Texte
de azrak n° 8 En téléchargement
Avant propos
Le 26 juin 2005 et pour sa deuxième édition, la
rencontre festive initiée par les associations partenaires
du centre social et culturel des Aunettes à Evry s'était
donnée comme thème fédérateur: l'hospitalité.
Lectures de contes de France, d'Espagne, du Maghreb, d'Afrique
de l'Ouest, saynète vietnamienne, projection-souvenirs
du pays des Touaregs…ont permis durant près de deux
heures de faire partager au public d'usagers de la maison de quartier,
issu des quatre coins du monde, les mille facettes de cette merveilleuse
institution de l'hospitalité. Institution qui se décline
de pays en pays et à travers les âges sous des formes
à la fois originales et dont la finalité se retrouve
partout identique à elle-même.
Ce principe d'hospitalité dont Jacques Derrida dit que
"sans lui, il n'y a pas de culture ni de lien social",
doit, plus que jamais, être cultivé comme une plante
devenue rare dans un monde dominé au deux bouts de la chaîne
par les individualismes et par les États Nations, qui,
l'un et l'autre ont tendance à mettre l'étranger
à distance.
Et pourtant, n'est-ce pas dans l'accueil de l'autre et à
son contact, dans l'échange avec lui, que nous pouvons
vraiment nous construire, tant au plan individuel que collectif
?
Dans les traditions de l'accueil de l'hôte, dans le souci
constant de lui réserver la "meilleure part",
il y a la prise en compte de la précarité du statut
de l'étranger ; en voulant, pour un temps, lui donner notre
propre place et prendre la sienne, on se refait soit même
étranger, comme chacun d'entre nous l'a été
un jour, et afin de ne pas oublier que chacun a le droit d'être
un autre.
Comment ne pas ressentir l'importance vitale et le besoin urgent
de maintenir, parfois de retrouver le chemin perdu de l'hospitalité
au moment même où, face au drame de la crise des
banlieues, certains de nos responsables politiques n'hésitent
pas à nous proposer de réagir par la stigmatisation
de familles dites "issues de l'immigration".
C'est donc tout naturellement autour des textes, extraits de romans,
contes, poésies, adages, photos souvenirs …réunis
pour préparer la fête, que s'est construit ce numéro
d'Azrak.
Ce travail de collecte et de mise en forme de documents a été
assuré par Claire, Lucie, Brahim, Bernard, Michel, Jean
Pierre, Elio. Il nous a semblé intéressant de réunir
ce bouquet d'humanité et, en ce début d'année
2006, de l'offrir à tous nos amis et aux amis de nos amis…
"Le sage est celui qui a gravi tous les degrés de
la tolérance
et découvert que la fraternité a un regard et l'hospitalité
une main."
Edmond Jabès
Le livre de l'hospitalité
Gallimard 1991
Les lois de l’hospitalité, ici et là.
Pierre Klossowski nous en fournit une interprétation surréaliste
dans Roberte ce soir, Les Editions de Minuit.
Extrait : « Le maître de céans n’ayant
de souci plus urgent que celui de faire rayonner sa joie sur n’importe
qui, au soir, viendra à manger à sa table et se
reposer sous son toit des fatigues de la route, attend avec anxiété
sur le seuil de sa maison l’étranger qu’il
verra poindre à l’horizon comme un libérateur.
Et du plus loin qu’il le verra venir, le maître se
hâtera de lui crier : » Entre vite, car j’ai
peur de mon bonheur »… « Voici comment il inaugure
une relation avec l’étranger… comme si le maître
étant confondu avec l’étranger, sa relation
avec toi qui viens d’entrer n’était plus qu’une
relation de soi à soi-même. »
Le texte de Klossowski, chantourné à la façon
d’une bande de Moebius, dit, si on le comprend bien, que
le bonheur ne peut s’atteindre, pour l’hôte,
que dans sa mise à la place de l’autre. Dans cette
fonction –substitution- résiderait la finalité
de l’hospitalité. D’une autre façon,
Jacques Berque se proposa de ne plus utiliser le terme «
immigration » mais un néologisme de son cru : «
en-migration », « un voyage vers soi-même en
l’autre et vers l’autre en soi. ». Plus loin
dans Roberte ce soir, on voit encore Octave, le « maître
de céans », pousser l’hospitalité jusqu’à
l’offre de sa femme Roberte à l’étranger
–chose « scandaleuse ici » (c’est à
dire chez nous, en Occident), reconnaît-il.
Au sujet de l’offre des femmes à l’étranger
comme une loi de l’hospitalité, un article récent
de la Revue Sciences Humaines (août-septembre 2005, «
La sexualité est-elle libérée ? »)
démystifie « une des plus durables des utopies qui
hantent l’imaginaire occidental, celle de l’amour
libre polynésien. » L’article « Le mythe
de la vahiné » -basé sur une étude
précise des journaux de bords des navigateurs européens
des 15ème au 19ème siècles- expose comment
les Polynésiens finirent par leur proposer leurs jeunes
filles, comme une façon de les amadouer. Cela leur permit
de dépasser quelques problèmes de départ
: lorsque les Polynésiens montaient à bord des vaisseaux
et faisaient main basse sur ce qu’ils y trouvaient, en toute
innocence, les Européens répliquaient à coup
de mousquets et autres canonnades, face auxquels les jets de pierre
des premiers n’étaient que de peu d’efficacité.
Pour dépasser cet engrenage de violence, les Polynésiens
en vinrent à l’idée d’offrir des jeunes
filles aux arrivants, ce que les Européens interprétèrent,
à tort, comme une loi de l’hospitalité polynésienne.
Point de départ du mythe. Pourquoi aura-t-il fallu attendre
le début du XXI ème siècle pour accomplir
ce progrès en matière de connaissance des rapports
interculturels entre nous et les Polynésiens, au détour
d’une revue grand public ?
Bernard Zimmermann
Ulyse et Nausicaa
Après avoir affronté une violente tempête,
Ulysse, seul survivant , échoue sur la plage de l'ile des
lotophages, pour les Tunisiens c'est évidemment Jerba.
Nausica, la fille du roi Alcinoos , joue à la balle avec
ses servantes. Ulysse, effrayant à voir, se présente
à elles en suppliant;
"Seule la belle Nausicca aux bras blancs n'a pas peur de
l'étranger et le conduit au palais du roi "
Illustration d'Elodie Lemoine classe de 6è
L'été grec ou l'hospitalité à la crétoise
selon Jacques Lacarrière
A
ller de Phaestos à Vorri, le blanc village qu'on aperçoit
au flanc des Madarès, juste en face de l'acropole, c'est
parcourir trente siècles en quelques instants. Rencontre
inoubliable, car ce village fut le premier où je connus
l'hospitalité grecque. Je venais de traverser la Messara,
couverte d'orangers et j'avançais entre les premières
maisons quand j'entendis une voix d'homme m'interpeller du haut
d'une terrasse. Il avait de longues moustaches, des yeux clairs,
un turban noir autour du crâne, une mine plutôt farouche,
bref un air si impressionnant que lorsqu'il me fit signe de monter
jusqu'à lui, d'un geste autoritaire, je me demandais ce
qu'il allait me faire exactement. Ce qu'il me fit, ce fut très
simple: à peine arrivé à sa hauteur, il se
jeta sur moi, me serra contre lui en riant, me donna de grands
coups sur les épaules sans me laisser le temps de déposer
mon sac à dos, me fit asseoir sur un banc, se mit à
houspiller deux femmes qui ne comprenaient rien à ce qui
arrivait, cria quelque chose vers une terrasse voisine, et se
mit à rire en faisant de la main ce même geste que
j'avais vu faire au moine des Météores, doigts ramenés
vers le haut en s'écriant: oraio ! oraio ! Bref, il m'offrait
l'hospitalité à la crétoise! Les femmes s'empressèrent,
voilées de noir, pieds nus, l'une jeune et plantureuse,
l'autre ridée, le visage dévoré par des yeux
noirs et très brillants. Elles apportèrent des verres,
deux cruches, du fromage et avant même que j'aie le temps
de souffler, j'avalais déjà un verre de marc, de
tsipouro comme on dit ici, accompagné de mizithra, ce fromage
sec et poreux que l'on fait en Crète avec du lait de chèvre
et dont je retrouverai le goût d'un bout à l'autre
du pays. Tout était nouveau pour moi, en cet instant: cet
accueil imprévu, le branle-bas des femmes, la bousculade
des enfants criant sur la terrasse voisine pour mieux voir l'étranger,
ce goût rêche du tsipouro, cette saveur sèche
du fromage -- que l'homme entailla d'un air appliqué après
avoir essuyé son couteau sur les pierres - fromage typique
des montagnes, inattendu en ce village si proche de la mer (il
apportait avec lui une odeur de versants secs, de toisons de chèvres
chauffées par le soleil, de lait sûri, tout un monde
terrien et embrasé comme celui de la Sardaigne ou de la
Corse) et tout cela m'enseignait déjà à sa
façon que la Crète est un continent, non une île.
Les hommes non plus n'appartenaient pas à la mer. Certains
portaient la braie noire et bouffante typique de la Crète,
le foulard à franges et les bottes noires. Pendant une
heure, nous avons bu, mangé, entre hommes uniquement: les
femmes, elles, allaient et venaient pour servir ou se tenaient
derrière la table, immobiles, silencieuses, mains croisées
sur les jupes, attendant les ordres des maîtres. Cela aussi
était nouveau pour moi: cette soumission, cet effacement
des femmes. Pourtant, quand elles se retrouvaient dans la cuisine,
j'entendais des fous rires étouffés, des conversations
furtives qui me rassuraient un peu: elle s'amusaient à
leur façon dans leur domaine où les hommes ne pénètrent
pas. Une seule d'entre elles, plus âgée, ne servait
pas les hommes. Elle était accroupie un peu plus loin,
adossée au rebord de la terrasse, indifférente à
cette agitation. De ma place, je voyais ses lèvres remuer
en cadence comme si elle priait ou fredonnait quelque chose en
elle-même. A deux reprises, mes yeux croisèrent les
siens: un regard vide et transparent. C'est elle, bizarrement,
que ma mémoire a le mieux retenue, cette silhouette ratatinée
aux lèvres frémissantes, statue noire, décharnée,
absente, comme on en voit des milliers dans les villages grecs
et qui donnent l'étrange impression de n'avoir ni poids
ni passé, d'être nées ainsi, recroquevillées
sur leur destin, avec leurs rides et leur regard vide, rivées
à leur village, à leur maison, à leur coin
de terrasse, de la naissance jusqu'à leur mort, comme l'huître
à son rocher.
Nous avons bu et bavardé longtemps, jusqu'à la nuit
tombante. Des voisins, attirés par le bruit, arrivaient
sans cesse. Certains s'asseyaient parmi nous, me regardant à
la dérobée. D'autres se tenaient silencieux, adossés
ici et là, comme des anges noirs. J'étais le premier
étranger à venir dans ce Village depuis la fin de
la guerre. Cela valait bien une fête. Quand je dis que nous
avons bavardé longtemps, c'est évidemment une façon
de parIer. Les conversations se déroulaient avec force
gestes et mimiques, entrecoupés de quelques mots d'allemand,
la seule langue étrangère que mes hôtes comprenaient
un peu. J'appris aussi pour la première fois ce soir-là
le rituel de l'hospitalité: après avoir bu et mangé,
on attend du visiteur quelque chose, un récit, un conte
ou simplement qu'il réponde aux questions multiples qu'on
lui pose. Questions qui sont toujours les mêmes et qui se
répètent à travers les villages avec une
telle précision, un ton si identique qu'un voyageur non
prévenu pourrait croire que tous les paysans de Grèce
se sont donnés le mot. Mais non: ces questions, cette curiosité,
elles jaillissent naturellement, spontanément des lèvres
grecques depuis trois mille ans, en une ordonnance immuable. Et
d'abord: apo pou issai , d'où viens-tu? De France, d'Allemagne,
d'Angleterre, d'Amérique? Ensuite: quel âge as-tu?
Es-tu marié? As-tu des enfants? As-tu encore tes parents?
Quel métier fais-tu? Ce n'est qu'après avoir répondu
à cet interrogatoire (dont le sens, bien entendu, n'est
pas de savoir vraiment qui vous êtes par votre nom, votre
état-civil, votre vie familiale mais de le deviner à
travers vos silences, vos hésitations, vos regards, au-delà
des mots et des définitions) que vient l'ultime question:
se aréssi i Hellada - et la Grèce, elle te plaît?
