la gauche ont produit un type de discours auquel j'ai du mal à adhérer. Un exemple typique est le tract diffusé vers le 15 novembre par la Ligue Communiste Révolutionnaire. Quelques formules condensent le propos:
"La révolte est légitime dans les quartiers comme ailleurs. Et aujourd'hui elle est même nécessaire". "Le gouvernement profite de la situation pour mener sa politique de casse sociale et de répression". "1800 gardés à vue, 250 condamnations (…) c'est le bilan d'une semaine et demi de chasse aux jeunes".
Pas un mot de distance critique minimale sur le caillassage des pompiers, l'attaque de bus qui ne sont pas toujours vides, les tentatives de mise à feu d'écoles (je passe sur l'explosion des bagnoles)
Si un autre tract émanant du groupe Gauche Révolutionnaire affirme que : "La colère des habitants de ces quartiers est normale et justifiée", du moins consacre t-il un paragraphe pour rappeler que "les travailleurs et les habitants de ces quartiers ne doivent pas être la cible de ces violences".
On peut et doit cogner sur l'incendiaire Sarkozy, on peut et on doit incriminer l'abandon des habitants des cités, la ségrégation galopante, la discrimination au faciès, au prénom, aux quartiers stigmatisés, le harcèlement policier ordinaire (cf. le témoignage d'Alain Badiou concernant son fils adoptif noir)…
On peut et on doit protester contre la gestion policière de la crise (état d'urgence et couvre feu instaurés en ressortant la loi d'exception de 1955, retour fracassant de la double peine, etc…)
On ne peut pas, ce faisant, faire l'impasse sur certains comportements des "émeutiers". Comportements suicidaires mais également destructeurs pour leur entourage, leurs familles, pour les associations, les médiateurs, les enseignants des ZEP, etc.
Il suffit d'écouter Beur FM (émission "la banlieue c'est aussi la France") pour prendre la mesure du désarroi, de la souffrance et du désespoir des habitants de ces quartiers devant les exploits de certains de leurs rejetons. (Au passage : chapeau pour les ressortissants de ces quartiers passant plusieurs nuits à défendre l'école ou le centre culturel du quartier armés de leurs seuls corps et de leurs forces de conviction…). Ce soir, flash sur le dernier sondage (à paraître dans le Point) mesurant la cote en forte hausse du petit Nicolas : pronostic plusieurs fois émis par beaucoup et en particulier par des habitants "immigrés" des cités.
Élargissons le propos : depuis plusieurs années, s'élabore dans certaines franges de la gauche, un discours réduisant nos jeunes "incivils" à des victimes du système. Victimes, ils le sont assurément. Mais de la même façon que les fortes cohortes de jeunes défavorisés des Zones Urbaines Sensibles, ZUS, qui s'abstiennent malgré tout d'agresser les chauffeurs de bus … ou des lycéens manifestant contre la loi Fillon.
Tout dominés qu'ils soient, ces jeunes sont aussi des acteurs responsables un tant soit peu de leur vie et de celles de leurs proches. Se taire sur certaines de leurs "orientations" (culte de la violence virile, brutalité dans les rapports entre pairs, machisme, antisémitisme larvé, apolitisme goguenard, etc), c'est non seulement les enfoncer dans une dérive mortelle, c'est (surtout) détricoter le travail des militants de terrain et ouvrir une voie royale à de Villiers et Le Pen.
Je communique ces propos hâtifs moins pour avancer des idées qui ne sont guère originales que par besoin de communiquer mon malaise et mes angoisses.
Serge Bosc.
17 novembre 2005
Question sur l'identité des Juifs de France

Toutes les fois que l'occasion lui en est donnée, notre association s'insurge contre la tendance à l'assignation à résidence identitaire dont peuvent être victimes ceux que l'on désigne par les noms d'"arabes" ou de "musulmans". En leur déniant ainsi le droit, pourtant imprescriptible, à une identité plurielle, on veut par là-même les réduire à une appartenance religieuse –supposée- ou à une discutable appartenance ethnique.