Après quoi, on peut entamer le récit de ses voyages,
parler de Paris (qui semblait à l'époque fasciner
tous les Grecs que j'ai rencontrés, des paysans crétois
aux moines de l'Athos, comme l'image même de la Ville, de
la Cité universelle, image mêlée de crainte
et d'effroi comme devant une moderne Babylone) ou mieux encore,
discuter politique. Je me souviens que ce soir-là, pour
la première fois, j'entendis prononcer le nom de Plastiras
(qui était cette année-là chef du gouvernement)
et celui de son rival, le général Papagos. Très
vite d'ailleurs, la conversation se continua entre Crétois
et j'écoutais la discussion animée qui suivit, essayant
de saisir au vol quelques mots. J'ai du mal aujourd'hui à
retrouver les premières impressions ressenties en écoutant
le grec moderne. Les langues latines, l'italien, l'espagnol laissent
filtrer ici et là quelques mots connus, quelques sons familiers.
Rien de tel avec le grec moderne. Il a beau faire partie du même
groupe linguistique que le français, il y a un abîme
phonétique entre les deux langues. De plus, l'oreille s'étonne
de ne retrouver aucun son rappelant le grec ancien. Je sais bien
que dans ce domaine on persiste à enseigner dans les lycées
et facultés cette ridicule prononciation dite érasmienne
qui maltraite, déforme, mutile et taillade les sons doux,
flûtés, chuintants parfois de la langue ancienne.
Il suffit une fois dans sa vie d'avoir écouté un
grec d'aujourd'hui - poète ou comédien de préférence
(en l'occurrence ce fut pour moi le poète Séféris
à l'époque où je traduisais ses poèmes)
réciter dans la prononciation moderne le début de
l'Iliade pour sentir immédiatement que jamais les sons
du grec ancien n'ont pu ressembler à ce parler rocailleux
et barbare inventé par Erasme (je me souviens aussi que
dès les premiers jours de mon arrivée à Corfou,
je crus bien faire, pour séduire deux ou trois beautés
du pays qui me promenaient ici et là à travers l'île,
en leur récitant justement le début de l'Iliade
dans la prononciation apprise en faculté. Ce fut un tel
fou rire, un tel débordement d'hilarité que je me
sentis brusquement ridicule. Erasme et l'Iliade furent ce jour-là
fatals à mes amours et jamais on ne m'y reprit). Tout cela
pour dire que dans ce village, sur cette terrasse d'où
je voyais la mer étinceler au loin, la tête déjà
lourde de vin et de tsipouro, j'écoutais les hommes discuter
des mérites comparés de Plastiras et Papagos dans
une langue qui était pour moi une musique harmonieuse mais
incompréhensible. Et ce soir-là, devant cette langue
presque inconnue, j'eus le sentiment que la Grèce - et
la Crète plus encore - avaient finalement peu à
voir avec l'Occident. Ce voyage vers la mère-patrie de
nos concepts, aux racines de notre raison, à la source
claire de nos rêves et de nos mythes me révélait
un aïeul méconnaissable, parlant une langue si déconcertante
par ses sons, si orientale par ses gestes que je me sentis dérouté.
Comme si, enfant, adolescent, on m'avait annoncé un soir
que mon vrai père, ma vraie mère n'étaient
pas ceux qui m'avaient élevé.
Extrait du chapitre 5 de L'été grec de Jacques
Lacarrière
Editions Plon , collection terre humaine 1976
L'évasion d'une jeune juive vers l'Espagne
Inge (Berlin) Vogelstein avait 19 ans quand elle s'est évadée
en Espagne en passant par les Pyrénées en avril
1943. Elle habite aux Etats-Unis.
C'est en 1939 que j'ai échappé avec mon jeune frère
à la persécution nazie en Allemagne sous le couvert
d'un transport d'enfants vers la Belgique. Mais avec l'invasion
allemande de 1940 nous étions une fois de plus sous l'emprise
de Hitler. Pendant la progression de l'invasion, nous avons été
évacués par trains de marchandises sous les bombardements
vers le Sud de la France au hameau de Seyre en Haute Garonne.
Nous étions un groupe d'environ 100 enfants entre 4 et
16 ans. Nous avons vécu à Seyre pendant environ
un an dans des conditions extrêmement difficiles avant que
la Croix Rouge Suisse n'en eut connaissance et nous transféra
vers le Château de la Hille en Ariège près
de Montégut Plantaurel.
Malgré les conditions de vie précaires, nous arrivions
quand même petit à petit à un semblant d'organisation
communautaire avant que le Sud de la France soit lui aussi occupé
par les autorités allemandes. A partir de ce moment là,
ceux d'entre nous qui avaient atteint l'âge de seize ans
vivaient sous une menace permanente d'arrestation et de déportation.
Cela survint en 1942 : les plus âgés d'entre nous
furent arrêtés et déportés vers le
Camp du Vernet avec pour destination finale les camps de la mort
en Europe de l'Est. Sous nos yeux, d'autres Juifs français
et sûrement aussi d'autres minorités furent entassées
comme du bétail dans des trains vers une destinée
fatale.
Grâce aux efforts de la Croix Rouge Suisse, notre groupe
a été autorisé à retourner vers la
Hille.
Très vite, nous constations clairement que cela n'était
qu'un court instant de répit pour nous. Nous n'étions
plus arrêtés en groupe mais individuellement à
intervalles réguliers. C'est pourquoi, un certain nombre
d'entre nous décidèrent de faire une tentative d'évasion,
certains vers la Suisse, d'autres comme moi vers l'Espagne.
Nous étions cinq à partir vers les contreforts des
Pyrénées. Après quelques temps deux d'entre
nous ont décidé de retourner à la Hille.
Il nous manquait tout pour mener à bien une pareille expédition:
nous n'avions pas de chaussures et vêtements adaptés,
même pas de boussole et très peu de nourriture. Nous
devions retrouver un guide sauf erreur, c'était à
St Girons. Mais cette personne n'était pas au rendez vous.
Nous n'avions alors pas d'autre choix que de partir seuls vers
les montagnes.
Avec la tombée de la nuit et les pentes devenant de plus
en plus raides, notre moral sombrait. Nous avons décidé
de frapper à la porte d'une ferme isolée et demander
la permission de dormir dans la grange pour la nuit. Une femme
très gentille nous accorda l'asile et peu de temps après
elle nous apporta une soupe chaude en bravant la pluie: un vrai
cadeau de dieu.
La femme ne semblait pas surprise d'avoir des hôtes aussi
étranges, elle semblait plutôt y être habituée.
Elle n'a jamais demandé nos intentions. Pendant que nous
nous revitalisions avec sa bonne soupe chaude, elle nous dit que
nous n'avions aucune chance de traverser les Pyrénées
sans un guide et que son fils était prêt à
nous conduire jusqu'à un certain endroit à partir
duquel il nous serait plus facile de continuer tout seuls. Ni
elle ni son fils ne nous demanda rien en retour.
Tôt le matin, le jeune homme vint nous chercher à
la grange et nous partîmes ensemble. L'ascension était
laborieuse mais cela ne m'a pas empêchée d'admirer
la splendeur de la montagne au lever du jour, c'est une impression
inoubliable que je n'aimerais pas avoir ratée. Après
quelques heures d'extrêmes efforts, il s'arrêta et
nous indiqua la direction à prendre; puis il fit passer
son béret où nous déposâmes le maigre
contenu de nos poches. Il était temps de nous séparer
et nous le remerciâmes de tout notre coeur. Il retourna
vers la France pendant que nous prenions la direction opposée.
Nous avons eu beaucoup de chance, nous n'avons pas rencontré
de soldats sur le côté français. Les premiers
Espagnols que nous rencontrâmes étaient un couple
de bergers, ils vivaient complètement isolés quasiment
dans une grotte. Malgré la barrière de la langue,
ils nous ont offert l'hospitalité. Tout comme la femme
de la grange, ils ne manifestaient aucune surprise de nous voir.
Eux aussi semblaient être habitués à de tels
visiteurs. Ils nous ont offert leur grenier de foin pour la nuit
et nous n'avons jamais dormi aussi profondément.
Nous étions vraiment exténués. Ils ont très
gracieusement partagé leur repas du soir avec nous qui
consistait en une polenta et du lait de chèvre.
Peu de temps après un officier très poli de la patrouille
espagnole vint nous arrêter et nous conduisit dans sa voiture
officielle vers la ville la plus proche, Lerida, et nous délivra
aux autorités.
Même si nous étions prisonniers, nous étions
heureux et soulagés. Nous étions traités
civilement et nous ne fûmes pas reconduits à la frontière.
? Trad Y. Tschierschke
Le frère d'Inge, Egon Berlin, est resté en Ariège
et devenu un maquisard. Il est mort en combat près de Roquefixade
à l'age de 16 ans. Il est enterré au cimetière
de Pamiers.
IL M'A DIT
Il m'a dit :
Ma race est la race jaune.
J'ai répondu:
Je suis de ta race.
Il m'a dit:
Ma race est la race noire.
J'ai répondu:
Je suis de ta race
Il m'a dit:
Ma race est la race blanche.
J'ai répondu :
Je suis de ta race;
Car mon soleil fut l'étoile jaune
Car je suis enveloppé de nuit
Car mon âme comme la pierre de la loi
Est blanche.
Edmond Jabès
Art Contre/Against Apartheid
Ma table est mise et mes convives sont en retard
Manifester son humanité, rester ouvert à l’autre,
même s’il répond à votre hospitalité
par de la violence , c’est ce qu’exprime ce poème
d’Abdellatif Laabi
Ma table est mise et mes convives sont en retard.
Ont-ils oublié mon invitation, perdu mon adresse en cours
de route? Quel mal a-t-il pu leur arriver?
Depuis des heures, j'attends, « mon oreille suspendue à
la porte ». Je ne sais pas combien seront mes convives,
s'ils porteront des habits d'hiver ou d'été, en
quelle langue ils lanceront leur salut en entrant.
Ma table est mise. J'attendrai le temps qu'il faut et qu'il ne
faut pas. Et si j'étais victime d'une illusion, je m'entêterais.
J'inventerais des amitiés rares, des visages ouverts, faciles
à lire comme des livres d'enfants, des voix aux accents
délicieux et des bouches petites qui partageraient jusqu'au
grain de couscous.
Ma table est mise. J'y ai disposé toutes mes cultures,
avec amour. La musique m'aide à supporter l'attente. Elle
attendrit mes ragoûts, fait briller mes olives, libère
les parfums de mes épices.
Enfin, j'entends des bruits de pas. Je me lève pour aller
ouvrir. Mais la porte vole en éclats. Sont-ce là
mes convives? Des hommes sans visage font irruption, l'arme au
poing. Ils ne font pas attention à moi.
Ils tirent sur la table jusqu'à la réduire en miettes
et se retirent sans dire mot. La musique s'arrête.
Bon, il ne me reste plus qu'à faire le ménage et
préparer un nouveau repas.
Abdellatif Laabi, poète marocain
In l'Etreinte du monde. Paris: La Différence, 1993.
? ? ? ou l'hospitalité kabyle
Hospitalité se traduit généralement par istiqbal
substantif dont la forme verbale est la dixième istaqbala
: accueillir, donner l’hospitalité.
La racine du mot est trilitaire Q B L ? ? ? dont le sens est :
avant (par opposition à après), priorité,
approbation, acceptation, accueil.
Il existe un grand nombre de dérivés de cette racine.
QaBiLa nomme la tribu. Concept important de la société
maghrébine. Substantif/participe qui signifie « accueillante
». La fonction essentiellement intégrationniste de
la tribu.
QaBayli (kabyle) est le membre accueillant de la QaBiLa hospitalière.
La racine QBL est arabe et sa forme berbère prend un préfixe
t et un suffixe t soit TQBLT prononcé TaQBayLiT. La berbérisation
d’une racine arabe ou autre se fait presque toujours ainsi.
Un embrassement. L’enveloppe que constituent préfixe
et suffixe est hospitalière.
Petit aphorisme
« Quand le maître de maison bat du tambour l’invité
danse autour »
Brahim Zerouki,
Historien médiéviste algérien
L’hospitalité, une pratique sociale enracinée
dans la culture kabyle
Les Kabyles exercent l’hospitalité sans ostentation
mais généreusement et avec cordialité.
L’hôte est toujours traité avec égard,
et souvent mieux nourri que la famille où il est reçu.
Lorsqu’il arrive dans un village, le voyageur n’est
jamais éconduit, car il est l’hôte de tous.
Il lui suffira de dire au premier habitant rencontré :
"je viens comme hôte du village " . Il sera alors
conduit chez l’Amin, lequel est chargé de veiller
à ce qu’il soit traité convenablement suivant
son rang.
Extrait du roman Bleu Permanent de Brahim Zerouki
Les pages qui suivent sont extraites d'un roman de Brahim Zerouki,
Bleu permanent.
En écho au récit du narrateur , lequel est prisonnier
de l'armée française pendant la guerre d'indépendance,
cette œuvre romanesque met en scène une mémoire
amazigh du VIII ème siècle. Cette mémoire
berbère qui resurgit du haut Moyen Age véhicule
un humanisme ancien. Elle relate une histoire d'amour dans la
cité de Tagdemt, la Djazira, mère de toutes les
Djazaïrs du Maghreb, cité démocratique sans
portes, conduite par des savants et des hommes de Dieu et dont
la renommée, nous dit l'auteur, s'étendait au Machrek.
Au détour de l'intrigue, la pratique de l'hospitalité
berbère s'exprime en particulier à travers les pages
169 à 172 ici reproduites : du pain rompu et partagé
avec les hôtes de l'imam; des trois jours pendant lesquels
les étrangers seront ses hôtes,"trois jours
que vous me devez" rappelle l'imam"
Ce même jour, trois étrangers se présentent
devant la porte de l’imam. Asen est occupé à
pétrir de la terre qu’il porte ensuite sur la terrasse
que l’imam restaure régulièrement après
les moissons. L’un des nouveaux venus s’adresse à
Asen pour lui dire qu’ils veulent voir l’imam. Sachant
que ce dernier les entend, Asen ne répond pas. «
Demande-leur de patienter », fait l’imam. Il descend
et va, sous le regard étonné des hommes, se laver
pour se débarrasser des traces de terre qu’il porte.
Ce n’est qu’à ce moment que Asen remarque l’absence
de cognassier dans la cour intérieure. Il y a un figuier.
« Tout s’explique ! Le figuier c’est les Berbères.
Un signe que l’imam venu de Perse, les aime. Le cognassier
c’est la Perse. Un signe que les Amazigh aiment l’imam
». Ce dernier fait ses ablutions puis la prière.
Au terme de celle-ci, il s’assoit sur la natte, fait signe
à ses hôtes de prendre place en face de lui et regarde
Asen qui comprend. L’adolescent part chercher de quoi restaurer
les hommes. L’épouse de l’imam brise une miche
de pain en plusieurs morceaux qu’elle dispose dans un plat
en bois. Elle le remet à Asen ainsi qu’un pot de
beurre rance. Sous les yeux des hommes, Asen verse le contenu
du pot sur les bris de la miche. L’imam se sert pour donner
l’exemple. Les hôtes se restaurent en silence. Le
repas terminé, l’imam leur adresse enfin la parole
en leur souhaitant la bienvenue puis leur demande l’objet
de leur visite. Ils se regardent à nouveau. Enfin l’un
d’eux dit: « Permets-nous de nous retirer. Nous voudrions
nous concerter ». « Faites, » leur dit-il.
Ils se lèvent et repartent dans la direction d’où
ils étaient venus.
L’épouse de l’imam a juste le temps de ramasser
le plat et de remettre la natte au sol que déjà
les voyageurs sont de retour mais cette fois suivis de trois chameaux
lourdement chargés.
- Nous venons de la Bassorah d’Irak, lui dit l’un
d’eux. Nous avons là trois charges qui représentent
l’impôt légal de nos Djazaïr. Nos frères
te les destinent car nous te reconnaissons comme notre seul imam.
Notre espoir est que tout le Machrek se constitue en Djazaïr
à l’exemple du Maghreb.
- Hassen, fait l’imam, rends-toi auprès de notre
cadi et dis-lui de réunir notre conseil.
Asen fait un signe de tête et se retire avec déférence.
Les hommes l’entendent dévaler le chemin à
très vive allure.
-Avez-vous rencontré des obstacles sur votre route ? demande
l’imam.
- Jusqu’ à l’occident du Nil, nous avons organisé
notre sécurité avec les Djazaïr qui te reconnaissent
comme leur seul imam. Au-delà du Nil vers l’Ouest,
toutes les Djazaïr que nous avons traversées, nous
ont apporté assistance et réconfort.
Le cadi arrive le premier, bientôt suivi des cinq autres
membres du Conseil. « Veuillez formuler votre message à
notre Conseil », fait l’imam à l’adresse
des voyageurs. Ces derniers s’expriment puis l’imam
demande leur avis aux membres du conseil qui échangent
brièvement en aparté avant que l’un d’eux
ne glisse quelques mots à l’oreille de l’imam.
Alors, ce dernier remercie longuement les nouveaux venus puis
décline l’offre en demandant aux hôtes de redistribuer
eux-mêmes l’impôt en question dans leur djazira
d’origine. Ces derniers visiblement très impressionnés,
tentent d’insister en se retranchant derrière la
volonté des djazaïr d’Orient mais l’imam
redoublant de diplomatie demeure sur sa position. Après
quelques mots qui détendent toute l’assistance, il
ajoute, « vous resterez ici au moins les trois jours que
vous me devez ». Un long échange d’informations
s’engage. Asen qui a suivi la conversation rentre chez lui.
« J’ai trois jours » se dit-il.
Bleu permanent
Brahim Zerouki
L'Harmattan, Écritures Berbères
1999
Libre propos
Le principe d'hospitalité est le garant de la possibilité
du "vivre ensemble" et avec l'"Autre". Dans
les périodes difficiles, il a souvent fonctionné
en amenant les personnes à braver l'arsenal réglementaire
coercitif mis en place par le pouvoir politique pour interdire
l'accueil ou l'assistance à certaines catégories
d'humains. On se souvient, par exemple, du rôle joué
pendant la seconde guerre mondiale par la Cimade, au mépris
des lois de Vichy et de l'occupant nazi. Tradition que la Cimade
continue de faire vivre et c'est tout à son honneur. Ou
encore du curé de Saint Bernard accueillant les Sans-papiers.
Il y a aujourd'hui à mon sens dans la volonté
de sanctionner ceux qui passent outre à l'interdiction
d'accueillir un Sans-papiers, lequel n'est pas à priori
une menace pour l'ordre public, une remise en cause du statut
et de l'inviolabilité du "chez soi".
Elio Cohen Boulakia
La mère Misère" d'après un conte d'Espagne
I
l était une fois une vieille femme, toujours de noir vêtue,
qui vivait si pauvrement que tout le monde l’appelait «
la Mère Misère ». Elle habitait dans une maisonnette
à moitié en ruines, et n’avait pour tout bien
qu’un petit banc de bois, quelques planches pour dormir
dans un coin et une petite marmite cabossée, elle aussi
noircie par les ans. Mais cette marmite allait rarement au feu
car la Mère Misère n’avait guère à
se nourrir.
Cependant, à côté de sa masure, se trouvait
un abricotier. Cet arbre lui donnait de beaux fruits, dorés
et succulents et, en retour, elle lui accordait ses soins attentionnés,
lui apportant chaque jour un peu d’eau à son pied,
au moment où il fallait.
La Mère Misère restait digne et ne se plaignait
jamais, sauf d’une chose : des galopins des environs venaient
souvent piller son abricotier, s’installant sur ses branches
pour déguster plus à leur aise les fruits de l’arbre.
Vieille comme elle l’était, et de peu de forces,
elle ne pouvait se défaire de ces garnements qui ricanaient
quand elle les menaçait.
Un soir, un homme s’arrêta devant sa porte. Fatigué
par une longue journée de marche, il demanda à la
Mère Misère de lui accorder l’hospitalité
pour la nuit. Elle accepta de bon cœur, et lui fit partager
son très frugal dîner.
Le lendemain matin, au moment du départ, le voyageur lui
dit :
« Mère Misère, tu m’as accueilli généreusement
et je veux t’en remercier. Sache que j’ai le pouvoir
d’exhausser des voeux. Fais donc un vœu, mais un seul,
et il sera exhaussé. »
La Mère Misère lui dit : « Hé bien,
je souhaite qu’à partir de maintenant, quiconque
grimpera dans mon abricotier y restera collé et n’en
pourra plus redescendre sans mon autorisation. »
Le voyageur lui dit : « Il en sera ainsi, Mère Misère.
Adieu. » Et il s’évanouit à ses yeux.
A peu de temps de là, la bande des galopins s’en
revint et, selon leur habitude, ils grimpèrent sur l’arbre
pour profiter de ses fruits. Mais, lorsqu’ils voulurent
en redescendre, impossible. Ils se trouvaient collés aux
branches sans pouvoir s’en détacher. Ils eurent beau
crier, appeler la Mère Misère à leur secours,
rien n’y fit. Elle demeura inflexible.
Alors, les parents vinrent la supplier à leur tour de
libérer leurs enfants. La Mère Misère le
leur refusa tout net. Et les garçons restèrent ainsi
prisonniers dans l’arbre, pendant plusieurs jours. Lorsque
la Mère Misère eut estimé que la punition
avait assez marqué leurs esprits, elle prononça
les mots qui les autorisaient à quitter l’abricotier
mais non sans avoir reçu la promesse solennelle de leur
part qu’ils ne recommenceraient plus à piller son
arbre.
Un jour, la Mort s’en vint. Elle aborda la Mère
Misère et elle lui dit :
« Mère Misère, ton tour est venu de me suivre.
Prépare-toi à faire le grand voyage. »
La Mère Misère s’attendait à cette
arrivée. Elle répondit à la Mort : «
Mort, je vais m’apprêter, accorde moi juste le temps
qu’il faut ; je n’en aurai pas pour longtemps, puis
j’irai avec toi. Pendant ce temps, si tu veux, monte dans
l’abricotier et goûte quelques-uns de ses fruits.
»
La Mort fit comme la Mère Misère le lui avait proposé.
Mais lorsqu’elle essaya de descendre de l’arbre, impossible,
elle resta collée à ses branches. La Mort, demanda
à la Mère Misère de la faire sortir de là,
mais elle s’y refusa. La Mort eut beau se démener
et tempêter, et menacer, et supplier, rien n’y fit.
La Mère Misère ne la libéra point.
Alors, la Mort demeura dans l’arbre longtemps, très
longtemps. Les jours, et les mois, et les années passèrent.
La Mort était toujours captive dans l’abricotier
de la Mère Misère. De la sorte, plus aucun être
vivant ne mourrait : il ne trépassait plus ni un humain,
ni un âne, ni un moineau, ni même une mouche. Rien.
La Terre se peuplait de plus en plus d’êtres accablés
de vieillesse et de maladies, de gens désespérés
et aussi d’animaux nuisibles de toutes espèces, insectes
et autres…
Alors, la Mère Misère dit un jour à la Mort
:
« Mort, je consens à te permettre de sortir de l’arbre
mais à une condition. »
La Mort dit : « J’accepte d’avance ta condition,
Mère Misère, dis. »
La Mère Misère dit : « Ma condition est que
tu ne te saisisses jamais de moi. Que tu me laisses aller mon
existence sans t’en mêler. Promets-tu ? »
La Mort répondit : « Je te le promets, Mère
Misère. »
La Mère Misère prononça alors les mots qui
délivraient la Mort.
Et la Mort s’en retourna dans le monde.
Depuis, ce temps-là, effectivement, la Mort a tenu sa
promesse et Mère Misère continue d’être
de ce monde.
D’après un conte d’Espagne retranscrit par
Bernard Zimmerman
Gravure ancienne, allégorie du combat sans fin contre la
misère
« Dhiaf Rabi », « l’hôte de Dieu
» d'après une conte d'Algérie
Un homme vivait avec sa femme et travaillait durement. Malgré
cela, il parvenait tout juste à gagner de quoi avoir chaque
jour deux galettes de pain d’orge.
Un jour, il en eut assez de cette situation qu’il trouvait
injuste, il décida d’aller voir Dieu pour se plaindre
: « d’autres ne parviennent pas même à
dépenser ce qu’ils ont, et je dois moi, me contenter
de n’avoir que du pain ! » se disait-il.
Et il devint mendiant, c'est-à-dire l' « hôte
de Dieu » .
Il arriva un soir, affamé et très fatigué,
à l’entrée d’une grotte où vivait
un saint homme qui passait sa vie à étudier le Coran;
il lui demanda l’hospitalité.
Le saint homme lui dit : « dans sa miséricorde Dieu
m’envoie du ciel chaque jour une galette d’orge et
un pot de petit lait, nous allons les partager. »
Surprise ! Ce jour-là, le saint homme reçut une
deuxième galette, mais celle-là blanche et moelleuse,
et un deuxième pot qui lui, contenait du lait crémeux.