Mais que dire de l'attitude de certains juifs de France, lesquels revendiquent aujourd'hui une volonté de se mettre en marge, un communautarisme, qui vont à l'encontre de ce qui fonde la citoyenneté républicaine?
C'est une information rapportée par Le Monde du 27 / 28 novembre dernier en page 8, qui me fait ici réagir pour dénoncer cette inquiétante dérive.

Le grand Rabbin Sitruk, s'exprimant dans les colonnes de l'hebdomadaire Actualités Juives et que rapporte le quotidien cité, a indiqué qu'une instance nationale allait venir s'ajouter aux tribunaux religieux locaux déjà en place, et que ce tribunal sera présidé par le rabbin israélien Gross…lequel ne parle pas français!!

Monsieur Sitruk y fait part à cette occasion de son souhait de voir ce tribunal traiter de litiges d'ordre civil concernant des français juifs; et il ajoute: "…nous devons apprendre à régler les problèmes entre nous."

Quelle régression, même par rapport à ce qu'était la déontologie du Concordat napoléonien! Quelle dérive, dont l'exemple est donné par une haute autorité religieuse. Monsieur Sitruk en effet n'hésite pas à mettre en avant la centralité d'Israël au point d'inféoder le judaïsme français à un État étranger; et à égratigner au passage – même si cela est heureusement irréalisable- l'un des fondements de notre République: l'indépendance des tribunaux et du pouvoir judiciaire qui rendent une justice égale pour tous les citoyens, dans un contexte laïc.

On croit rêver, mais c'est un cauchemar; on a bien là, en germe, l'équivalent des tentatives de mise en place dans des pays anglo-saxons de tribunaux basés sur la charia islamique pour arbitrer les litiges entre musulmans, comme cela a bien failli se faire dernièrement au Canada.

Elio Cohen Boulakia
le 2 décembre 2005
À propos de l'effervescence actuelle autour des travaux sur le fait colonial.

Le débat sur la pérennité de attitudes discriminatoires à l'égard des descendants des colonisés, notamment maghrébins et africains noirs, n'est plus ce qu'il était il y une vingtaine d'années à l'époque de la Marche des Beurs. Désormais, il ne s'agit plus tant d'exprimer une volonté d'intégration contrariée que de dénoncer une permanence de la mentalité et de l'esprit colonial dans la société française.
Pour les "indigènes de la République" , les difficultés d'intégration rencontrées s'expliqueraient par le maintien en France d'un État colonial et d'une société coloniale. En dépit des indépendances formelles des États ex colonisés, l'exploitation économique de ces États se poursuit, assurent-ils. La volonté d'hégémonie culturelle, aussi, par la revendication – bien française – d'être le pays "dépositaire des valeurs universelles". La domination raciale, aussi, par la réaffirmation de la supériorité de l'Occidental et l'infériorisation systématique des peuples issus de la colonisation.
Cette attitude conduit à un complexe de victimisation exacerbé par le rappel lancinant de l'étendue des crimes commis dans la période coloniale: de la traite des esclaves noirs, aux enfumades, razzias, déportations, liquidation; le concept d'extermination ayant même été avancé dans un travail universitaire récent.
En réaction à cette prétention française d'hégémonie culturelle, le mouvement des indigènes répond par une exigence de reconnaissance des droits culturels et du droit à la différence, qui va jusqu'au relativisme culturel, ce qui l'amène à accepter dans ses rangs, des mouvements communautaristes qui prêchent l'intolérance et le rejet en bloc des valeurs de l'Occident.
L'ouvrage collectif "La fracture coloniale" prend ses distances à l'égard du mouvement des indigènes. La thèse soutenue est que notre société est parcourue par une fracture, et que dans l'impensé collectif, il demeure une trace des représentations coloniales mythifiées, et la loi du 23 février 2005 en serait une manifestation patente.
Globalement cette effervescence de travaux actuels sur l'analyse du fait colonial accrédite la thèse d'une continuité (de mentalité, de comportement) entre la société actuelle et le passé colonial.
O. Lecour Grandmaison va plus loin encore puisque dans son ouvrage, déjà cité, il essaie de faire valoir que le fait et les pratiques coloniales auraient été le laboratoire de tout un courant d'idéologie activant en métropole l'extrême droite et les mouvements ultraconservateurs. Ce courant serait à l'origine de bien des évènements, depuis l'écrasement des Républicains de 1848 jusqu'à Vichy et ses lois d'exception.
Beaucoup de ces travaux universitaires récents ont en commun d'être souvent, trop souvent, des dossiers à charge de procureurs dressant un réquisitoire contre un accusé présumé.
Nous savons les méfaits sur la mémoire collective de l'occultation pratiquée sur ces pages sombres de la colonisation. Mais n'est-ce pas avec le souci de notre avenir commun, qu'il convient d'interroger le passé? Dans cet esprit ne faut-il pas rechercher dans notre société tous les signes annonciateurs d'une communauté plurielle et qui commence de se vivre comme telle, une société dont l'identité collective, plus métissée, se transforme sous nos yeux. Dans le même temps il convient d'agir pour lever tous les blocages qui retardent cette évolution plutôt que dresser des barricades.
Elio Cohen Boulakia
4 octobre 2005