Le saint homme, qui n’en avait pas mangé depuis quarante
ans, garda pour lui la galette de pain blanc et le lait crémeux,
et donna au mendiant le petit lait et la galette d’orge.
Quelques jours plus tard continuant sa route, notre mendiant
surpris par la nuit alla frapper à la porte d’un
homme dont les villageois disaient pourtant de lui qu’il
avait tué 99 personnes !!
« Tu es l’hôte de Dieu, viens te restaurer et
dormir sous mon toit, » lui dit l’assassin ; et après
avoir fait égorger son mouton le plus gras, il lui fit
préparer un festin et il lui réserva les meilleurs
morceaux ; enfin se contentant pour lui d’une simple paillasse,
il offrit au mendiant son propre lit pour la nuit.
Le mendiant arriva enfin chez Dieu ;
Dieu lui dit : « je t’envoie pour ta femme et toi-même
tous les jours de quoi manger à votre faim et tu te plains
! Tu mériterais un châtiment mais je te pardonne,
car tu as permis à un assassin qui t’a dignement
offert l’hospitalité de pouvoir se racheter de ses
crimes.
Quant au saint homme, qui t’a demandé quelle place
je lui avais réservée au Paradis, tu pourras lui
dire qu’il risque bien d’aller en Enfer parce qu’il
a enfreint les lois de l’hospitalité en ne te réservant
pas la meilleure part
.
"L’homme qui sacrifia son cheval."
I
l était un pauvre homme qui n’avait pour unique richesse
qu’un cheval. Il vivait dans une misérable cabane.
D’un petit lopin de terre, à côté, il
tirait durement tout juste de quoi ne pas mourir de faim. Mais
il avait ce cheval ; c’était un animal superbe, fin,
vif
et intelligent. Le pauvre homme lui vouait une affection sans
limite. Il tenait à son compagnon plus qu’à
tout et pour rien au monde, il n’aurait accepté de
s’en séparer.
Or, voici qu’un jour vint à passer par là
le Roi. Le Roi aperçut le cheval. Et le cheval plut énormément
au Roi. Le Roi dit qu’il n’en avait jamais vu d’aussi
beau et fier et il déclara qu’il lui fallait posséder
cet animal car maintenant qu’il l’avait rencontré
il ne pourrait plus vivre un seul jour sans lui.
Le Roi s’adressa au pauvre homme et lui dit :
« Homme, je veux acheter ton cheval. Combien m’en
demandes-tu ? Dis ton prix : je l’accepte d’avance.
»
Le pauvre homme répondit au Roi que son cheval n’était
pas à vendre parce qu’il y tenait trop.
Le Roi insista beaucoup pour le faire changer d’avis mais
le pauvre homme resta ferme. Il affirma au Roi qu’il ne
se débarrasserait pas de son cheval pour tout l’or
du monde.
Le Roi comprit qu’il n’arriverait à rien comme
ça. Il repartit donc mais il décida d’utiliser
un stratagème pour obtenir satisfaction.
Il confia cette mission à trois Sages de son royaume, choisis
dans son entourage.
Les trois hauts personnages se concertèrent. Puis, à
la tête d’une importante caravane, ils se présentèrent
un jour chez le pauvre homme.
Ils lui demandèrent l’hospitalité, sachant
qu’elle ne pourrait pas leur être refusée.
Le pauvre homme vit arriver les représentants du Roi avec
beaucoup d’angoisse. Comment, songeait-il, pourrait-il honorer
ses visiteurs en remplissant son devoir d’hôte ? Ne
lui fallait-il pas les héberger et les nourrir pendant
trois jours, comme le prescrivaient les lois de l’hospitalité
: il peinait déjà à trouver de quoi manger
chaque jour à sa faim. Il était au désespoir.
Il tourna et retourna le problème dans sa tête et,
en fin de compte, il se résigna à la seule chose
qu’il pouvait faire pour remplir les assiettes de ces grands
personnages, trois jours durant.
Au troisième jour enfin, il leur posa la question –car
il se doutait bien qu’ils étaient venus pour lui
demander quelque chose :
« Qu’avez-vous donc à me demander, ô
nobles seigneurs ? »
Ils lui répondirent :
« Nous sommes venus te demander d’accepter de vendre
ton cheval au Roi, car le Roi en a beaucoup envie. »
« Mon cheval ? Mais je ne l’ai plus ! » dit
le pauvre homme.
« Que racontes-tu là, homme ? Ton cheval, nous l’avons
vu en arrivant ici. Allons, trouve autre chose ! »
Alors, le pauvre homme leur dit la vérité : il
avait sacrifié son cheval pour pouvoir les nourrir pendant
trois jours, ainsi que l’exigent les lois de l’hospitalité.
Les trois Sages s’en furent par où ils étaient
venus.
Conte arabe inédit recueilli par Nora Aceval et
publié avec son aimable autorisation
Le don de nourriture
Xareft-ek ma xareft-ek !
A
utrefois, un couple de paysans très pauvre ne survivait
que grâce à la tadhigah , le don de nourriture, que
leur faisaient les voisins. Leur unique enfant était encore
tout petit.
Un jour, la femme poussa son mari à tenter sa chance en
allant chasser dans le bois.
- Bouge ! Fais quelque chose. Ramène au moins un lièvre,
lui dit-elle.
- D'accord ! répondit-il, mais avant, il va falloir que
tu ailles clamer dans le douar qu'à partir d'aujourd'hui,
la tadhiga est abolie.
- C’est impossible d’annoncer cela. Comment dire ces
mots à mes voisins qui m’envoient toujours des assiettes
de couscous pour déjeuner et même pour dîner
?
- Si, si ! insista le mari. Va leur dire : Le don de nourriture
pour le voisinage est supprimé ! Tu comprends, si je chasse
un lièvre et que les voisins attendent de recevoir une
part, il ne nous en restera plus assez.
Contrainte, la femme finit par clamer :
- Oh les voisins ! Le don de nourriture pour le voisinage est
supprimé. Et, honteuse, elle ajouta : Mais vous, vous pouvez
continuer à me donner à manger.
Les voisins outragés, se plaignirent de ce manque de savoir-vivre.
- Une tradition ancestrale ! Voilà ce qu'elle cherche à
supprimer. Quel sacrilège que d'abolir la tadhiga !
L'homme se leva tôt le matin et se dirigea vers la forêt.
Il ne tarda pas à trouver un lièvre couché
au soleil à l'entrée de son terrier. Il s'approcha
tout doucement, tout doucement et s'arrêta. Le lièvre
qui n'avait rien entendu, dormait toujours. Au lieu de l’attraper,
l'homme lui dit :
- Ô lièvre ! Que tu sembles bien sous le soleil.
Je suis venu te chasser mais je crains de te blesser.
Il rebroussa chemin, les mains vides. Le soir, le couple attendit
de recevoir comme à l’accoutumée le "don
de nourriture" mais en vain. La femme pleura et accusa son
mari d'être à l'origine de tous ses malheurs.
Les lamentations firent quitter le pays au pauvre paysan. Il s’en
alla chercher du travail, loin de sa tribu. Il partit et marcha,
marcha…. Il entra dans un pays, sortit d’un autre
pays, entra dans un pays, sortit d’un autre pays…
Un jour, il rencontra un fellah. Cet homme était en réalité
un ogre, mais cela ne se voyait pas car il se présentait
comme un être humain. Il avait une ferme, des terres, des
troupeaux de moutons, des vaches et bien d'autres bêtes.
Dès qu'il vit le paysan, il l’interpella :
- Ya flen ! Oh Toi ! Où vas-tu par-là ?
- Je cherche du travail !
- Cela tombe bien car je suis à la recherche d'un khammès.
Si tu acceptes de t'occuper de mes terres et de mes biens tu toucheras
plus que le cinquième des bénéfices auxquels
tu as droit. Chez moi, vois-tu, tout est un véritable oued.
Tout coule à flots : le blé est oued, l’orge
est oued, le beurre est oued, le lait est oued…
L’homme se réjouit :
- Ah ! Voilà, ce que Dieu m’envoie !
Il accepta d'être le khammès et retourna chercher
sa femme et son fils. Ils posèrent leur khaïma (tente)
près de la ferme. Le soir, ils reçurent du fermier
de quoi faire un copieux repas ; ils mangèrent plus qu'il
n'en fallait et passèrent une bonne nuit. Ils étaient
contents.
Le lendemain matin, l’ogre donna la charrue à l’homme
qui alla labourer les champs. Pendant ce temps, la femme moulut
le grain et prépara le pain. Ensuite, elle langea son bébé,
lui donna le sein et le posa dans son berceau suspendu entre deux
piliers de la tente. Une fois l'enfant endormi, elle porta le
pain à son mari.
Mais voilà que pendant son absence, l’ogre rentra
sous la tente, se saisit du bébé, l'avala et le
régurgita en disant :
- Ouled el Çrab harš, marš ! Les enfants des
Arabes sont rugueux, rugueux !
Il l'avala une nouvelle fois et le recracha en répétant,
toujours :
- Ouled el Çrab harš, marš ! Les enfants des
Arabes sont rugueux, rugueux !
Lorsque la mère revint des champs, elle trouva les langes
de son bébé mouillés et déchirés.
Elle se lamenta :
- Oh mon Dieu ! Mais qu’est-il arrivé à mon
petit ?
Le soir, elle fit part de son inquiétude à son mari
qui lui reprocha de ne jamais être contente et de chercher
des prétextes pour nuire à leur bonheur. Depuis,
elle se tut mais resta vigilante et accentua sa surveillance.
Un jour, en revenant des champs, elle s’approcha discrètement
de la tente dans l’espoir de découvrir quelle était
cette chose qui bavait sur son enfant. Elle avait imaginé
mille étrangetés, mais rien de ce qu'elle allait
constater. Elle fut terrifiée de voir le fermier avaler
et régurgiter son bébé tout en répétant
: " Ouled el Çrab harš, marš ! Les enfants
des Arabes sont rugueux, rugueux !"
Le pauvre bébé braillait entre deux ingurgitations.
La femme comprit que le fermier était un ogre. Elle se
garda de crier et s'annonça d’une voix timide :
- Oh ! Sidi ! Je suis là !
Elle agissait comme les femmes pudiques qui n'osent pas se montrer
le visage découvert devant un homme autre que leur mari.
L’ogre, surpris, sortit en expliquant :
- J’ai entendu le bébé crier et je suis venu
le bercer !
Mais quand la femme se pencha sur le berceau, elle trouva son
bébé tout gluant avec les langes déchirés.
Elle attendit avec impatience le soir pour relater la terrible
découverte à son mari. Elle lui dit en tremblant
:
- Tu sais, c’est un ogre ! C'est lui qui tente d'avaler
notre bébé. Malgré son apparence bien mise
et ses manières de riche fermier, c'est un ogre.
- Que vas-tu encore inventer ? lui répondit-il sans s'agiter
ni s'étonner.
- Tu ne me crois pas parce que tu es rassasié et tu ne
manques de rien ! Tu te sens bien… Ton ventre bien rempli
t'empêche de réfléchir à ce qui se
passe autour de toi. Partons vite, je t’en supplie.
- De toute façon, je n’irai nulle par ailleurs. Je
ne crois pas que c’est un ogre et si c’en était
un et qu’il venait à me dévorer, c’est
moi que ça regarde. Et si tu veux partir, tu n'as qu'à
t'en aller, trancha-t-il net.
Dès l'aube, la pauvre femme porta son fils sur son dos
et se sauva.
Elle retourna dans la tribu auprès de ses sept frères
et leur raconta sa terrible mésaventure :
- Nous étions chez un homme qui avait une ferme, des terres,
des troupeaux de moutons, des bœufs, toutes les richesses.
Mais seulement, j'ai découvert que c'est un ogre. Je l'ai
vu avaler et régurgiter notre bébé ; hélas
mon mari a refusé de me croire. J’ai des craintes
pour lui. J’ai bien peur que l'ogre ne le dévore
dès ce soir.
Elle avait raison de s'inquiéter car l’ogre en découvrant
qu'elle avait quitté les lieux, se rendit auprès
du khammès qui labourait le champ et l'interpella :
- Ya flen ! Eh toi ! Laisse la charrue et viens.
L’homme obéit et l'ogre l'interrogea:
- H’niya, ta femme, où est-elle allée ?
- H’niya est allée chez ses frères, fit l'homme.
- Pourquoi ?