Un réquisitoire qui malmène la vérité historique


Coloniser, exterminer. Sur la guerre et l'Etat colonial
Olivier Lecour Grandmaison
Fayard 2005


L'ouvrage d' Olivier Le Cour Grandmaison, (O L G) a le grand mérite, sur la base d'une riche investigation de documents parfois peu connus, de révéler la logique et la continuité du système colonial.
Enfumades, razzias, destructions de villages avec extermination des populations , des bétails, des récoltes , des arbres fruitiers, massacre systématique des prisonniers désarmés…toutes ces horreurs expérimentées pendant des décennies dans l'Algérie coloniale n'étaient pas accidentelles nous démontre l'auteur, mais le fruit d'une organisation méthodique et rationnelle. Ces" techniques" que l'armée coloniale utilisera ensuite en Afrique noire, à Madagascar, en Indochine, en Nouvelle Calédonie, seront même, nous dit l'auteur, "importées" en métropole.
Le point de départ est la négation de l'Arabe, du colonisé comme humain, comme semblable. (en application de théories raciales qui ajoutent à l'infériorité supposée des races colonisées, leur caractère…"nuisible"!) Tout cela "légitime" l'utilisation de méthodes d'exception qui abolissent les lois de la guerre (lesquelles avaient au cours des siècles progressivement "humaniser" les guerres européennes), la distinction entre combattants et civils, qui refoulent enfin tout sentiment de compassion puisque la qualité d'homme de l'autre, est systématiquement niée.
En permanence l'auteur opère des rapprochements entre ce passé colonial et la période contemporaine, de la seconde guerre mondiale à la période actuelle.
Et il développe une double hypothèse qu'il estime être vérifiée par les faits:
- Avec la même brutalité répressive, le système colonial décrit s'est pérennisé jusqu'à la fin des guerres d'indépendance et on en trouve encore la trace dans notre société dans le traitement des sans papiers, des clandestins…Ce système colonial a pu être "importé" dans certaines circonstances en Métropole, comme en 1848 où, pour écraser les insurgés, on a utilisé l'armée d'Afrique afin de "mater les bédouins de la Métropole".
- Le système colonial a élaboré une juridiction d'exception qu'il a perfectionné en marge et au mépris des traditions républicaines.
Les statuts d'internement administratif utilisé à la fin de la III ème République et sous Vichy sont un exemple des effets de la "contamination" de cette juridiction d'exception. C'est ainsi que l'internement administratif a été utilisé contre les républicains espagnols réfugiés puis contre les francs - maçons, les communistes.. Et que sous Vichy ont été développées les lois raciales contre les Juifs. N'est ce pas aller un peu loin que de vouloir poser en principe que le crime colonial serait la matrice de tous les crimes d'Etat?
On ne peut nier la trace des mentalités coloniales dans le déni de justice dont souffrent les français descendants d'immigrés eu égard en particulier, mais pas seulement, dans l'accès à l'emploi et au logement. Pour autant, il ne convient sans doute pas de vouloir tout expliquer par cette "clé" que constituerait la permanence de la mémoire du système colonial.
Des Turcs ou des Pakistanais et tant d'autres travailleurs étrangers ou personnes réfugiées subissent les mêmes injustices, les mêmes brimades sans être pour autant d'anciens colonisés.
Des auteurs, porte-parole de la bourgeoisie du XIX ème siècle en France, ont développé dans des écrits dont l'horreur ne le cède en rien aux citations faites par O L G, des théories racistes contre les ouvriers, populations considérées comme dangereuses, racialement inférieures, à contenir par la force, à réprimer jusqu'à "l'extermination " dés les premiers signes de révolte!
OLG va plus loin encore lorsqu'il déclare que le système colonial- français mais aussi européen- a été le laboratoire qui aura préparé, en quelque sorte, les explosions de barbarie génocidaire, les guerres totales qui ont endeuillé le XX ème siècle et aussi, plus près de nous encore, les guerres qui ensanglantent bien des pays de l'Afrique post-coloniale. On peut s'interroger sur la pertinence de la démonstration. En effet l'État colonial, sa longue histoire sanglante, les dérapages qu'il a occasionnés et favorisés par rapport aux institutions démocratiques n'est pas la seule clé pour tenter d'éclairer le pourquoi de toutes ces violences. A vouloir tout expliquer par le système colonial, sa réalité et sa résonance, à vouloir en faire en quelque sorte le seul fil d'Ariane, l'explication univoque de biens des évènements historiques complexes, on ne fait pas œuvre d'historien, ce que l'auteur semble pourtant vouloir faire tout en étant d'abord un spécialiste de sciences politiques.
Certes l'histoire de la colonisation aura bien souvent correspondu dans sa logique de déroulement à des réalités et des concepts idéologiques tels que "coloniser, c'est exterminer", ou encore," le système se nourrit de la négation de l'autre en tant qu'être humain."