- Je me suis disputé avec elle, mais il n'y a rien de grave
et je sais qu'elle va revenir.
- Et bien, puisqu’elle est partie, va chercher une brebis,
tue-la et fais-nous un bon dîner car j'ai faim, prétendit
l'ogre.
L’homme courut vers le troupeau, choisit un mouton, l'égorgea
et en fit un méchoui. Au moment du repas, l'ogre se contenta
d'un petit morceau et insista pour que le khammès mangeât
tout le reste. Une fois repu, le khammès quitta la table
malgré l'insistance de son hôte qui se leva et boucla
tout. Il ferma les fenêtres, il ferma les portes et ne laissa
aucune ouverture. Ensuite, il se tourna vers le khammès
et lui lança d'une humeur menaçante :
- Toi, prends ton bain !
- Pourquoi dois-je prendre mon bain ? s'étonna le paysan.
- Je t’ai dit : Prends ton bain ! Si ! Si ! Prends ton bain
! Fais tes ablutions car demain je vais te donner un chapelet
à porter comme don de ma part à la mosquée
. C’est pour cela que tu dois te nettoyer et te changer.
D’ailleurs, je t’ai acheté des vêtements
tout neufs.
L’homme, toujours naïf, prit son bain. Une fois lavé,
l'ogre lui tendit une bouteille d’huile et lui ordonna à
nouveau :
- Allez ! Vas-y, masse-toi tout le corps avec cette huile.
Le khammès obéit et se massa tout le corps avec
une grosse quantité d'huile.
L'ogre pensait en le regardant faire :
- Les Arabes sont rugueux, rugueux ; avec l'huile il glissera
mieux.
- J'ai fini, dit l'homme satisfait et fier de lui.
C’est alors que l’ogre lui lança :
- Quelle partie du corps veux-tu que je dévore ?
- Quoi ? cria le pauvre khammès, que dis-tu ? Sois sage
mon ami ! On ne plaisante pas ainsi. Que veulent dire ces paroles
: "Quelle partie du corps veux-tu que je dévore ?"
- Je t’ai dit : quelle partie du corps veux-tu que je dévore
? recommença l'ogre.
L'homme comprit enfin qu'il était perdu. Il déclara
courageusement :
- Dévore le bras qui s’est levé contre ma
cousine la fille de ma tribu et dévore ensuite les yeux
qui n’ont pas voulu regarder ma cousine la fille de ma tribu.
Achève-moi par le pied gauche qui n’a pas suivi ma
cousine la fille de ma tribu.
C’est ainsi que l’ogre le dévora et jeta au
dehors les vêtements du pauvre disparu.
Quelques jours après, la femme retourna sur les lieux avec
ses sept frères, dans l'espoir de sauver son mari. Elle
les cacha dans un silo à blé creusé à
l'endroit où la tente avait été montée.
Quand l’ogre l’aperçut, il se mit à
crier de loin :
- Ya hniya ! jiti ? Oh H’niya ! Tu es revenue ?
- Oui, je suis revenue, répondit-elle. Mais dis-moi : où
es ton khammès, mon mari ?
- Oh ! Je lui ai acheté de beaux vêtements, il s’est
lavé, changé et il s’est rendu à la
mosquée pour offrir un chapelet que j’ai acheté.
Mais je crois que c’est un incapable. Toi, vois-tu, tu es
partie et tu es revenue, mais lui, depuis qu’il est parti,
il n’est plus apparu.
La femme chuchota à ses frères :
- Il l’a dévoré, je vois ses vêtements
jetés dehors.
- Oh H’niya ! Tu es revenue ? continua l’ogre.
- Oui, je suis revenue !
- Oh H’niya ! Veux-tu attraper une brebis ? Tu la sacrifieras
et tu nous prépareras un bon dîner. Ensuite nous
allons guetter ton incapable de mari pour voir s’il va revenir.
- Mes frères ! murmura H’niya, je crois qu’il
a l’intention de me dévorer.
- Vas-y ! Va chercher la brebis et ne crains rien nous sommes
là.
Elle s'activa et rapporta une brebis sous sa tente. Ses frères
l’égorgèrent et la découpèrent.
H'niya prépara le dîner et l’ogre se présenta
en la questionnant :
- Oh H’niya !
- Quoi ?
- Est-ce que la viande est cuite ?
- Oui.
- Moi, sache-le, je ne veux manger qu’un os ou deux, mais
toi tu dois te régaler. Tu peux manger toute la viande
si tu le désires.
- Merci ! Je sens que je vais me régaler, dit-elle.
En réalité, l’ogre voulait l’engraisser.
Il insista pour qu'elle finît tout le reste, mais elle lui
dit :
- Demain, j'aurai fini de tout manger car il me faut toute la
nuit pour une brebis. Va te coucher et reviens dès l'aube
pour boire un café avec moi. L'ogre satisfait lui tendit
une bouteille avant de partir :
- Tiens ! N’oublie pas de t’enduire tout le corps
d’huile après avoir pris un bain. Je t’apporterai
de magnifiques vêtements.
Dès qu’il s’en alla, elle courut trouver ses
frères :
- Mes frères, je suis effrayée. Il m’a demandé
de m’enduire le corps d’huile.
Calmes et sereins, les sept hommes la conseillèrent :
- Prends ton bain puis enduis-toi d'huile. Quant à lui,
laisse-le, il ne perd rien pour attendre.
Tôt le matin, l’ogre se présenta devant la
khaïma.
- H’nya ! As-tu pris ton bain ? As-tu massé ton corps
avec de l’huile ?
- Oui !
Il se précipita alors et entra sous la tente pour la dévorer.
Elle cria :
- A moi mes frères !
Le premier des sept frères surgit du silo et brandit son
sabre. Au même instant, l'ogre se transforma et six autres
têtes poussèrent à côté de la
première. Le jeune homme ne se laissa pas découragé
et trancha une tête en criant :
- Voici mon coup !
L'ogre hurla :
- Ce n’est pas mon cou, ce n’est pas ma tête.
Le deuxième frère sortit à son tour et donna
un deuxième coup de sabre en criant, aussi :
- Voici mon coup.
L’ogre continua :
- Ce n’est pas mon cou, ce n’est pas ma tête.
La seconde tête sauta et le troisième frère
arriva et trancha la troisième tête :
- Voici mon coup.
- Ce n’est pas mon cou, ce n’est pas ma tête.
- Voici mon coup.
- Ce n’est pas mon cou, ce n’est pas ma tête…
Cela, jusqu’à la septième et dernière
tête qui fut tranchée par le septième frère.
L'ogre tomba, terrassé.
H'niya soulagée, aidée de ses frères, s'empara
de toutes les richesses de la ferme et repartit. Dès qu’ils
arrivèrent dans leur tribu, elle fit sacrifier plusieurs
moutons et prépara plusieurs plats de couscous qu’elle
distribua à tout le voisinage comme "don de nourriture".
Elle rétablit ainsi cette coutume qui dure jusqu’à
nos jours et qui est la tadhiga.
Elle est partie, je suis venue !
Conte publié avec l’amicale autorisation de
Nora Aceval, conteuse de tradition bédouine.
Hospitalité saharienne
N
ous étions un petit convoi de 2CV revenant de Djanet. Avec
Marie Jo, nous avions tant et tant parlé de notre amour
du Sahara que nous n’avions pas pu refuser de partager une
nouvelle aventure avec quelques proches. Comme dans nos expériences
précédentes, nous avions choisi la sobriété
: pas de 4x4, pas d’hôtels…mais la joie du partage
et des rencontres, la contemplation du désert et des voûtes
lumineuses nocturnes aux bivouacs… et la réalité
des nombreux ensablements, des pneus percés, des pannes
parfois plus délicates qui faisaient douter de l’utilité
de nos voitures se laissant pousser aussi souvent qu’elles
nous portaient. Après plus d’une dizaine de jours,
l’argile rouge des sables avait parachevé notre métamorphose
: nous étions devenus de vrais sahariens. C’est avec
cette assurance de nomades aguerris que nous nous engagions sur
l’itinéraire de retour.
En un jour et demi, nous venions de parcourir les premiers 130
kilomètres de notre retour ; les plus calmes, pensions-nous,
avant les 350 kilomètres éprouvants du Fadnoun.
Nous arrivions en vue de bordj El Houes qui, en 1974, se laissait
encore appeler Fort Gardel. Ce n’était pas la petite
ville qui l’a remplacé depuis, mais bien ce sobre
rappel de l’autorité, très isolé au
carrefour de pistes caravanières. Il était évident
que nous allions y faire une halte. D’ailleurs, nous pouvions
déjà apercevoir la présence d’une caravane
au repos, et savourions la perspective d’échanges
coutumiers de thé saharien, de dattes sèches, et
de nos cigarettes si prisées dans ces régions.
Et c’est là qu’une panne très grave
était arrivée. L’une des 2CV avait cassé
l’un de ses bras avant et était plantée au
bord de la piste. Il était hors de question de pouvoir
la dépanner sans trouver un bras de rechange. Nous ne pouvions
pas non plus nous résoudre à l’abandonner.
La seule issue était de retourner à Djanet pour
retrouver Lamine que nous venions de quitter et de lui demander
de nous aider à marchander un bras avant gauche chez un
des dépouilleurs d’épaves de l’oasis.
Par une sorte de miracle, un convoi de 4 Land Rover neuves se
rendait à Djanet. Le chef de convoi a accepté d’embarquer
deux d’entre nous.
Rien ne se déroulant jamais comme prévu, notre trajet
vers Djanet a été une aventure dans l’aventure
puisque l’une des Land Rover, conduite par un chauffeur
inexpérimenté, a fait plusieurs tonneaux qui ont
crevé son circuit de refroidissement ; pire encore, cette
voiture avait déjà pris en stop un forgeron-coutelier
avec sa cargaison de faucilles et de lames diverses d’un
affûtage raffiné. Le sparadrap des trousses d’urgence
et l’intégralité des liquides dont nous disposions
ont été consommés pour réparer péniblement
véhicule et passagers et arriver piteusement à Djanet.
Comme la montagne, comme la mer, le désert rappelle ainsi
qu’il éprouve ceux qui se vantent trop vite de bénéficier
de ses faveurs.
Lamine s’est empressé de nous trouver un "fournisseur".
Sans être tout à fait du même modèle,
le bras qu'il nous proposait nous paraissait pouvoir être
adapté à la réparation nécessaire.
Le soir arrivait et Lamine nous a proposé de dîner
chez lui avant de nous raccompagner à Fort Gardel. Nous
devinions qu'il savourait la possibilité de nous démontrer
ses qualités de chauffeur du désert, capable de
faire en deux heures de nuit le parcours de nos deux jours laborieux.
Raison de plus pour prendre son temps avant le départ,
le temps de préparation d'un couscous qu'il comptait partager
avec deux autres membres de sa famille.
Alors que la nuit venait de tomber, nous nous sommes réunis
autour du plat de couscous. Nous venions tout juste de prononcer
le "bismilla arahmane arahim" lorsqu'un homme est rentré
et, sans un mot, s'est assis dans notre cercle. Il a partagé
notre repas puis s'est levé et est parti sans plus de façon.
Je trouvais cette attitude étrange. Dès que nous
nous sommes retrouvés seuls, je demandais à Lamine
- « Qui était cet homme ? Le connais-tu ?
- Non
- Alors, il entre comme ça chez toi et s’installe
à table ?
- C’est un voyageur ; les voisins ont du lui dire que j’avais
des invités et qu’il trouverait chez moi de quoi
manger
- D’accord, mais il aurait pu au moins te remercier
- Ce n’est pas moi qu’il doit remercier, mais Dieu,
pour l’avoir conduit vers moi ; et moi aussi, je dois remercier
Dieu de m’avoir fait cet honneur. »
Lorsque nous disons autour de nous que le Maghreb et plus encore
le désert nous ont convaincus des progrès à
faire pour pratiquer une véritable hospitalité,
nous pouvons passer des heures à raconter des souvenirs
aussi édifiants. Nos auditeurs s’en lassent peut-être,
mais certainement pas nous.
Michel Laxenaire
Autour des débats actuels
Révolte des banlieues : pourquoi font-ils ça ?
comment en sortir ?
« « Pourquoi font-ils ça ? »
Leurs réponses : « on parle de nous » ; «
pourquoi « il » nous a traités de « karcher
» ? »
Soient deux éléments = deux pistes.
« Il » : Sarkozy, ministre de l’intérieur,
représentant – et détenteur- du pouvoir au
plus haut niveau, l’Etat.
« Nous a traités de « karcher » »
: « traiter » est un mot fort chez les « jeunes
des cités » (« Madame, il m’a traité
» : explication –sous-entendue- « c’est
pour ça que je l’ai cogné »). Aussi
fort que le mépris porté par « karcher »,
expression inédite -même dans les cités qui
pourtant sont fécondes en néologismes- probablement
destinée à faire fortune (« karchériser
» quelqu’un, quelques-uns…) à cause de
sa charge représentative de violence et de mépris.
Donc, mépris = contraire de « respect », autre
valeur forte chez les « jeunes des cités »
(« Madame, il m’a manqué de respect = explication
–sous-entendue- pour justifier que je l’ai cogné).
Donc, mépris et violence venant du plus haut niveau de
l’Etat, de celui qui est, théoriquement, garant de
« l’ordre et de la sécurité ».
On arguera que le Ministre visait seulement les mauvais garçons.
C’est ignorer les comportements et les solidarités
de groupe –et les représentations de groupe, parties
intégrantes de la « culture des cités »
(mais ce n’est pas différent ailleurs).
Les « mauvais garçons » donc ? Mandrin, Cartouche,
Robin des Bois étaient des mauvais garçons qui n’avaient
pas une si mauvaise image que ça chez les peuples de leur
temps.
D’ailleurs, les « mauvais garçons » des
cités (la « racaille », dit le Ministre –et
pas seulement lui) - très connoté socialement, l’expression
« racaille », on est même fier d’être
« caïra » face aux beaux quartiers, ça
fait trembler les jeunes filles bichonnées – les
« mauvais garçons » des cités, donc,
sont souvent ceux qui ont « réussi » -des modèles
pas forcément à ne pas suivre quand on est dans
la désespérance de tout.
Désespérance de bosser un jour, désespérance
de consommer, désespérance d’avoir, un jour,
un logement, une femme, une famille, désespérance
d’aller voir le reste du monde, qui existe - on le voit
à la TV; désespérance d’avoir des rêves,
désespérance d’avoir tout court, mais aussi
désespérance d’être reconnu, reconnu
humain, reconnu avec un père qui a une histoire et qu’on
finit par mépriser tant on l’a vu humilié,
désespérance que son histoire à soi soit
occultée, niée –d’ailleurs, quelqu’un
a dû nous la voler car on ne la connaît même
pas. Désespérance donc, non seulement d’avoir
–comme tout le monde « normal (« normal »,
voilà un autre mot fort des cités) mais aussi désespérance
d’être. Exister.
On n’existe pas quand on est méprisé, de père
en fils. « Karcher ! il a dit « karcher ». Pourquoi
? On est des roues de voitures, nous ? »
Par contre, on existe dans et par un groupe, le groupe de la tessi,
le groupe avec son territoire. Connaissez-vous des groupes qui
ne marquent pas leur territoire ? Mon territoire, c’est
ma vitrine identitaire, mais surtout mon biotope, ma niche écologique.
Souvenons-nous : « Die Wacht am Rhein (la garde au Rhin)
», « Nous l’avons eu, votre Rhin allemand, nos
chevaux ont bu dedans », répond l’autre. «
Touche pas la femme blanche », dit encore un. La femme,
un autre territoire. Autre histoire.
On existe quand « on parle de nous ». Vieux, très
vieux comportement. Les révoltes paysannes, les révolutions
ont toujours été du fait de ceux dont on ne parle
pas. Ni les chroniqueurs d’antan, ni les historiens modernes
n’ont jamais parlé –nulle part, ni chez les
Arabes, ni chez les Incas, ni chez nous- des paysans, des pauvres,
des sujets, des caïras… Aujourd’hui…
Aujourd’hui, la presse, les médias, le « système
» démultiplient l’angoisse d’être,
parce qu’ils donnent à croire qu’on n’existe
que s’ils ont parlé de nous.
Catherine Deneuve existe, les garçons et les filles du
loft et de la Star ac’ existent, Ben Laden existe, Zarkaoui…
(on sait pas si Zarkaoui existe réellement mais il existe
dans les médias)… La caïra rejoint dans cette
course à l’être médiatique les postulants
au Goncourt, au Médicis, au Renaudot etc. On veut être
édité –ne serait-ce qu’une fois, même
pour un roman absolument merdique- mais pour qu’on parle
de soi, ne serait-ce qu’une fois. Exister. Exister. Exister.
Alors, dans les cités comme ailleurs, exister = question
décisive. Centrale.
Mais exister, ce n’est pas –peut-être- ça
ne se ramène pas –sûrement- à faire
parler de soi. Et si le groupe est indispensable, la personne
–pas l’individu (la personne est un être moral,
l’individu un étant statistique) – la personne
donc existe en soi et par soi, c’est à dire par les
valeurs qui la supportent.
« Valeur » est un mot-clé –mieux, une
quête- dans les cités. Les gens de l’extérieur
devraient parfois tendre l’oreille au passage de deux ou
trois jeunes à la casquette renversée, visière
sur la nuque. C’est de valeurs qu’il s’agit
profondément, pas toujours mais suffisamment pour être
significatif, dans leurs échanges. On reconnaîtrait
alors que la caïra c’est de l’humain. Si ce qui
fait la noblesse, sinon l’identité même de
l’humain, c’est l’interrogation sur soi.
Donc, « faire parler de soi », brûler des usines,
des commerces, des écoles… Pourquoi pas des gens
? On n’est plus sous contrôle, on n’a plus le
contrôle de soi ; on est « aliéné ».
Le « karcher » était le mot de trop. Le mot
qui rend fou ? Qu’est-ce que la « folie » ?
En tout cas, « De trop » veut dire que la coupe était
pleine. D’autres disent que l’étincelle allume
le feu quand le champ est déjà bien sec.
Il n’est pas de terrain –surtout brûlé
d’ailleurs- ni même de sol stérilisé
du fait de la stupidité des hommes et/ou la cruelle nécessité
où ils sont parfois de gratter la terre pour survivre,
qui ne soit régénérable. C’est une
question de savoir, de savoir-faire et de temps –pas forcément
très long. Et de travail, bien sûr. Et aussi, il
n’y a pas à avoir peur de le dire : une question
d’amour.
J’ai souvenir d’Abdel Azziz, qui ramena ses frères
de l’immense cité de la Source, à Orléans,
du caillassage des autobus au respect d’eux-mêmes,
déclarant à une assemblée réunie-là
pour comprendre les « fractures » chez les «
jeunes des banlieues » : « Vous ne savez pas combien
il y a d’amour chez ces jeunes. ».
Les médiations –c’était la suite même
de l’intitulé du forum en question –reprenons-en
le terme- seraient donc, pour résumer : le travail (à
la fois acte de production, acte de libération matérielle,
financière, et valeur) ; la culture, qui comprend : transmission
de valeurs, éducation, éducation populaire (des
adultes), connaissance (co-naissance), communication (dont communication
interculturelle) ; l’action citoyenne, qui parachève
la construction de la personne en combinant à son identité
morale la dimension -l’être- politique.
Tout cela, certes, souffre d’un déficit pluri-décennal,
et pas seulement dans les banlieues, et pas seulement chez «
ceux issus de l’immigration » (au rang des déficits,
par exemple, l’absence manifeste d’un message clair
et fort à la Nation – à la Nation entière
et pas à telle ou telle corporation- pour faire passer
les finalités de l’Education nationale). Mais on
peut et on doit opérer des rattrapages, quelque soit le
temps nécessaire pour y arriver. L’essentiel est
que dès que les premiers gestes, les premiers pas, on travaille
à la confiance réciproque. Simple question de civilisation.
Dans l’immédiat, « action citoyenne »
signifie ne pas laisser le gouvernement seul face à des
jeunes émeutiers désespérés –voire
irresponsables, sinon manipulés- qui ont de surcroît,
plus ou moins en tête des modèles d’importations
comme celui de l’Intifada. Des interventions spontanées
de la population dans certaines cités du 93 indiquent que
le bon sens populaire donne déjà des pistes à
suivre : descendre dans la rue pour discuter entre adultes, là-bas
; cela doit être aussi possible ailleurs, sur les lieux
de vie et de travail ; les associations peuvent contribuer à
une mobilisation citoyenne, soutenir les habitants mais aussi
les élus de base, les maires dont beaucoup font preuve
dans les circonstances actuelles –eux aussi- d’un
bon sens dont semblent manquer singulièrement les parlementaires
et les partis politiques. Parmi ces derniers, ceux de gauche qui
ont les yeux braqués sur des échéances électorales.
La gauche qui a tant manqué d’esprit de responsabilité
au sujet de ces grandes questions lorsqu’elle était
au pouvoir, aurait tort de s’imaginer qu’elle a quelque
chose à gagner à enfoncer le gouvernement actuellement,
quelle que soit la part de responsabilité de celui-ci dans
la situation présente. L’image de la gauche dans
les banlieues n’est pas meilleure que celle de la droite.
Prévert disait : « il ne faut pas laisser les intellectuels
jouer avec les allumettes » ; le paraphrasant, on peut dire
: « Il ne faut pas laisser les politiciens jouer avec la
politique. » L’action citoyenne, la responsabilité
citoyenne, sont l’affaire des citoyens eux-mêmes ;
jamais, depuis 1968, et plus encore qu’alors –de façon
inédite de surcroît- nous n’avons été
placés devant une telle exigence.
Bernard Zimmermann 5 novembre 2005.
P.S. 1. Je n’ai pas abordé la question de la répression.
Sarkozy, Chirac se sont largement exprimés là-dessus.
« Force doit rester à la loi », bien sûr.
Le problème est qu’il faut éviter à
tout prix que cette force ne finisse par être celle des
armes car le résultat serait pire que la situation ante,
et nous risquerions fort d’y perdre notre âme. Retour
à la case citoyenne.
P.S. 2. Notre association, Soleil en Essonne, qui travaille sur
le terrain depuis plusieurs années, pour la compréhension
de ces faits de sociétés, l’éducation
populaire et des médiations culturelles, va prendre ses
responsabilités, un Bureau en débattra dés
le 7 novembre.
COMMUNIQUE 7 novembre 2005
Confrontés à une situation inédite par son
ampleur mais non pas imprévisible, nous ressentons les
mêmes inquiétudes immédiates que l'ensemble
de nos concitoyens, nous nous posons les mêmes questions
: "Pourquoi font-ils ça ? Comment en sortir ?"
Des décennies de retard pris dans le traitement sur le
fond des problèmes sociaux et culturels, et des injustices
frappant plus durement –mais pas exclusivement- les banlieues
expliquent largement le désespoir des jeunes et les violences
des réactions en chaîne.
Ceci n'est pas une excuse aux atteintes portées aux personnes
et aux biens, dont les habitants des cités sont les premiers
à souffrir ; cela indique la direction dans laquelle les
efforts à venir seront à intensifier.
Pour l'heure présente, les dangers de passage à
des formes plus incontrôlables de violence doivent être
écartés, le retour à des conditions de vie
plus sereines et à la sécurité pour tout
le monde, obtenu.
Citoyens, pénétrés du sens de notre responsabilité
personnelle et collective, nous sommes avec tous ceux, habitants
des quartiers et cités, associations, élus locaux…,
qui travaillent actuellement à renforcer les solidarités
de fait, les solidarités citoyennes, sur le terrain. C'est
là et comme cela que nous pouvons contribuer au dépassement
de la violence actuelle, au dépassement des clivages et
calculs politiques étroits hors de mise en ce moment, à
l'isolement de ceux qui manipulent les jeunes ou entendent exploiter
la situation à des fins partisanes.
Avec nos moyens, certes modestes au regard de l'ampleur des problèmes
à traiter, nous poursuivons notre travail de proximité
en partenariat avec d'autres associations dans les quartiers,
et cela nous donne des raisons d'espérer.
Communiqué proposé par le Bureau du 7 novembre
et adopté par le CA extraordinaire du 15 novembre 2005
Quelques propos réactifs aux "évènements"
Aux heures les plus chaudes des "évènements",
qualifiés assez vite d'émeutes urbaines, des proclamations
et des prises de positions émanant d'une certaine gauche
de la gauche ont produit un type de discours auquel j'ai du mal
à adhérer. Un exemple typique est le tract diffusé
vers le 15 novembre par la Ligue Communiste Révolutionnaire.
Quelques formules condensent le propos:
"La révolte est légitime dans les quartiers
comme ailleurs. Et aujourd'hui elle est même nécessaire".