On ne peut toutefois réduire la réalité historique de la colonisation à ce seul fil conducteur, car les sociétés, organismes vivants, ne se laissent pas enfermer dans des concepts univoques aussi signifiants qu'ils aient pu être. L'histoire de la colonisation a également comporté d'autres réalités.
O LG prétend – là encore il ne fait pas œuvre d'historien- que depuis les débuts de la IIIè République et jusqu'aux guerres d'indépendance, la gauche républicaine aurait systématiquement couvert les crimes d'Etat coloniaux. Or déjà à l'époque de Jules Ferry des voix s'élevaient contre le discours sur l'œuvre civilisatrice de la France dans les colonies. Écoutons Clémenceau à la Chambre le 30 juillet 1885 s'adressant à Jules Ferry:" ….La conquête que vous préconisez, c'est l'abus pur et simple de la force…pour s'approprier l'homme, le torturer, en extraire toute la force qui est en lui au profit du prétendu civilisateur. Ce n'est pas le droit: c'en est la négation. Parler à ce propos de civilisation, c'est joindre à la violence l'hypocrisie."
En 1936, l'additif élaboré par la Ligue des Droits de l'Homme, additif aux déclarations françaises des droits de l'homme condamne solennellement dans son article 10 la colonisation" accompagnée de violence, de mépris, d'oppression politique et économique."
Avec une grande précision OLG nous montre comment la torture et les exactions de masse perpétrés pendant la guerre d'Algérie ont engagé la responsabilité de l'Etat français et semble-t-il de la société française. OLG semble frappé d'amnésie, s'agissant de certains noms, de certaines réalités; en effet, il ne cite pas plus le général de Bollardière que "Témoignage chrétien", Henri Alleg, Maurice Audin ou tant d'autres…
Certes le passé colonial de la France est présent dans la société actuelle au travers de la pérennité de mentalités et d'attitudes liés au complexe de supériorité des descendants des ex colonisateurs à l'encontre des descendants des ex colonisés. Mais la réalité de notre passé colonial ne se limite pas à cela: en effet, notre société est profondément engagée dans un processus d'acculturation, de métissage, qui est tout a fait patent dans le cas du Maghreb et dont on peut citer quelques exemples:
La création littéraire au travers de l'oeuvre combien marquante de très nombreux auteurs maghrébins francophones enrichit à la fois le patrimoine culturel de la France, celui de l'Algérie, et, au delà de la fracture coloniale s'inscrit dans le patrimoine culturel universel.
L'empreinte du Maghreb sur le vécu de la société française actuelle, ne saurait se limiter au délire nostalgique des tenants attardés de l'"Algérie française", -quand bien même la majorité politique aux commandes les a confortés en suscitant la loi du 23 février 2005-.Elle ne saurait pas plus s'incarner dans la perpétuation d'un face à face entre les héritiers des représentants de la domination coloniale et les héritiers des colonisés, les uns arrogants, les autres victimes exploitées et humiliées.
Car l'empreinte du Maghreb, c'est aussi une acculturation de la langue française elle-même; c'est aussi un nombre remarquablement élevé d'unions entre personnes issues des deux "camps" ; c'est aussi dans la culture populaire une ouverture aux cultures du Maghreb, que l'on constate pour la musique, les habitudes culinaires…
En conclusion, l'essai d'O L G, a le mérite de rappeler les dures réalités du système colonial, alors même que, sur ce passé, la justice n'est jamais passée. Et c'est là l'effet gravement pervers des lois d'amnistie. Alors même que le gouvernement vient, par une loi invraisemblable, de rallumer la guerre des mémoires en voulant faire du mythe du "caractère positif de la colonisation", la doctrine "officielle " à laquelle devront se conformer les enseignants des écoles. Ce qui, entre parenthèses, nous ramène à la sombre période de Vichy, où l'État français dictait la manière d'enseigner l'histoire.
Cela étant l'ouvrage d'O L G, a, à mes yeux le défaut de n'être qu'un essai à charge, focalisé sur le face à face, bourreau/victimes. Face à la mémoire des nostalgiques de l'Algérie française, cette simplification dresse une autre mémoire, celle des victimes, fils et petits fils de colonisés mais toujours victimes de l'oppresseur colonial.
N'est ce pas là prendre le risque de voir ces victimes "héréditaires" s'enfermer dans un communautarisme d'auto défense?
Est-ce bien la bonne manière de nous préparer à vouloir vivre ensemble dans une société métissée qui aurait enfin assumé la richesse des apports culturels de tous ses constituants?
Enfin est-ce bien la meilleure manière de préparer les forces vives, toutes les forces de progrès, à lutter en commun contre les inégalités, contre les lois scélérates, qu'elles soient les lois d'amnistie ou la loi du 23 février 2005?

Elio Cohen Boulakia
15 novembre 2005


Notes de lecture


L’islam (Idées reçues) par Paul Balta
Edition le cavalier bleu
Une après l’autre, les principales idées reçues sont abordées dans ce livre récemment réédité. (Septembre 2005).
Une très longue pratique du journalisme* a développé chez Paul Balta la capacité d’aborder rigoureusement mais simplement les fondements historiques de ces idées ou des ces rumeurs, plus exactement de les confronter à l’histoire, aux faits et aux écrits. Tous ceux qui se sentent concernés par l’islam et veulent y voir plus clair gagneront à lire ces quelques pages.
Ils y trouveront, s’ils le souhaitent, un fil conducteur pour chercher des approfondissements. Les « pistes de lecture » proposées en fin de volume fournissent à ce sujet des suggestions fort utiles.
A lire et à recommander.
*Né à Alexandrie, il a été correspondant du « Monde » pour le Moyen Orient et le Maghreb. Paul Balta est un spécialiste du monde arabo-musulman et de la Méditerranée.
Michel Laxenaire

Loin de Medine Assia Djebar
Assia Djebar
Livre de poche 1991
Publié en 1991, après deux ans d’un travail intense sur des sources historiques, "Loin de Medine" a représenté une étape importante dans la vie de Assia Djebar.
Féministe déterminée, elle avait des raisons d'interroger l'histoire sur la place et le rôle des femmes aux origines de l'islam. Dans sa réflexion comme dans son écriture, le français a été la langue qui, selon elle, « dans l’expression des femmes notamment, sert à l’audace, la révolte, la transgression, [où le] "Je" est davantage affirmé que dans la langue des interdits ».
"Loin de Medine" est une succession de portraits de femmes qui, de l'assistance à la mort du prophète aux immédiates querelles de succession, ont joué un rôle majeur. De certaines (Khadidja, Aïsha, Fatima…), l'histoire a retenu le nom, mais d'autres sont plus souvent citées par une fonction ou une caractéristique ("la laveuse de morts", "celle aux mains tatouées"…) comme si la relation des faits les confinait naturellement dans leurs traditionnels rôles d'appoint.
L'élection de Assia Djebar à l'Académie française contribuera certainement à la faire connaître et apprécier par le public francophone. Il est souhaitable que son renom contribue à décider l'Algérie à se reconnaître pour ce qu'elle est : l'un des fleurons de la francophonie. Michel Laxenaire