"Le gouvernement profite de la situation pour mener sa politique
de casse sociale et de répression". "1800 gardés
à vue, 250 condamnations (…) c'est le bilan d'une
semaine et demi de chasse aux jeunes".
Pas un mot de distance critique minimale sur le caillassage des
pompiers, l'attaque de bus qui ne sont pas toujours vides, les
tentatives de mise à feu d'écoles (je passe sur
l'explosion des bagnoles)
Si un autre tract émanant du groupe Gauche Révolutionnaire
affirme que : "La colère des habitants de ces quartiers
est normale et justifiée", du moins consacre t-il
un paragraphe pour rappeler que "les travailleurs et les
habitants de ces quartiers ne doivent pas être la cible
de ces violences".
On peut et doit cogner sur l'incendiaire Sarkozy, on peut et on
doit incriminer l'abandon des habitants des cités, la ségrégation
galopante, la discrimination au faciès, au prénom,
aux quartiers stigmatisés, le harcèlement policier
ordinaire (cf. le témoignage d'Alain Badiou concernant
son fils adoptif noir)…
On peut et on doit protester contre la gestion policière
de la crise (état d'urgence et couvre feu instaurés
en ressortant la loi d'exception de 1955, retour fracassant de
la double peine, etc…)
On ne peut pas, ce faisant, faire l'impasse sur certains comportements
des "émeutiers". Comportements suicidaires mais
également destructeurs pour leur entourage, leurs familles,
pour les associations, les médiateurs, les enseignants
des ZEP, etc.
Il suffit d'écouter Beur FM (émission "la banlieue
c'est aussi la France") pour prendre la mesure du désarroi,
de la souffrance et du désespoir des habitants de ces quartiers
devant les exploits de certains de leurs rejetons. (Au passage
: chapeau pour les ressortissants de ces quartiers passant plusieurs
nuits à défendre l'école ou le centre culturel
du quartier armés de leurs seuls corps et de leurs forces
de conviction…). Ce soir, flash sur le dernier sondage (à
paraître dans le Point) mesurant la cote en forte hausse
du petit Nicolas : pronostic plusieurs fois émis par beaucoup
et en particulier par des habitants "immigrés"
des cités.
Élargissons le propos : depuis plusieurs années,
s'élabore dans certaines franges de la gauche, un discours
réduisant nos jeunes "incivils" à des
victimes du système. Victimes, ils le sont assurément.
Mais de la même façon que les fortes cohortes de
jeunes défavorisés des Zones Urbaines Sensibles,
ZUS, qui s'abstiennent malgré tout d'agresser les chauffeurs
de bus … ou des lycéens manifestant contre la loi
Fillon.
Tout dominés qu'ils soient, ces jeunes sont aussi des acteurs
responsables un tant soit peu de leur vie et de celles de leurs
proches. Se taire sur certaines de leurs "orientations"
(culte de la violence virile, brutalité dans les rapports
entre pairs, machisme, antisémitisme larvé, apolitisme
goguenard, etc), c'est non seulement les enfoncer dans une dérive
mortelle, c'est (surtout) détricoter le travail des militants
de terrain et ouvrir une voie royale à de Villiers et Le
Pen.
Je communique ces propos hâtifs moins pour avancer des idées
qui ne sont guère originales que par besoin de communiquer
mon malaise et mes angoisses.
Serge Bosc.
17 novembre 2005
Question sur l'identité des Juifs de France
Toutes les fois que l'occasion lui en est donnée, notre
association s'insurge contre la tendance à l'assignation
à résidence identitaire dont peuvent être
victimes ceux que l'on désigne par les noms d'"arabes"
ou de "musulmans". En leur déniant ainsi le droit,
pourtant imprescriptible, à une identité plurielle,
on veut par là-même les réduire à une
appartenance religieuse –supposée- ou à une
discutable appartenance ethnique.
Mais que dire de l'attitude de certains juifs de France, lesquels
revendiquent aujourd'hui une volonté de se mettre en marge,
un communautarisme, qui vont à l'encontre de ce qui fonde
la citoyenneté républicaine?
C'est une information rapportée par Le Monde du 27 / 28
novembre dernier en page 8, qui me fait ici réagir pour
dénoncer cette inquiétante dérive.
Le grand Rabbin Sitruk, s'exprimant dans les colonnes de l'hebdomadaire
Actualités Juives et que rapporte le quotidien cité,
a indiqué qu'une instance nationale allait venir s'ajouter
aux tribunaux religieux locaux déjà en place, et
que ce tribunal sera présidé par le rabbin israélien
Gross…lequel ne parle pas français!!
Monsieur Sitruk y fait part à cette occasion de son souhait
de voir ce tribunal traiter de litiges d'ordre civil concernant
des français juifs; et il ajoute: "…nous devons
apprendre à régler les problèmes entre nous."
Quelle régression, même par rapport à ce
qu'était la déontologie du Concordat napoléonien!
Quelle dérive, dont l'exemple est donné par une
haute autorité religieuse. Monsieur Sitruk en effet n'hésite
pas à mettre en avant la centralité d'Israël
au point d'inféoder le judaïsme français à
un État étranger; et à égratigner
au passage – même si cela est heureusement irréalisable-
l'un des fondements de notre République: l'indépendance
des tribunaux et du pouvoir judiciaire qui rendent une justice
égale pour tous les citoyens, dans un contexte laïc.
On croit rêver, mais c'est un cauchemar; on a bien là,
en germe, l'équivalent des tentatives de mise en place
dans des pays anglo-saxons de tribunaux basés sur la charia
islamique pour arbitrer les litiges entre musulmans, comme cela
a bien failli se faire dernièrement au Canada.
Elio Cohen Boulakia
le 2 décembre 2005
À propos de l'effervescence actuelle autour des travaux
sur le fait colonial.
Le débat sur la pérennité de attitudes discriminatoires
à l'égard des descendants des colonisés,
notamment maghrébins et africains noirs, n'est plus ce
qu'il était il y une vingtaine d'années à
l'époque de la Marche des Beurs. Désormais, il ne
s'agit plus tant d'exprimer une volonté d'intégration
contrariée que de dénoncer une permanence de la
mentalité et de l'esprit colonial dans la société
française.
Pour les "indigènes de la République"
, les difficultés d'intégration rencontrées
s'expliqueraient par le maintien en France d'un État colonial
et d'une société coloniale. En dépit des
indépendances formelles des États ex colonisés,
l'exploitation économique de ces États se poursuit,
assurent-ils. La volonté d'hégémonie culturelle,
aussi, par la revendication – bien française –
d'être le pays "dépositaire des valeurs universelles".
La domination raciale, aussi, par la réaffirmation de la
supériorité de l'Occidental et l'infériorisation
systématique des peuples issus de la colonisation.
Cette attitude conduit à un complexe de victimisation exacerbé
par le rappel lancinant de l'étendue des crimes commis
dans la période coloniale: de la traite des esclaves noirs,
aux enfumades, razzias, déportations, liquidation; le concept
d'extermination ayant même été avancé
dans un travail universitaire récent.
En réaction à cette prétention française
d'hégémonie culturelle, le mouvement des indigènes
répond par une exigence de reconnaissance des droits culturels
et du droit à la différence, qui va jusqu'au relativisme
culturel, ce qui l'amène à accepter dans ses rangs,
des mouvements communautaristes qui prêchent l'intolérance
et le rejet en bloc des valeurs de l'Occident.
L'ouvrage collectif "La fracture coloniale" prend ses
distances à l'égard du mouvement des indigènes.
La thèse soutenue est que notre société est
parcourue par une fracture, et que dans l'impensé collectif,
il demeure une trace des représentations coloniales mythifiées,
et la loi du 23 février 2005 en serait une manifestation
patente.
Globalement cette effervescence de travaux actuels sur l'analyse
du fait colonial accrédite la thèse d'une continuité
(de mentalité, de comportement) entre la société
actuelle et le passé colonial.
O. Lecour Grandmaison va plus loin encore puisque dans son ouvrage,
déjà cité, il essaie de faire valoir que
le fait et les pratiques coloniales auraient été
le laboratoire de tout un courant d'idéologie activant
en métropole l'extrême droite et les mouvements ultraconservateurs.
Ce courant serait à l'origine de bien des évènements,
depuis l'écrasement des Républicains de 1848 jusqu'à
Vichy et ses lois d'exception.
Beaucoup de ces travaux universitaires récents ont en commun
d'être souvent, trop souvent, des dossiers à charge
de procureurs dressant un réquisitoire contre un accusé
présumé.
Nous savons les méfaits sur la mémoire collective
de l'occultation pratiquée sur ces pages sombres de la
colonisation. Mais n'est-ce pas avec le souci de notre avenir
commun, qu'il convient d'interroger le passé? Dans cet
esprit ne faut-il pas rechercher dans notre société
tous les signes annonciateurs d'une communauté plurielle
et qui commence de se vivre comme telle, une société
dont l'identité collective, plus métissée,
se transforme sous nos yeux. Dans le même temps il convient
d'agir pour lever tous les blocages qui retardent cette évolution
plutôt que dresser des barricades.
Elio Cohen Boulakia
4 octobre 2005
Un réquisitoire qui malmène la vérité
historique
Coloniser, exterminer. Sur la guerre et l'Etat colonial
Olivier Lecour Grandmaison
Fayard 2005
L'ouvrage d' Olivier Le Cour Grandmaison, (O L G) a le grand mérite,
sur la base d'une riche investigation de documents parfois peu
connus, de révéler la logique et la continuité
du système colonial.
Enfumades, razzias, destructions de villages avec extermination
des populations , des bétails, des récoltes , des
arbres fruitiers, massacre systématique des prisonniers
désarmés…toutes ces horreurs expérimentées
pendant des décennies dans l'Algérie coloniale n'étaient
pas accidentelles nous démontre l'auteur, mais le fruit
d'une organisation méthodique et rationnelle. Ces"
techniques" que l'armée coloniale utilisera ensuite
en Afrique noire, à Madagascar, en Indochine, en Nouvelle
Calédonie, seront même, nous dit l'auteur, "importées"
en métropole.
Le point de départ est la négation de l'Arabe, du
colonisé comme humain, comme semblable. (en application
de théories raciales qui ajoutent à l'infériorité
supposée des races colonisées, leur caractère…"nuisible"!)
Tout cela "légitime" l'utilisation de méthodes
d'exception qui abolissent les lois de la guerre (lesquelles avaient
au cours des siècles progressivement "humaniser"
les guerres européennes), la distinction entre combattants
et civils, qui refoulent enfin tout sentiment de compassion puisque
la qualité d'homme de l'autre, est systématiquement
niée.
En permanence l'auteur opère des rapprochements entre ce
passé colonial et la période contemporaine, de la
seconde guerre mondiale à la période actuelle.
Et il développe une double hypothèse qu'il estime
être vérifiée par les faits:
- Avec la même brutalité répressive, le système
colonial décrit s'est pérennisé jusqu'à
la fin des guerres d'indépendance et on en trouve encore
la trace dans notre société dans le traitement des
sans papiers, des clandestins…Ce système colonial
a pu être "importé" dans certaines circonstances
en Métropole, comme en 1848 où, pour écraser
les insurgés, on a utilisé l'armée d'Afrique
afin de "mater les bédouins de la Métropole".
- Le système colonial a élaboré une juridiction
d'exception qu'il a perfectionné en marge et au mépris
des traditions républicaines.
Les statuts d'internement administratif utilisé à
la fin de la III ème République et sous Vichy sont
un exemple des effets de la "contamination" de cette
juridiction d'exception. C'est ainsi que l'internement administratif
a été utilisé contre les républicains
espagnols réfugiés puis contre les francs - maçons,
les communistes.. Et que sous Vichy ont été développées
les lois raciales contre les Juifs. N'est ce pas aller un peu
loin que de vouloir poser en principe que le crime colonial serait
la matrice de tous les crimes d'Etat?
On ne peut nier la trace des mentalités coloniales dans
le déni de justice dont souffrent les français descendants
d'immigrés eu égard en particulier, mais pas seulement,
dans l'accès à l'emploi et au logement. Pour autant,
il ne convient sans doute pas de vouloir tout expliquer par cette
"clé" que constituerait la permanence de la mémoire
du système colonial.
Des Turcs ou des Pakistanais et tant d'autres travailleurs étrangers
ou personnes réfugiées subissent les mêmes
injustices, les mêmes brimades sans être pour autant
d'anciens colonisés.
Des auteurs, porte-parole de la bourgeoisie du XIX ème
siècle en France, ont développé dans des
écrits dont l'horreur ne le cède en rien aux citations
faites par O L G, des théories racistes contre les ouvriers,
populations considérées comme dangereuses, racialement
inférieures, à contenir par la force, à réprimer
jusqu'à "l'extermination " dés les premiers
signes de révolte!