Al Sîra Mahmoud Hussein
Al Sîra
Grasset 2005
Le prophète de l’islam raconté par ses compagnons.
Des trois groupes de textes fondateurs de l’islam, dont le Coran Parole de Dieu, les Hadîths Dits du prophète éclairant diverses significations du Coran, Al Sîra est le moins connu, sans doute par les difficultés de lecture dans leur forme originale de textes émanant de sources hétéroclites, alourdies de formulations d’époques, notamment dans le rappel répété des généalogies pour la désignation des personnes.
Il s’agit pourtant de textes dont l’importance est considérable, car ils disent l’histoire de la naissance de l’islam telle que l’ont rapportée les témoins. On peut y vivre, aux côtés des compagnons du Prophète les étapes de la Révélation, les raisons aussi traditionnelles que religieuses des oppositions ou même des violences à l’égard des premiers croyants. Plus qu’une histoire centrée sur la seule personne de Muhammad, c’est l’histoire d’un homme inspiré au sein d’une société hostile par auto défense. On y apprend autant sur les mœurs de cette société où le groupe familial (tribal) est fondamental. Les individus n’y sont protégés que parce que la tribu les protège ; retirer la protection de la tribu, c’est vouer un homme à la mort ou à l’exil. De même pour les règles de l’hospitalité qui sont élevées à leur paroxysme, lorsqu’elles sont synonymes de puissance et de richesses. Mais c’est également une société en déséquilibre constant où alliances et trahisons s’entremêlent…
Il est également fort intéressant de découvrir que Muhammad survient à une époque attendant un prophète, où se répète l’interrogation « est-ce lui le prophète ? » -car il y en a au moins un autre dans la région-, avec les inévitables fiertés ou querelles inter-familiales résultant de l’appartenance de ce prophète, mais plus encore avec les bienfaits matériels attendus des ses capacités à dialoguer en direct avec son Dieu.
Couvrant la période allant des prémisses de la Révélation à la fuite à Médine, ce livre est la première partie d’un travail savant de mise à la portée d’un large public de deux auteurs égyptiens écrivant sous le pseudonyme de Mahmoud Hussein. Ceux que l’islam intéresse peuvent y trouver un intérêt certain.

Michel Laxenaire


Sommaire


Avant propos 1
Les lois de l’hospitalité, ici et là. 5
Ulyse et Nausicaa 6
L'été grec ou l'hospitalité à la crétoise selon Jacques Lacarrière 7
L'évasion d'une jeune juive vers l'Espagne 10
IL M'A DIT 11
Ma table est mise et mes convives sont en retard 12
? ? ? ou l'hospitalité kabyle 13
L’hospitalité, une pratique sociale enracinée dans la culture kabyle 13
Extrait du roman Bleu Permanent de Brahim Zerouki 14
Libre propos 15
La mère Misère" d'après un conte d'Espagne 16
« Dhiaf Rabi », « l’hôte de Dieu » d'après une conte d'Algérie 18
"L’homme qui sacrifia son cheval." 19
Le don de nourriture 21
Hospitalité saharienne 26
Révolte des banlieues : pourquoi font-ils ça ? comment en sortir ? 30
COMMUNIQUE 7 novembre 2005 30
Quelques propos réactifs aux "évènements" 30
Question sur l'identité des Juifs de France 30
À propos de l'effervescence actuelle autour des travaux sur le fait colonial. 30
Un réquisitoire qui malmène la vérité historique 30
Notes de lecture 30
L’islam (Idées reçues) par Paul Balta 30
Loin de Medine Assia Djebar 30
Al Sîra Mahmoud Hussein 30
Sommaire 30


La calligraphie d'Azrak a été créée par Brahim Zerouki pour Soleil en Essonne


 

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