OLG va plus loin encore lorsqu'il déclare que le système
colonial- français mais aussi européen- a été
le laboratoire qui aura préparé, en quelque sorte,
les explosions de barbarie génocidaire, les guerres totales
qui ont endeuillé le XX ème siècle et aussi,
plus près de nous encore, les guerres qui ensanglantent
bien des pays de l'Afrique post-coloniale. On peut s'interroger
sur la pertinence de la démonstration. En effet l'État
colonial, sa longue histoire sanglante, les dérapages qu'il
a occasionnés et favorisés par rapport aux institutions
démocratiques n'est pas la seule clé pour tenter
d'éclairer le pourquoi de toutes ces violences. A vouloir
tout expliquer par le système colonial, sa réalité
et sa résonance, à vouloir en faire en quelque sorte
le seul fil d'Ariane, l'explication univoque de biens des évènements
historiques complexes, on ne fait pas œuvre d'historien,
ce que l'auteur semble pourtant vouloir faire tout en étant
d'abord un spécialiste de sciences politiques.
Certes l'histoire de la colonisation aura bien souvent correspondu
dans sa logique de déroulement à des réalités
et des concepts idéologiques tels que "coloniser,
c'est exterminer", ou encore," le système se
nourrit de la négation de l'autre en tant qu'être
humain."
On ne peut toutefois réduire la réalité historique
de la colonisation à ce seul fil conducteur, car les sociétés,
organismes vivants, ne se laissent pas enfermer dans des concepts
univoques aussi signifiants qu'ils aient pu être. L'histoire
de la colonisation a également comporté d'autres
réalités.
O LG prétend – là encore il ne fait pas œuvre
d'historien- que depuis les débuts de la IIIè République
et jusqu'aux guerres d'indépendance, la gauche républicaine
aurait systématiquement couvert les crimes d'Etat coloniaux.
Or déjà à l'époque de Jules Ferry
des voix s'élevaient contre le discours sur l'œuvre
civilisatrice de la France dans les colonies. Écoutons
Clémenceau à la Chambre le 30 juillet 1885 s'adressant
à Jules Ferry:" ….La conquête que vous
préconisez, c'est l'abus pur et simple de la force…pour
s'approprier l'homme, le torturer, en extraire toute la force
qui est en lui au profit du prétendu civilisateur. Ce n'est
pas le droit: c'en est la négation. Parler à ce
propos de civilisation, c'est joindre à la violence l'hypocrisie."
En 1936, l'additif élaboré par la Ligue des Droits
de l'Homme, additif aux déclarations françaises
des droits de l'homme condamne solennellement dans son article
10 la colonisation" accompagnée de violence, de mépris,
d'oppression politique et économique."
Avec une grande précision OLG nous montre comment la torture
et les exactions de masse perpétrés pendant la guerre
d'Algérie ont engagé la responsabilité de
l'Etat français et semble-t-il de la société
française. OLG semble frappé d'amnésie, s'agissant
de certains noms, de certaines réalités; en effet,
il ne cite pas plus le général de Bollardière
que "Témoignage chrétien", Henri Alleg,
Maurice Audin ou tant d'autres…
Certes le passé colonial de la France est présent
dans la société actuelle au travers de la pérennité
de mentalités et d'attitudes liés au complexe de
supériorité des descendants des ex colonisateurs
à l'encontre des descendants des ex colonisés. Mais
la réalité de notre passé colonial ne se
limite pas à cela: en effet, notre société
est profondément engagée dans un processus d'acculturation,
de métissage, qui est tout a fait patent dans le cas du
Maghreb et dont on peut citer quelques exemples:
La création littéraire au travers de l'oeuvre combien
marquante de très nombreux auteurs maghrébins francophones
enrichit à la fois le patrimoine culturel de la France,
celui de l'Algérie, et, au delà de la fracture coloniale
s'inscrit dans le patrimoine culturel universel.
L'empreinte du Maghreb sur le vécu de la société
française actuelle, ne saurait se limiter au délire
nostalgique des tenants attardés de l'"Algérie
française", -quand bien même la majorité
politique aux commandes les a confortés en suscitant la
loi du 23 février 2005-.Elle ne saurait pas plus s'incarner
dans la perpétuation d'un face à face entre les
héritiers des représentants de la domination coloniale
et les héritiers des colonisés, les uns arrogants,
les autres victimes exploitées et humiliées.
Car l'empreinte du Maghreb, c'est aussi une acculturation de la
langue française elle-même; c'est aussi un nombre
remarquablement élevé d'unions entre personnes issues
des deux "camps" ; c'est aussi dans la culture populaire
une ouverture aux cultures du Maghreb, que l'on constate pour
la musique, les habitudes culinaires…
En conclusion, l'essai d'O L G, a le mérite de rappeler
les dures réalités du système colonial, alors
même que, sur ce passé, la justice n'est jamais passée.
Et c'est là l'effet gravement pervers des lois d'amnistie.
Alors même que le gouvernement vient, par une loi invraisemblable,
de rallumer la guerre des mémoires en voulant faire du
mythe du "caractère positif de la colonisation",
la doctrine "officielle " à laquelle devront
se conformer les enseignants des écoles. Ce qui, entre
parenthèses, nous ramène à la sombre période
de Vichy, où l'État français dictait la manière
d'enseigner l'histoire.
Cela étant l'ouvrage d'O L G, a, à mes yeux le défaut
de n'être qu'un essai à charge, focalisé sur
le face à face, bourreau/victimes. Face à la mémoire
des nostalgiques de l'Algérie française, cette simplification
dresse une autre mémoire, celle des victimes, fils et petits
fils de colonisés mais toujours victimes de l'oppresseur
colonial.
N'est ce pas là prendre le risque de voir ces victimes
"héréditaires" s'enfermer dans un communautarisme
d'auto défense?
Est-ce bien la bonne manière de nous préparer à
vouloir vivre ensemble dans une société métissée
qui aurait enfin assumé la richesse des apports culturels
de tous ses constituants?
Enfin est-ce bien la meilleure manière de préparer
les forces vives, toutes les forces de progrès, à
lutter en commun contre les inégalités, contre les
lois scélérates, qu'elles soient les lois d'amnistie
ou la loi du 23 février 2005?
Elio Cohen Boulakia
15 novembre 2005
Notes de lecture
L’islam (Idées reçues) par Paul Balta
Edition le cavalier bleu
Une après l’autre, les principales idées reçues
sont abordées dans ce livre récemment réédité.
(Septembre 2005).
Une très longue pratique du journalisme* a développé
chez Paul Balta la capacité d’aborder rigoureusement
mais simplement les fondements historiques de ces idées
ou des ces rumeurs, plus exactement de les confronter à
l’histoire, aux faits et aux écrits. Tous ceux qui
se sentent concernés par l’islam et veulent y voir
plus clair gagneront à lire ces quelques pages.
Ils y trouveront, s’ils le souhaitent, un fil conducteur
pour chercher des approfondissements. Les « pistes de lecture
» proposées en fin de volume fournissent à
ce sujet des suggestions fort utiles.
A lire et à recommander.
*Né à Alexandrie, il a été correspondant
du « Monde » pour le Moyen Orient et le Maghreb. Paul
Balta est un spécialiste du monde arabo-musulman et de
la Méditerranée.
Michel Laxenaire
Loin de Medine Assia Djebar
Assia Djebar
Livre de poche 1991
Publié en 1991, après deux ans d’un travail
intense sur des sources historiques, "Loin de Medine"
a représenté une étape importante dans la
vie de Assia Djebar.
Féministe déterminée, elle avait des raisons
d'interroger l'histoire sur la place et le rôle des femmes
aux origines de l'islam. Dans sa réflexion comme dans son
écriture, le français a été la langue
qui, selon elle, « dans l’expression des femmes notamment,
sert à l’audace, la révolte, la transgression,
[où le] "Je" est davantage affirmé que
dans la langue des interdits ».
"Loin de Medine" est une succession de portraits de
femmes qui, de l'assistance à la mort du prophète
aux immédiates querelles de succession, ont joué
un rôle majeur. De certaines (Khadidja, Aïsha, Fatima…),
l'histoire a retenu le nom, mais d'autres sont plus souvent citées
par une fonction ou une caractéristique ("la laveuse
de morts", "celle aux mains tatouées"…)
comme si la relation des faits les confinait naturellement dans
leurs traditionnels rôles d'appoint.
L'élection de Assia Djebar à l'Académie française
contribuera certainement à la faire connaître et
apprécier par le public francophone. Il est souhaitable
que son renom contribue à décider l'Algérie
à se reconnaître pour ce qu'elle est : l'un des fleurons
de la francophonie. Michel Laxenaire
Al Sîra Mahmoud Hussein
Al Sîra
Grasset 2005
Le prophète de l’islam raconté par ses compagnons.
Des trois groupes de textes fondateurs de l’islam, dont
le Coran Parole de Dieu, les Hadîths Dits du prophète
éclairant diverses significations du Coran, Al Sîra
est le moins connu, sans doute par les difficultés de lecture
dans leur forme originale de textes émanant de sources
hétéroclites, alourdies de formulations d’époques,
notamment dans le rappel répété des généalogies
pour la désignation des personnes.
Il s’agit pourtant de textes dont l’importance est
considérable, car ils disent l’histoire de la naissance
de l’islam telle que l’ont rapportée les témoins.
On peut y vivre, aux côtés des compagnons du Prophète
les étapes de la Révélation, les raisons
aussi traditionnelles que religieuses des oppositions ou même
des violences à l’égard des premiers croyants.
Plus qu’une histoire centrée sur la seule personne
de Muhammad, c’est l’histoire d’un homme inspiré
au sein d’une société hostile par auto défense.
On y apprend autant sur les mœurs de cette société
où le groupe familial (tribal) est fondamental. Les individus
n’y sont protégés que parce que la tribu les
protège ; retirer la protection de la tribu, c’est
vouer un homme à la mort ou à l’exil. De même
pour les règles de l’hospitalité qui sont
élevées à leur paroxysme, lorsqu’elles
sont synonymes de puissance et de richesses. Mais c’est
également une société en déséquilibre
constant où alliances et trahisons s’entremêlent…
Il est également fort intéressant de découvrir
que Muhammad survient à une époque attendant un
prophète, où se répète l’interrogation
« est-ce lui le prophète ? » -car il y en a
au moins un autre dans la région-, avec les inévitables
fiertés ou querelles inter-familiales résultant
de l’appartenance de ce prophète, mais plus encore
avec les bienfaits matériels attendus des ses capacités
à dialoguer en direct avec son Dieu.
Couvrant la période allant des prémisses de la Révélation
à la fuite à Médine, ce livre est la première
partie d’un travail savant de mise à la portée
d’un large public de deux auteurs égyptiens écrivant
sous le pseudonyme de Mahmoud Hussein. Ceux que l’islam
intéresse peuvent y trouver un intérêt certain.
Michel Laxenaire
Sommaire
Avant propos 1
Les lois de l’hospitalité, ici et là. 5
Ulyse et Nausicaa 6
L'été grec ou l'hospitalité à la crétoise
selon Jacques Lacarrière 7
L'évasion d'une jeune juive vers l'Espagne 10
IL M'A DIT 11
Ma table est mise et mes convives sont en retard 12
? ? ? ou l'hospitalité kabyle 13
L’hospitalité, une pratique sociale enracinée
dans la culture kabyle 13
Extrait du roman Bleu Permanent de Brahim Zerouki 14
Libre propos 15
La mère Misère" d'après un conte d'Espagne
16
« Dhiaf Rabi », « l’hôte de Dieu
» d'après une conte d'Algérie 18
"L’homme qui sacrifia son cheval." 19
Le don de nourriture 21
Hospitalité saharienne 26
Révolte des banlieues : pourquoi font-ils ça ? comment
en sortir ? 30
COMMUNIQUE 7 novembre 2005 30
Quelques propos réactifs aux "évènements"
30
Question sur l'identité des Juifs de France 30
À propos de l'effervescence actuelle autour des travaux
sur le fait colonial. 30
Un réquisitoire qui malmène la vérité
historique 30
Notes de lecture 30
L’islam (Idées reçues) par Paul Balta 30
Loin de Medine Assia Djebar 30
Al Sîra Mahmoud Hussein 30
Sommaire 30
La calligraphie d'Azrak a été créée
par Brahim Zerouki pour Soleil en Essonne
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